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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
29 mai 2017

Chapitre 3

 

Je lâchai ma canette. Victor la rattrapa au vol et me la tendit en souriant. Je la posai prudemment sur mon bureau en même temps que mes écouteurs. 

 

– Leen… commença-t-il derrière moi. 

– Quoi ? 

– Pourquoi refuses-tu toujours d’admettre l’évidence ? 

 

Je me retournai pour lui faire face. 

 

– Quelle évidence ? 

 

Je détestai l’idée que tout ce que j’avais vécu puisse finalement être bien vrai. Je désirais que l’on me laisse en paix. Non pas que l’on m’invente une destinée, des ennemis à pourchasser puis que l’on m’enferme dans une tour d’ivoire comme si c’était la chose la plus censée au monde. Tout cela semblait si précipité !

 

– Tu es en danger. 

– Et alors quoi ? J’abandonne ma vie du jour au lendemain ? 

 

Je sentis la blessure à mon bras me relancer, comme pour donner silencieusement raison à Victor. C’était une sensation agaçante. Je mis une main dans la poche de mon jean troué. Mes doigts effleurèrent l’amulette et un sentiment familier de calme m’envahit aussitôt.

 

– Les gens que tu connais ne s’apercevront même pas de ton absence. Le système temps est différent, m’indiqua Victor. 

– Qu’est ce que vous voulez faire de moi ? 

 

Les yeux de Victor s’emplirent de ce qui ressemblait à de la compassion. 

 

– T’aider et te protéger évidemment.

– C’est tout ? demandai-je.

– Oui. 

 

M’aider et me protéger, je n’étais pas contre. L’image du cadavre de la fille raviva alors mes souvenirs. Je tressaillis en imaginant mon corps à la place du sien. 

 

 Une fille est morte ? me questionna Victor, soudain inquiet.

– Quoi ? 

– Parle moi du meurtre, poursuivit le capitaine. 

– Comment tu peux savoir… que… balbutiai-je. 

 Tu la connaissais ? me coupa Victor.

 

Il semblait à la fois agacé et très tendu. 

 

 Tu lis dans mon esprit, c’est ça ? 

– Connaissais-tu cette fille Leen ? 

– Est-ce que tu lis dans mon esprit ? Comment fais-tu ? 

 

Je fixai Victor comme si je le voyais pour la première fois. Je ne m’étais pas trompée. Une sensation de trahison pinça mon cœur. 

 

– Je ne t’ai pas menti, je ne l’ai juste pas mentionné, lâcha soudain Victor. 

– Je me sens quand même violée. 

– N’exagères pas, veux-tu… Je lis tes pensées seulement lorsque je me concentre pour le faire. 

– Tu parles. 

 

Un millier de pensées traversèrent mon esprit, et je me remémorai ainsi tous les instants que j’avais pu vivre avec Victor. Dans chacun d’entre eux il m’avait semblé scanner ma cervelle. Je le regardai droit dans les yeux en me demandant s’il essayait encore de le faire. 

 

– Arrête, dit-il. 

– Je ne fais rien. 

– Je n’ai pas abusé de mes capacités avec toi. Et je ne le ferais pas. 

 

Je me concentrai afin de murer mes pensées. Peu importait ses promesses, je ne voulais pas que l’on ait accès à ma tête. Je visualisai une sorte de cadenas mental pour verrouiller mon esprit. Victor plissa les yeux.  

 

– D’accord. 

– Tu ne m’as toujours rien dit à propos du meurtre. 

– J’ai assisté au meurtre d’une fille que je ne connais pas, il y a environ une semaine. C’était près de Nogent le Perreux. 

– C’est tout ? 

– Comment ça c’est tout ? Tu ne crois pas que c’est déjà assez ! 

 Des précisions sur les protagonistes ? 

– Ouais, j’ai même le numéro de l’assassin. 

 Leen, ne joue pas à ça. 

– Est-ce que j’ai l’air de jouer ?

– Tu as l’air de quelqu’un qui ne dit pas tout. 

 

Le capitaine me contempla avec intérêt. Nous échangeâmes alors un interminable regard. Victor essayait encore de pénétrer dans ma tête. Cette certitude me mit en colère et je m’acharnai à fortifier ma nouvelle muraille mentale. 

 

– Tu… Tu es comme brouillée, dit finalement Victor. 

– Je suis comme brouillée ? 

– Je… ne vois plus de brèche pour te lire, remarqua Victor, visiblement déstabilisé. 

– Tu dois avoir une panne, fis-je en souriant. 

 

Victor ria jaune. Venais-je réellement de réussir à protéger mon cerveau ? 

 

– Comment tu as fait ça ? Se couper des brèches est un don extrêmement rare. 

– Je ne sais pas. Je n’aime juste pas que tu sois dans ma tête.

– C’est que tu me caches quelque chose.  

 

Je restai hébétée. Je venais de découvrir qu’il lisait les pensées moi-même, alors comment pouvait-il exiger une totale transparence de ma part ? Sans compter que nous nous connaissions seulement depuis quelques jours et qu’à chaque fois que nous nous voyions, une personne en mourrait. 

 

– Tu ne peux pas me lire, c’est ça qui t’agace, fis-je. Et c’est vrai que vous, monsieur le capitaine, vous êtes un modèle de vertu !

 

Je me retournai brusquement, et m’apprêtai à dévaler les escaliers quatre à quatre, quand Victor me retint par le bras. Il poussa mon corps vers le sien et m’embrassa avec ardeur. C’était comme à la cascade. C’était fort, unique. Il intensifia son baiser, et naïvement moi aussi. Une barrière céda alors en moi. La seconde d’après, il était dans ma tête. Il accéda sans difficultés à toutes mes pensées au sujet du meurtre. A tous les détails que j’avais omis, l’être maléfique, mon nom gravé sur sa peau. Il accéda même à bien plus encore. A mes rêves, mes peurs, mon passé. L’image de Lucas fracassa brutalement mon crâne. Mon esprit se révolta soudain, personne ne viendrait dans mon crâne sans y être inviter. Je le repoussai. 

 

– Comment peux-tu me faire ça… dis-je dans un souffle. 

– J’avais besoin de savoir, désolé. 

 

Je le regardai droit dans les yeux. Il n’avait pas l’air désolé. Mes lèvres se fixèrent alors subitement aux siennes. Ma langue entra profondément dans sa bouche, comme si je venais d’entreprendre l’une des plus grandes fouilles archéologiques au monde. Je voulais le lire, comme il m’avait lue. Il résista longtemps. Mais je finis par plonger dans son esprit. Je me jetai sur le souvenir le plus proche, et m’y accrochai avec toute la volonté dont j’étais capable. Je le sentis me supplier. Mais il était déjà trop tard. J’assistai à une scène bouleversante. Un jeune homme, aux yeux noisettes, au milieu d’un champs rose. Le jeune homme pleurait devant le corps d’une femme allongée devant lui… Ses mains étaient pleines de sang. Les mains de Victor étaient pleines de sang. 

Le garçon s’écarta de moi, les yeux écarquillés, comme si je n’étais pas censée savoir. Il agrippa mon bras avec fermeté. Et me téléporta. 

 

*

*

                                                          

Je venais d’apparaître dans une immense forêt rose. Mercury, me dis-je, encore choquée par la facilité avec laquelle Victor faisait voyager mon corps dans l’espace.

 

 Qu’est ce qu’on fait là ? demandai-je.  

– Je dois te montrer quelque chose. 

 

Ce ton était froid. Victor m’entraîna entre des arbres touffus tout en me pressant contre lui. J’étais si proche que je percevais parfaitement le son de sa respiration. Son souffle était chaud et caressait mon oreille. Mais il ne me regardait pas. Victor prit mon visage entre ses mains et me força à regarder droit devant moi. Son cœur se mit à battre de plus en plus calmement tandis que le mien explosa dans ma poitrine. 

Je vis des monstres, une centaine de gros monstres. Ils étaient horribles, tous défigurés par la haine. On aurait dit qu’ils avaient tous été les cobayes malheureux d’expériences scientifiques, car ils avaient quand même quelque chose d’humain. Je voyais parfois un nez, une bouche, des yeux parfaitement humains au milieu de visages boursouflés et cloqués. Certains monstres possédaient des pinces de crabe qui jaillissaient en désordre de leurs corps, tandis que d’autres étaient couverts de verrues, de cornes ou de tentacules. 

 

– Quelle horreur… 

– C’est une patrouille de marsumiens, murmura Victor. 

 

Je détournai mon regard des marsumiens. 

 

– Qu’est ce qu’on fait là ? répétai-je. 

 

Victor tourna ma tête vers la sienne. 

 

– Tu penses que je m’amuse en cherchant dans tes souvenirs.

– Ce n’est pas… 

– Je dois te protéger, me coupa Victor, les marsumiens en font partie. Je n’invente rien, ils sont dangereux.

– De toute façon, ils ne ressemblent même pas au meurtrier de cette fille… 

– Je sais. Nous avons donc deux problèmes.

– L’être maléfique ne s’en est pas pris à moi…

– Les coïncidences, ça n’existe pas sur Solarium. 

 

Si les coïncidences n’existaient pas, j’étais effectivement dans de beaux draps. 

 

– Et l’antiquaire ? C’était un meurtrier indépendant ?

 

Victor ria à faible voix. 

 

– Tu choisis vraiment les pires situations pour me faire rire.

 

Je lui souris en rougissant.

 

– L’antiquaire n’était qu’un humain contrôlé par les marsumiens. Une enveloppe vide en quelque sorte, expliqua Victor. 

– Ok. 

– Et il faut que je te dise, à propos de ce que tu as lu…

 

C’était la première fois que je voyais Victor chercher ses mots. Je devais avoir lu quelque chose d’extrêmement important dans son esprit, car il semblait tout d’un coup très mal à l’aise. Il fixait obstinément les buissons roses devant nous.

Tandis que Victor plongeait dans ses souvenirs, mon attention se porta sur un monstre à quelques mètres de nous. Son visage était recouvert de cloques verdâtres. Des vers dégoulinaient de ses yeux injectés de sang. Il m’évoquait la violence à l’état pur… Et il était en train d’égorger un homme !

Je voulus bondir pour l’arracher à son agresseur. Mais Victor me serra plus fort contre lui. 

 

– Ne fais rien de stupide, dit sèchement Victor. 

 Mais il va mourir ! criai-je. 

 

Le monstre en face de nous poussa alors un cri dans notre direction. Il venait de nous repérer, ce qui était totalement de ma faute. Je n’avais pas conscience de ce que je venais de provoquer. Mais en une fraction de secondes, il était là. Devant nous. Victor me poussa dans l’herbe rose derrière lui. Je trébuchai avant de tomber lourdement sur le sol. Le capitaine sortit une épée que je n’avais jamais remarquée avant, et trancha sans hésiter la chair de l’assaillant. Du sang gicla, et vint recouvrir son beau visage. Il se battait bien, il était fort, il était rapide. Je ne pouvais pas m’empêcher d’admirer sa musculature sous son t-shirt serré. Dix secondes à peine après son attaque, le monstre s’écroula sur le sol. Raide mort. Victor se retourna. Il scruta les alentours un instant, criant quelque chose d’incompréhensible. Pas en ma direction, mais envers… Je levai les yeux. Et vis des monstres nous encercler. Il désigna le cadavre du monstre qui gisait dans l’herbe rose, puis me désigna moi-même aux nouveaux arrivants. Il parlait un langage que je ne comprenais pas. Soudain tous les monstres de l’assemblée poussèrent un grognement, et un frisson me parcourut l’échine. Mes yeux revinrent se planter dans les beaux yeux noisettes de Victor. A quoi jouait-il avec ces monstres ? Victor m’accorda un regard à son tour, tandis qu’il restait complètement immobile au milieu des ennemis. Je crus percevoir une once de remords dans son regard.  Et c’est la dernière chose que je vis. Car une chose s’était jetée sur moi. Et que Victor l’avait laissée faire. 

 

 

*

*

 

Ma chute fut, pour ainsi dire, douloureuse. Quelques secondes auparavant un monstre s’était jeté sur moi. Et m’avait téléporté, je ne sais où. Je remarquai que la végétation était bleue, cette fois-ci. Je levai les yeux, histoire de vérifier où la chose avait atterri. Je ne vis rien. J’aurais préféré. Car je sentis une fraction de secondes plus tard, des mains velues s’agripper sauvagement à mes épaules. Pour me plaquer fixement sur le sol.  La chose me retourna sur le dos avec une force surhumaine. Son visage était à quelques centimètres du mien. Le monstre au dessus de moi était vraiment laid. Je réprimai un haut le cœur, tandis que les pinces de scorpion jaillissant de ses joues se rapprochaient dangereusement de moi. 

 

 Azitane tlounk katari, dit-il.

– Google trad, tu connais ?

 

 Il me frappa d’une main noire, velue, et visqueuse. Une grosse traînée d’un ectoplasme se retrouva collé à ma joue. Magnifique. Je venais de perdre une occasion de garder ce que je pensais pour moi.

 

 J’ai dit que tous les vénusiens devaient périr, articula le monstre dans un français guttural.

 Je ne sais même pas de quoi tu parles !

 

Le monstre frappa mon autre joue. 

 

 Azitane, tu dois périr, déclara le monstre d’un ton solennel.

– Je n’ai rien fait ! Lâche moi !

 Tes ruses ne marchent pas sur Marsum. Nous sommes la race supérieure, cracha le monstre dans un souffre putride devant mon visage.

 

Je plissai le nez. C’était une odeur insupportable. Le monstre montra ses dents. Aiguisées, comme une lame de Katana. La bave qui dégoulinait de sa bouche déformée coula sur mon nez. C’était répugnant. Le monstre planta tout aussi soudainement ses griffes dans mon épaule, si profondément, que du sang en coula abondamment. Puis il me traîna. Sur plusieurs mètres. Et je criai. De douleur. Pour la deuxième fois, j’étais sûre que j’allais mourir.

Le tonnerre gronda. Des éclairs marbraient le ciel sombre. Lorsque le monstre me jeta enfin sur le sol bleu, je me tordis de douleur. Il écrasa son poing dans mon ventre. En abattit un autre sur ma joue. Et je crachai déjà du sang. Je vis cet être laid, putride, ce tueur dégainer ce qui semblait être une épée. Il la brandit en l’air, et elle scintilla, éclairée par des étoiles perchées, loin, loin, loin dans le ciel. Puis je réalisai avec horreur que ce n’était pas une simple épée… c’était juste ses énormes griffes, faites de métal brillant… Elles se plantèrent dans la chair de mon ventre. Glaciales. Je sombrai. Exactement comme dans mon rêve. C’était donc ça, la fin.

 

*

*

 

Je battis des paupières. Et regardai autour de moi. J’étais sur un lit d’hôpital, dans une chambre blanche. Je veux dire, maculée d’un putain de blanc qui m’indiquait très clairement où j’étais. 

 

 Mademoiselle Kimberlake ! s’exclama une voix de femme.

 

Je cherchais la propriétaire de la voix des yeux. Elle se tenait à l’autre bout de la pièce avec un bloc note entre les mains. Je la dévisageai. Elle était jolie. Mais surtout, elle avait de longues tentacules noires à la place des cheveux. Je clignai des yeux. 

 

– Comment vous sentez vous ? demanda-t-elle.

– Moins proche de la mort.

 

L’infirmière sourit. Elle s’avança vers moi. 

 

– Vous avez été inconsciente durant un mois. Vous avez été poignardée à deux reprises à l’abdomen. C’est un miracle que vous soyez toujours en vie. 

 

Il me semblait que les griffes du monstre transperçaient encore ma chair. Je soulevai mon t-shirt blanc, et vis une énorme bande de tissu blanc autour de mon abdomen. 

 

–  Comment m’a-t-on retrouvée ? 

– Dieu merci, le capitaine O’connor vous a retrouvé à temps, la nuit même de votre agression. Aucun organe vital n’avait été touché. 

 

J’aurais été soulagée d’entendre à nouveau le nom de Victor, si j’avais réussi à tout oublier. La bataille, les monstres, les remords dans ses yeux puis son abandon. J’aurais pu mourir à cause de lui. Il ne perdait rien pour attendre. Ce traître me roulait des patins pour entrer dans mon crâne, m’envoyait je ne sais où regarder des monstres difformes égorger des hommes, pour permettre qu’on me kidnappe et qu’on essaye de m’assassiner. Pourquoi ? Lui qui se disait prêt à m’aider et à me protéger. Mes poings se fermèrent avec force sur mes draps. Il m’avait trahie. Et ce sentiment de trahison venait de prendre littéralement possession de mon corps. 

 

– Vous allez bien ?

 

La voix de l’infirmière me sortit de ma torpeur. 

 

– Oui. Quand est-ce que je pourrais sortir ? 

– Vous allez devoir rester ici quelques temps, en observation. Nous verrons comment votre santé évolue. 

– Je suis un peu fatiguée, avouai-je. 

– Je vais vous laisser vous reposer. 

 

L’infirmière me sourit avant de s’en aller, son bloc note sous le bras. Restée seule, des larmes se mirent à rouler sur mes joues. On avait vraiment voulu me tuer. J’étais si seule. 

 

*

*

 

Cela faisait des semaines que je n’avais pas bougé de ma chambre. La blessure à mon abdomen s’était très nettement atténuée. L’infirmière m’avait informée que je pourrais sortir dans la journée. En enfilant mon t-shirt, je repensai au plaisir de sentir le vent dans mes cheveux. Puis j’entendis une personne frapper à la porte. 

 

– Oui ? dis-je. 

 

L’infirmière ouvrit la porte. 

 

– Prête ? dit-elle avec un grand sourire. 

– Oui ! m’exclamai-je avec enthousiasme. 

 

Nous rîmes, lorsqu’une autre personne se détacha de l’ombre du couloir et pénétra dans la pièce. 

 

 Bonjour Leen, dit Victor. 

 

Je sentis la joie quitter instantanément mon visage. C’était la première fois que je le revoyais depuis qu’il avait essayé de me tuer. 

 

 Bonjour.

 

Un silence pesant envahit la pièce. J’étais sûre que mes regards envers le capitaine ressemblaient plus à une série de coups de poignard. Lui, avait l’air penaud et parfaitement mal à l’aise. L’infirmière brisa l’atmosphère tendue. 

 

– Je suis persuadée que le capitaine devait être très occupé ces temps-ci. Cela doit expliquer qu’il ne soit pas venu prendre de vos nouvelles… 

– Pourrais-tu nous laisser un moment Alicia ? demanda Victor. 

– Bien entendu, oui, dit-elle dans un sourire contrits. 

 

Alicia l’infirmière sortit de la pièce. La porte à peine refermée, j’en profitais pour me jeter sur Victor et le plaquer au sol. 

 

 Espèce de traître ! Pourquoi les as-tu appelés ? Tu n’as rien fait pour me sauver ! 

 Leen, dit-il dans un souffle, tu hallucines à cause des médicaments… Je t’ai retrouvée alors que tu étais sur Marsum.  

 Sale connard ! Tu mens !

 

Ses beaux yeux noisettes me transpercèrent, et je savais qu’il essayait de me lire. Alors, je me fermai. Les semaines passées dans ma chambre d’hôpital avaient au moins eu le mérite de me faire progresser dans cet art puisque je m’y étais employée chaque jour. Je sentais que je punissais Victor en refusant de lui faire connaître mes pensées. Mais je n’avais pas halluciné après tout, c’était la stricte vérité. Je ne laisserai certainement pas ce traître mentir sans vergogne et me faire croire qu’il voulait m’aider. 

La porte de ma chambre s’ouvrit à la volée. L’infirmière se précipita vers nous. 

 

– Mademoiselle Kimberlake, calmez vous ! s’exclama l’infirmière avec panique.

– Alicia, je t’avais demandé de nous laisser, grogna Victor. 

– Mais je suis connectée à tes pensées, dit l’infirmière tout en me fixant. Leen, le capitaine O’connor est de votre côté ! Réfléchissez il vous a sauvé, c’est un héros !

 

Il y avait quelque chose dans sa façon d’admirer ce traître qui m’agaça profondément. Il y avait aussi une proximité entre eux deux qui ne m’avait pas échappée. Je posai les yeux dans la direction de l’infirmière. Elle semblait véritablement horrifiée que je puisse faire du mal au vénérable capitaine O’connor, me dis-je mentalement en imitant sa voix fluette dans mon esprit. Je reportai mon regard sur le traître. Constatant son apparente gêne suite à cette remarque, une pointe de jalousie s’ajouta à l’océan de colère dans lequel j’étais déjà en train de me noyer. Je venais instantanément de comprendre que ce sale menteur et l’infirmière flirtaient. Ma colère tripla. Décidément Victor était bien le pire des salauds. 

Je relâchai ce dernier, et me précipitai hors de la chambre. Je bousculai Alicia au passage, avec un plaisir non dissimulé. Victor cria mon nom, et je m’en foutais éperdument. Ouvrant la porte avec fureur, je devais trouver le Président. Il voulait m’aider ? Très bien, j’étais prête. Même si cela revenait à admettre qu’il disait vrai, à admettre que je devais renoncer à mon ancienne vie et les conséquences qui allaient avec. Mon esprit se focalisa sur l’image de ma mère… et mon cœur se serra. Était-elle comme moi ? Ou m’avait-elle adoptée ?

Je courais maintenant, et des larmes coulaient en même temps sur mes joues abîmées. Oubliant ma blessure à l’abdomen, j’empruntai l’un des deux grands escaliers à toute vitesse. Je n’étais qu’au troisième étage.

 

– Leen ! appela Victor sur mes talons. 

 

J’avais beau courir vite, ma blessure m’empêchait d’aller plus vite. Le garçon me rattrapa au premier étage. Il saisit mon poignet, et je ne supportai déjà plus le contact de sa main de traître contre ma peau. Je le repoussai, et il ne s’attendait visiblement pas à ce geste, puisqu’il en tomba sur le sol. Sa chute m’accorda assez de temps pour fuir. Ce que je fis.

 

*

*

 

 Monsieur le Président ! hurlai-je en martelant la grande porte blanche de son bureau. 

 

Je ne pris même pas la peine d’attendre une réponse, et entrai. A ma grande surprise, l’infirmière était déjà là. Puis se fut au tour de Victor de faire son apparition. Il n’était toujours pas essoufflé par l’effort, contrairement à moi.

 

– Que se passe-t-il à la fin ? rouspéta le Président. 

– Père, es-tu certain que l’oracle parlait de Leen ? La description ne semble pas correspondre.

 

Père, m’étranglai-je mentalement. Comment n’avais-je pu le voir ? La ressemblance était frappante… Les mêmes yeux verts en amande, la même fossette. Je jetai un regard mauvais en direction de la fille du Président. Comment osait-elle dire une chose pareille !

 

– Comment cela ? 

– Sa régénération est très lente par exemple, l’oracle précisait que l’élue était d’une constitution solide. 

– Je vais te poignarder alors, on verra qui a la régénération la plus rapide ! m’exclamai-je.

 

Alicia me foudroya du regard. Elle n’avait décidément plus rien avoir avec l’infirmière chaleureuse qui s’était occupée de moi durant des semaines.

 

– Et surtout, dit Alicia avec un sourire mauvais, l’oracle parlait d’une immense sagesse. 

 

Je levai les yeux au ciel. Alicia semblait véritablement bouillir de l’intérieur. 

 

– Elle a même tenté de tuer Victor !

– Bon cela suffit Alicia, emmène ton fiancé ailleurs j’ai besoin de parler avec Leen, dit le Président en désignant Victor. 

– Mais père !

– C’est un ordre, Alicia.

 

Son fiancé ? Son fiancé. Il m’avait donc menti sur tous les plans. A quoi jouait-il ? Victor se tenait à quelques pas derrière moi mais je refusais de le regarder en face. Je ne le pouvais pas. J’étais comme en train de suffoquer. Tout mon esprit était grand ouvert pour qu’il le lise. Il envoyait d’immenses ondes de mépris. Des ondes toutes entièrement dirigées contre lui. Alicia passa devant moi avec un air mauvais. Je n’arrivais pas à croire que j’avais pu considérer l’infirmière comme une amie. Elle se dirigea sans hésiter vers Victor et entrelaça ses doigts aux siens. Avant qu’il ne sorte de la pièce, je croisai par malchance le regard du capitaine. Il venait simplement de m’abattre d’une balle en plein cœur. 

 

*

*

 

Un long moment après que Victor et Alicia soient sortis, je restai interdite et brisée. 

 

– Comment vas-tu Leen ? 

 

Il me semblait que la même question revenait sans arrêt. 

 

– Ma blessure a diminué. 

– Aucun de mes espions n’a pu m’expliquer ta présence sur Marsum, le soir de ton agression. Que s’est-il passé ? 

 

Debout devant le Président, je restai murée dans le silence. Pouvais-je réellement lui faire confiance ? 

 

– Je ne savais même pas où j’étais. 

– Tu as été enlevée par un marsumien, un Kuulan, qui a tenté de te tuer à proximité de son camp. 

– D’où cette blessure… dis-je en désignant mon abdomen. 

– Oui, fit le Président, tu ne te souviens donc de rien ? 

– Non, mentis-je. 

 

Le Président me fixa du regard. J’espérai qu’il ne se rendrait pas compte de mon mensonge et visualisai aussitôt un cadenas mental autour de mon esprit. Il devait probablement être télépathe, lui aussi. 

 

 – Alicia a fait part d’un incident entre Victor et toi, lâcha finalement le Président. 

– Elle mentait.

– Pourquoi as-tu frappé à ma porte alors ?

 

Il me fallait exceller dans l’art du mensonge sur le champs, un art que je n’avais pourtant jamais maîtrisé durant toute ma vie. 

 

– J’avais besoin… d’un tampon. C’était une urgence en fait, bafouillai-je. 

 

Je rougis. Je venais sans doute d’inventer le mensonge le plus embarrassant de tout l’univers. Si drôle que j’imaginais bien les marsumiens en rire tout en dévorant un corps humain. 

 

– Je vois… Il y en a près de l’infirmerie, me répondit un Président un peu gêné. 

– D’accord, c’est noté.

 

Silence gênant.

 

– La seule chose dont je me souvienne est le visage de mon agresseur, dis-je. 

– Oui, les marsumiens sont vraiment d’horribles créatures, commenta le Président. Horribles et très puissantes. 

– Ont-ils des pouvoirs comme vous ? 

– Ils sont juste très puissants et très déterminés, dit le Président avec dégoût.  

– Vous ne les aimez pas beaucoup…

– Ils ont déclaré la guerre à Mercury. Nous nous affrontons depuis des siècles. 

 

S’il savait que Victor les avait laissés me tuer. Je n’osais pas imaginer ce qu’il adviendrait de lui. Je n’arrivais pas à me résoudre à livrer ce traître au Président. Ce traître fiancé. Mon cœur se brisa un peu plus en silence. 

 

– Que veulent-ils ? 

– Régner sur Solarium, même si cela est mpensable !

– Pourquoi ? 

– Ils ne sont pas capables de faire régner la paix, Marsum n’est déjà que chaos. 

– Quel est le rapport avec moi ? 

 

Le Président se concentra un moment. 

 

– Tu n’en as sans doute pas conscience mais tu as énormément de pouvoirs. Suffisamment pour les empêcher de régner si tu choisis le bien. 

– C’est ridicule, ils devraient se servir de moi alors, pas essayer de me tuer !

– Les marsumiens ne veulent compter que sur eux-mêmes. 

– Et Vénusia dans tout cela ? Vous avez mentionné d’autres contrées. 

– On gouverne avec une raison Leen, dit le Président avec une pointe de mépris, pas de bons sentiments. 

 

Cette révélation me glaça le sang sans que je ne sache précisément pourquoi. Peut être parce que le Président m’avait lui-même appris que j’étais vénusienne. S’il me considérait comme une sous espèce pouvait-il vouloir mon bien ?

 

*

*

 

 Jugeant que les récents événements avaient du être éprouvants pour une vénusienne telle que moi, le Président me proposa de rester sur Mercury au moins jusqu’au lendemain. Je ne savais pas encore très bien si je devais lui rapporter la trahison de Victor même si celle-ci vibrait dans mes veines. 

La chambre que l’on m’avait attribuée pour la soirée était spectaculaire. Un grand lit à baldaquins avec des draps soyeux, brodés de dorures, une immense penderie remplie de tenues de soirée exceptionnelles, et un gigantesque miroir ancien encadré par un bois sculpté et vernis. Je disposais d’une salle de bain high tech personnelle. Et accessoirement, d’un garde. Celui-ci m’avait informée que le souper sera servi au cinquième gong. 

 

 Au cinquième gong ? avais-je répondu. 

 Le décompte des heures est attribué à un officier du temps. Il frappe cinq fois pour annoncer le souper, avait répondu le garde, nommé Konil. 

 

Sinon, il y a des swatch… m’étais-je dit. Le garde avait alors ri tandis qu’au mot n’était sorti de ma bouche. Il fallait que je fasse attention à mes pensées. J’étais cernée de télépathes.

 

*

*

 

Lorsque le cinquième gong retentit enfin, je finissais de me préparer. Le beau garde m’avait prévenue que le dîner se tenait en grandes pompes. Ce qui incluait des tenues de soirée, assez sophistiquées.

Je n’avais jamais eu l’occasion de me voir dans une longue robe de soirée. Mais j’avoue que celle que l’on m’avait fait parvenir était.. resplendissante. Le bustier était fait de dentelles noires recouvrant intégralement ma poitrine, mon ventre et mes bras. Mais le creux de mes seins restait visible, parce qu’à ce niveau, le couturier avait volontairement laissé une ouverture dans la dentelle. Les jupons de ma robe étaient composés de voiles, noirs, fins qui tombaient sur le sol, en évasé. Une fente dans les voiles dans ma robe, révélaient l’une des jambes musclées. Ouais, avant tous ces événements, je faisais du patinage. J’aimais bien..  Quant à ma taille, elle était cintrée. Pour l’occasion, je m’étais même maquillée un plus fort que d’habitude. De l’eyeliner noir soulignait mes yeux verts, et j’avais recouvert mes lèvres d’un rouge profond qui ne jurait pas du tout avec la rousseur de ma chevelure. Je m’étais parfumée, et un dernier coup d’oeil dans le miroir me confirma que j’étais prête. Prête, mais peut être pas encore mentalement. J’imagine que Victor et Alicia seraient collés l’un à l’autre pendant le dîner..

 

Un coup sur la porte me tira de mon amertume. C’était Konil. Quand il ouvrit la porte, il resta interdit le seuil de ma chambre.

 

 Vous êtes vraiment magnifique mademoiselle Kimberlake, dit finalement Konil.

 

Il me présenta son bras, que je pris, et me conduisit jusqu’à la table du dîner. Mon cœur battait la chamade. Même si ce n’était qu’un dîner. 

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