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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
29 mai 2017

Chapitre 7

 

– Leen, ne te laisse pas envahir par tes émotions !

 

Cela provient d’une voix lointaine.

 

– Konil, vous allez bien ?

 

Une autre voix lointaine.

 

– Je pense, je, je… crois que Mademoiselle Kimberlake m’a propulsé en dehors du cabanon… Je, je, ne me l’explique pas.

– Pourquoi scintille-t-elle ?

 

Je distingue une forme se rapprocher davantage que les autres. Je suis toujours colère. Je ne sais pas ce qu’est cette chose qui vibre en moi, mais rien n’apaise le sang bouillonnant dans mes veines. Un bruit sourd retentit. Puis un autre, et encore un autre. Mes yeux sont grands ouverts et pourtant, je ne vois plus rien.

 

– Faîtes quelque chose, elle va nous tuer !

– Leen, calme toi… Tu dois maîtriser ta colère, la contenir et l’enfermer dans une petite boîte, dit l’une des voix, une voix de femme.

– Une petite boîte, Persiflaë ? Ne me dîtes pas que c’est sérieusement de cette façon dont vous vous entraînez… répondit une autre.

 

La voix de femme me répète de me calmer et de me maîtriser. Mais elle n’a pas conscience de toute cette rage qui m’habite. C’est comme si nous étions deux dans ce corps trop étroit. Je prends alors conscience que nous sommes bien deux. Il y a moi, et il y a cette colère qui est un double de moi. Un double noir. Et bientôt, ce double se détache et je peux le regarder distinctement. Il a mon visage, il a mes traits fins, mais tout chez lui est violence et rage. Ses yeux lancent des éclairs, ses sourires sont mauvais. Je me rends compte que je ne suis pas cette personne.

 

– C’est bien Leen, continue.

 

Mon double veut encore semer la colère. Et moi, je ne suis plus tout à fait sûre de vouloir une telle colère. Je lui dis que je ne veux pas continuer, il est énervé. Il est plus agressif. Il veut rentrer en moi et prendre possession de moi. Je me bats contre lui. Je ne veux pas perdre le contrôle de moi-même. Je veux qu’il s’en aille.

 

– Va-t-en ! hurlai-je.

 

Je m’écroulai sur le sol du cabanon. Mes mains étaient crispées sur mon cœur. Je sentis aussitôt les bras puissants de Victor sur mes épaules. Il m’attira contre lui.

 

– Tout va bien ma chérie, dit celui-ci.

 

*

 

Je ne sais pas, je n’avais jamais vu cela… répondit la première voix.

Cela ressemble à votre magie, pourtant.

Aucune de nous n’a ce don, soldat.

Taisez-vous tous ! Leen, est-ce que tu m’entends ?

 

Je battis des paupières en reprenant peu à peu conscience de la réalité. Konil et tous les autres étaient déjà penchés au dessus de moi, tandis que mon crâne me faisait souffrir et que les bras de Victor m’entourait toujours. Je constatai rapidement que du sang perlait sur le visage de Konil, et je sentis la panique m’envahir.

 

– Konil ? Mais… Pourquoi tu saignes ? demandai-je, les yeux toujours mi-clos.

 

Mon gardien regarda Victor qui était au dessus de moi, comme s’il cherchait son approbation des yeux. Celui-ci dû lui rendre un regard meurtrier parce que Konil, comme à son habitude impassible, resta muré dans un silence complet. 

 

Victor, arrête de faire ça, dis-je.

 

Je venais de percevoir le combat silencieux entre les deux hommes. 

 

Excuse moi Leen, me répondit Victor. 

 

Ses mâchoires se serrèrent. Victor prenait sur lui même s’il était fier. 

 

Mes sœurs et moi allons t’examiner, coupa Persiflaë.

Vous allez faire quoi ?

Tes pouvoirs de vénusienne s’éveillent, ce sera un simple contrôle, dit la Reine vénusienne. 

 

Elle tentait de me rassurer et fit un sourire bien évidemment, parfait.

Elle se redressa et déploya gracieusement ses bras dans l’espace confiné du cabanon. Je réalisai alors qu’une dizaine de vénusiennes s’était déplacée aussi. Je reconnus la jeune Annak dont le visage restait impassible. Soudain, la masse de sœurs se mit en mouvement. Un murmure se fit entendre, puis un chuchotement un plus fort. Tandis que le son s’amplifiait, mon corps lui se surélevait.

 

– Grâce à vous, elle fera un formidable oiseau c’est sûr… railla Victor.

 

Fatiguée, je me laissai « examiner ». Une sensation réconfortante de chaleur m’entoura, puis des picotements se propagèrent dans mon corps quelques instants.

 

 L’Oxydarium ne révèle rien d’anormal… dit Persiflaë.

 

Je la dévisageai. Son expression semblait perplexe. Elle ne disait pas tout.

 

– Si ce n’est une grande quantité de soufre.

Quelles sont précisément vos conclusions ? demanda Konil.

– Sa nature vénusienne est probablement en train de se manifester, comme l’indique le surplus de soufre, remarqua Persiflaë.

 

Un silence envahit le cabanon.

 

– Et c’est tout… ? fis-je à mon tour.

 

Un deuxième silence pesant envahit la pièce.

 

– Oui, dit Persiflaë.

 

Pourtant à l’entendre, quelque chose avait l’air de clocher. 

 

Mais ?

Nous allons te laisser te reposer, il faut simplement que je discute avec Monsieur Konil un moment.

 

Persiflaë m’adressa à nouveau un sourire charmant qui ne servait qu’à cacher une réalité peut-être moins charmante. 

 

 … D’accord. 

 

Tous sortirent de ma chambre simultanément. Je cherchai Victor du regard. Celui-ci ne cherchait visiblement pas le mien. Sans un regard, il sortit calmement du cabanon après que la jeune Annak l’ait précédé. Une chaleur autour de mon cou me rappela la présence d’Alutella… Pourtant, je ne l’avais pas sollicitée. Il m’avait semblé jusqu’alors que mon amulette ne se manifestait qu’en cas de danger. Je ne la connaissais peut-être pas si bien…

Je m’endormis plus tard, alors que la nuit était tombée depuis longtemps sur Vénusia. Mon sommeil était grandement agité par les images de Lucas, et de ma sœur qui ne cessaient de tenir des discours délirants dans mes rêves. Ils ne cessaient de répéter que j’avais la solution. Mon subconscient voulait-il m’envoyer un message ?

 

Lucas m’apparaît encore. Son image est plus nette. Je reste interdite devant ses traits familiers. Ses yeux brillent dans mes songes, tels que je m’en souviens.

 

– Je ne comprends pas pourquoi tu viens me hanter. Je n’ai aucune solution, tu… tu es mort.

 

De nouvelles larmes perlent sur mes joues. Les yeux de Lucas brillent de plus belle.

 

– J’ai l’impression que la communication est nettement meilleure… dit-il. C’est que tes pouvoirs se développent.

– C’est un rêve, aucun vénusien ne peut parler à un mort.

– Oh… Leen, il y’a tant de choses que tu ignores.

– Quelles choses ?

– Pour l’instant, tu dois savoir qu’on a envoyé un Kuulan sur Vénusia pour te tuer…

 

Mon sang se glace.

 

– Q-Quoi ?

– Leen, réveille toi il vient d’entrer !

 

Mes yeux s’ouvrirent brutalement. Un poignard poilu était brandi au dessus de moi. Je pris avec force le poignet du Kuulan qui bavait salement sur mes draps et le projetait sur le côté. Je sautai hors du lit, en position de combat. Mon cœur battait la chamade, tandis que je pris Alutella dans la main et lui ordonnai de se changer en épée. Une faible lueur rose se diffusa dans la pièce. Le Kuulan se redressa bien vite, et se jeta sur moi. J’évitai de justesse un coup de griffe et lui entaillais le bras. Le monstre hurla.

 

– ​Qui t’envoie ? lui demandai-je, essoufflée.

 

​Le monstre me regarda avec haine, et dans un grognement, il attaqua encore dans les ténèbres de la nuit qui était tombée durant mon sommeil. Je lui entaillai plus profondément l’abdomen. Le Kuulan cria de nouveau, mais sa force extraordinaire le maintenait en condition de combat.

 

– Je t’ai posé une question, alors parle ! hurlai-je.

 

Je tenais le Kuulan en respect avec Alutella. Il me regardait avec rage, tandis que sa bave maculait le sol du cabanon d’une substance écœurante. La colère commençait à s’emparer de moi, et la lueur rose émanant d’Alutella éclairait désormais tout l’espace du cabanon. J’avais peur de perdre une nouvelle fois le contrôle de mon corps. Je me concentrai sur les conseils de Persiflaë.

 

– Parle, ou je jure que ta mort sera extrêmement douloureuse !

 

Le monstre ricana.

 

– Crois-tu que j’aie peur de la mort ? dit-il.

 

Je déglutis. Il était évident que les Marsumiens n’étaient effrayés par rien et tous ceux que j’avais rencontrés jusqu’alors, avaient foncé tête baissée vers une mort certaine. Ils étaient pareil à des kamikazes. Ce qui signifiait aussi me dis-je, que quelqu’un tirait les ficelles et les manipulait comme de vulgaires pantins. J’étais en colère, cette personne qui agissait dans l’ombre semblait si lâche. Je sentis alors la chaleur monter dans mon corps.

Je restai hébétée lorsque je vis ma peau se mettre à scintiller.

 

– Qu’est-ce que… dis-je.

 

Le monstre profita de ce moment d’inattention pour se jeter sur moi. Il me plaqua au sol et approchait dangereusement ses dents pourries et acérées de ma gorge. C’est alors que je m’embrasai. Des flammes jaillirent de moi, et brûlèrent le marsumien qui gémit de douleur tout en se consumant.

 

– Non ! hurlai-je.

 

Je venais de tuer ma source d’information, réduite en cendres.

L’instant d’après Victor se matérialisa dans le cabanon tandis que j’étais assise par terre, les genoux repliés contre ma poitrine.

 

– Leen… dit-il.

 

Je redressai la tête.

 

– Que fais-tu là ?

– J’ai entendu des bruits bizarres qui venaient de ton cabanon…

 

Je le regardai sans rien dire, et désignai les cendres du Kuulan du menton.

 

– Tu as fait un feu ? s’exclama Victor.

– Non, c’est ce qui reste du Kuulan qui m’a attaquée.

 

Les yeux de Victor s’écarquillèrent.

 

– Et il ne reste plus rien de lui… dit-il.

– Ouais, je l’ai totalement brûlé apparemment.

 

Je dis cela tout en fixant mes bras. Ils avaient repris une apparence normale, mais j’avais très chaud. Victor replaça l’une de mes mèches derrière mon oreille et constata la même chose.

 

– Tu es brûlante… Est-ce que ça va ?

– Je crois que oui.

– Comment as-tu réussi à faire ça ?

– Il s’est passé la même chose que tout à l’heure. 

 

Victor semblait pensif. De mon côté, je m’étonnai qu’il soit venu seul. 

 

– Personne à part toi n’a rien entendu ? lui demandai-je. 

– J’étais tout prêt d’ici.

– Qu’est-ce que tu faisais dans le coin en pleine nuit ?

 

J’examinai le visage de Victor qui ne dévoilait rien. Son attitude paraissait étrange depuis l’instant où il avait quitté mon cabanon sans un regard. Une ombre passa dans son regard. 

 

– Je m’entraînais. 

 

Je me tus un instant, et regardai les cendres fumantes du monstre. Mes pensées se tournèrent à nouveau vers le Kuulan. 

 

– Je crois que quelqu’un l’a envoyé pour me tuer. 

– … Quoi ?

– Le marsumien, je veux dire. 

 

Je scrutai de nouveau Victor qui semblait totalement perturbé par mon raisonnement. 

 

– C’est vrai que les Marsumiens sont forts, mais qu’ils sont stupides… dit Victor.

– Je ne vois que le Président Douglas ou Alicia pour commanditer ça.

 

Je dévisageai Victor qui me dévisageait aussi. Son expression faciale était passée de la surprise à quelque chose d’absolument indéchiffrable.

 

– Alicia n’est pas assez rusée… dit Victor.

– Mais elle me déteste, fis-je. Et elle m’a déjà menacée.

– Quoi ?

 

Victor paraissait choqué. Comme s’il ignorait les prédispositions de sa chère et tendre à être une vraie garce.

 

– Vraiment Victor, ça t’étonne ? lui demandai-je.

– Arrête.

 

Le visage de Victor se ferma aussitôt, et il se détourna complètement de moi. Je me redressai. 

 

– J’ai quelque chose à faire, merci d’être venu, lui-dis-je. 

 

Il me tournait le dos, mais je le vis tressaillir malgré tout.

 

– Quelque chose à faire aussi tard ? demanda Victor en faisant volte-face. 

 

Je lui souris en pensant à ce qu’il m’avait dit un peu plus tôt sur ses propres occupations nocturnes. Un frisson me parcourut. Je me demandai comment il était possible d’aimer profondément une personne tout en sachant que l’objet de son amour était un être habité de secrets troubles.

Laissant Victor planté au milieu du cabanon et sans un mot de plus, j’ouvris la porte, et me dirigeai droit vers le cabanon de Persiflaë. Je comptais lui faire part de la tentative de meurtre du Kuulan, et de la façon dont je l’avais tué. Sur le chemin conduisant à la Reine, je repensai à mon rêve. Lucas y disait des choses étranges, qui ne cessaient de m’interpeller. Il avait laissé entendre que c’était sa façon d’établir la communication avec moi, avant de me sauver la vie. Cela supposait alors que d’une manière, Lucas était encore vivant… 

Je m’arrêtai devant le pas de la porte de Persiflaë et m’apprêtai à frapper à sa porte, quand celle-ci s’ouvrit à la volée.

 

– Leen, est-ce que tu vas bien ? demanda Persiflaë.

– Est-ce que tu sais que…

– Oui.

 

Je lus une réelle inquiétude dans les yeux de la Reine.

 

– Je lis tes émotions.

– Persiflaë, je ne comprends pas ce qui m’arrive, mes pouvoirs… Je suis perdue.

– Viens, entre. 

 

Je pénétrai dans le cabanon de la Reine qui était similaire au mien. Celle-ci m’invita à m’asseoir. A peine assise, je lui racontai d’un trait tout ce qui m’était arrivée avec le Kuulan, et mes interrogations naissantes. Pendant ce temps, Persisflaë fit chauffer de l’eau et coupa quelques plantes. Elle sortit deux tasses pour y verser l’eau chaude et faire infuser les plantes. 

 

– La colère est le premier sentiment que nous apprenons à maîtriser…

– Mais, être vénusienne c’est quoi au fond ?

– Tout ce que je peux dire c’est que nous maîtrisons les émotions, et que nos pouvoirs en dépendent.

– Et alors quoi, je suis en colère alors je m’enflamme ?

– Cela dépend, nous n’avons pas toutes les mêmes capacités.

– Comment ça ?

– Plus ta réaction matérielle à ton émotion est violente, et plus tu es puissante…

– Super, fis-je.

 

Je pris une gorgée du thé que m’avait préparé la Reine.

 

– Tu pourrais méditer pour apprendre à gérer tes émotions.

 

Je rigolai.

 

– Je suis une boule de nerfs depuis toujours.

– Ne te mets pas de barrières inutiles, il n’y a aucune fatalité dans la vie. Tu peux être tout ce que tu décides d’être.

 

Persiflaë m’adressa un de ses sourires parfaits et vint à côté de moi pour m’enlacer. Son contact m’apaisa aussitôt tandis que ses dernières paroles percutèrent mon esprit. J’avais vécu ma destinée comme une fatalité. En réalité, je pouvais décider d’être ce que je voulais même avec des tas de responsabilités. Je pouvais apprendre à contrôler mes pouvoirs comme j’avais appris à me battre. Je pouvais éviter à mes proches de mourir, même si je n’avais rien fait pour Lucas et ma sœur. Une partie de la culpabilité qui habitait mon cœur s’envola à ce moment-là.

 

– C’est tout ce qui te tracasse, ma chérie ?

 

Persiflaë me sortit de ma torpeur l’espace d’un instant.

 

– Non.

– Parle-moi.

– Tu ne semblais toujours pas rassurée tout à l’heure, après mon « examen »… Il y’avait un problème ?

 

L’étreinte de Persiflaë se desserra, et nous nous regardâmes sérieusement.

 

– Ce n’est pas ça…

 

Persiflaë semblait chercher ses mots avec soin.

 

– Tu es vraiment spéciale.

– Tu veux dire par rapport à la réaction matérielle que j’ai eue suite à ma colère ?

– Il y a un peu de ça.

 

Il y a un « peu de ça » signifiait aussi qu’il y avait aussi « un peu » d’autre chose. Persiflaë ne disait pas tout pour une raison inconnue. Cela me décevait, car je pensais qu’elle me faisait confiance plus que quiconque.

 

– Tu ne me dis pas tout…

– J’ai senti quelque chose de bizarre en toi, quelque chose de légèrement différent, sans pouvoir l’identifier précisément. Je suppose que c’est en rapport avec la prédiction sur ta destinée.

– Tu crois qu’en m’examinant, on peut carrément deviner qui je suis et ma mission ?

– J’ai l’impression, oui.

 

Cela pouvait expliquer pourquoi les Kuulans ne doutaient jamais de mon identité lorsqu’ils cherchaient tous à me tuer. Cela était donc dangereux. En même temps, je me demandais aussi si ma différence n’avait pas un lien avec le fait de parler aux morts…

 

– Tout va bien, Leen ?

– Mise à part ça, oui.

– D’accord.

– Je pense que je vais retourner dormir, je suis fatiguée.

 

Persiflaë m’adressa un sourire.

 

– Merci pour le thé, bonne nuit, lui dis-je.

– Bonne nuit ma chérie.

 

Persiflaë me tint la porte, et je regagnai mon cabanon. Je ne l’avais pas dit à la Reine vénusienne, mais j’avais d’autres projets que le sommeil.

Arrivée dans mon cabanon, je me débarrassai des cendres du Kuulan. Je sortis quelques bougies que j’avais repérée depuis plusieurs jours. Je les disposai en cercle au centre du cabanon sans trop savoir ce que je faisais. Ensuite, je m’installai en tailleur au centre du cercle et fermai les yeux après avoir allumé les six bougies. Je voulais commencer à appréhender la méditation. Mais je voulais aussi établir une nouvelle fois la communication avec Lucas.

Les minutes s’étirèrent, jusqu’à ce que je me sente parfaitement détendue. Il me semblait que mon esprit commençait déjà à se détacher de mon corps. Je pouvais me voir assise en tailleur au centre du cercle de bougies allumées, Alutella brillant sur ma peau. Je survolai mon cabanon, quittant très vite Vénusia. Mon esprit sembla filer à des kilomètres de la contrée rouge : je n’avais qu’une idée, retrouver Lucas. Mon esprit vola jusque dans un univers sombre, et chaotique : je survolai un sol depuis longtemps asséché, parsemé d’arbres chétifs et dépouillés de leurs feuilles. Tout était rendu flou par la présence d’un épais brouillard. De la glace recouvrait ce paysage, pourtant je ne sentais pas le froid.

 

– Lucas, j’ai besoin de te parler… dit mon esprit.

 

Je distinguai vaguement des silhouettes dans ce brouillard. Elles allaient et venaient d’une grotte obscure et peu rassurante, à coté de laquelle poussait des œillets blancs. Mon esprit tenta de s’en approcher, mais quelque chose semblait l’en empêcher.

 

– Je suis là, dit Lucas.

 

La silhouette nébuleuse de Lucas apparue d’entre les arbres. Il n’était plus comme en rêve. Il semblait fatigué, il était maigre et portait des chaînes imposantes.

 

– Lucas… Mais qu’est-ce qu’on t’a fait…

– On m’a tué.

 

Je ne ressentis rien sous ma forme d’esprit. Les mots de Lucas semblaient juste évoquer un fait : il était mort assassiné.

 

– C’est pour ça que tu hantes mes rêves ?

– Oui, tu es notre seul espoir. Il faut que… Il faut que… Tu retrouves qui nous a fait ça.

– Vous êtes plusieurs ?

– Des milliers… C’est ici que j’ai rencontré ta sœur.

 

Mon esprit regarda Lucas, dont les yeux s’étaient emplis de tristesse.

 

– Elle te ressemble tellement, comment oublier que tu me manques.

– Qu’est-ce que je dois faire Lucas ?

 

J’entendis une voix lugubre qui fendit l’air. Lucas se retourna quelques instants, et quand il m’adressa à nouveau la parole, il était effrayé.

 

– Trouve qui nous fait ça, Leen. Je dois partir, ou… ou.. ils vont…

 

Lucas ne semblait pas pouvoir en dire plus. Ses yeux exprimaient tant de frayeur…

 

– Je t’aime, Leen.

 

Lucas disparut. Je sentis peu à peu que mes forces à moi aussi s’amenuisaient, il me semblait extrêmement difficile de me maintenir sous forme d’esprit, loin de mon corps. Instantanément, j’ouvris les yeux et me retrouvai au centre de mon cabanon. J’avais le cœur battant. De la sueur dégoulinait de mon visage. Lucas avait été assassiné… Mais, par qui ?

Je décidai de me lever pour me rafraîchir dans ma petite salle de bain. L’eau fraîche me fit du bien. Tandis que je taponnai mon visage à l’aide d’une des serviettes mises à ma disposition, j’entendis des voix provenant de l’extérieur. Mon poul s’accéléra : des intrus avaient-ils faits irruption dans le camp ? J’allai jusqu’à la porte, et l’ouvrit discrètement. L’air de Vénusia me fit immédiatement frisonner tandis que ma robe se mit à onduler à cause du vent. Je scrutai les ténèbres à la recherche des silhouettes, mais ne vis rien. Pourtant, les voix continuaient à se faire entendre.

 

–  Je ne sais pas si c’est bien… dit une voix hésitante et féminine. 

– Tu n’as pas à t’inquiéter. 

 

J’eus un pressentiment étrange, tandis qu’Alutella se mit une fois de plus à chauffer ma poitrine. J’avançai doucement dans l’obscurité cherchant d’où provenait les voix. Je venais de dépasser le cabanon voisin lorsque je reconnus deux silhouettes, cachées dans les ténèbres de Vénusia. Mon sang se glaça devant la scène.

 

–  Et si, si… elle finissait par nous en vouloir ? Dit Annak.

–  Nous n’avons pas à lui en parler. 

 

Victor prit Annak par la taille, et l’embrassa passionnément. Simultanément, des larmes commencèrent à perler sur mes joues. 

 

– Ouais, ce serait inutile.

 

Je me détachai de l’obscurité. Il me sembla que les yeux d’Annak venaient de s’écarquiller en m’apercevant. Tandis que la colère montait en moi, je sentis peu à peu que je perdais une nouvelle fois prise.  

 

– Oh, Leen… Tu tombes bien, j’allais justement passer te voir, dit Victor.
 

Je le dévisageai avec dédain.

 

– Ferme la, Victor. Alors qu’est-ce qui se passe entre vous deux ? repris-je. 

 

Annak implora Victor du regard. 

 

– Je… Je suis tombée amoureuse de lui, dit Annak à sa place. 

 

Elle se mit aussitôt à sangloter.

 

– Je te prie de me pardonner, je savais que c’était interdit, couina-t-elle encore.

– Interdit ? m’offusquai-je.

 

Mes yeux se posèrent sur Victor. Je ne le voyais plus avec netteté car j’avais du mal à retenir mes larmes. Que m’avait-il fait ? Que m’avait-il fait croire ? Qui était-il, que ressentait-il ? Ressentait-il vraiment ? N’était-ce qu’un jeu ? N’était-il que le classique goujat qui abuse de la faiblesse émotionnelle des femmes ? Le poids de ma colère devint soudainement insupportable. Mes deux bras s’embrasèrent. Les flammes vives s’étirèrent dans la nuit froide de Vénusia. Je m’avançai calmement vers Victor avec une haine meurtrière.

 

– Tu ne t’arrêtes jamais de mentir, n’est-ce pas ? dis-je à l’intention de Victor.

– Leen, ma soeur, arrête ! s’exclama Annak. 

 

Je considérai la vénusienne un bref moment. Mon intuition me disait qu’elle n’était pas vraiment coupable. Le seul responsable devait être Victor. Il avait une nature profondément obscure. Et c’était également un très bon menteur. Les flammes se ravivèrent à mes bras.

 

– Pousse toi, Annak.

 

Je n’étais plus qu’à quelques pas de Victor. Je voulais presser son cou de mes mains enflammées, ma colère alimentée par mon dégoût. Soudain, Annak se jeta sur moi. Je la repoussai. Sous mes yeux impuissants, la jeune femme prit feu. 

 

– Non !

 

Annak hurla de douleur. Les flammes s’étaient déjà répandues à l’ensemble de son corps. Je tentai d’éteindre mes bras enflammés, pour l’aider. Les yeux fermés, mon cœur battait vite, les cris de la vénusiennes percutant mon crâne.

 

– Je n’y arrive pas, Annak… dis-je en sanglotant.

 

Mais les hurlements cessèrent. Le corps enflammé d’Annak s’écrasa sur le sol. Elle était morte. Les larmes emplirent brutalement mes yeux. Je me rendis compte que Victor s’était enfui. Je m’écroulai à mon tour, dans la nuit froide de Vénusia, laissant le profond vide du désespoir me consumer. 

 

*

*

 

Assise en tailleur au centre de mon cabanon, mes paupières étaient closes. Je humai le parfum diffusé par les bougies disposées en cercle autour de moi. De petites flammes se mirent à danser au bout de mes doigts. Je cherchai mentalement l’endroit où mon double s’était réfugié pour me fuir.

 

– Ce n’est pas la peine de t’enfuir, je vais te retrouver, dis-je.

 Mon double apparut. Il arborait une expression enragée. En même temps, il était ma colère. A force de méditation, je m’étais aperçue que contrôler ses pouvoirs ne consistait qu’à parler à ce double aussi patiemment que possible. 

On frappa à ma porte. 

 

– Mademoiselle Kimberlake ?  dit Konil.

 

J’ouvris les yeux alors que Konil franchissait le seuil de la porte.

 

– Oui ?

– Les vénusiennes souhaitent se réunir dès ce soir.

– J’éteins les bougies, et j’arrive tout de suite. 

 

Le mercurien m’adressa un hochement de tête et sortit. Mon pouls s’accéléra sous le poids de la culpabilité. Les vénusiennes avaient découvert les cendres d’Annak, quelques jours auparavant. Une réunion d’urgence avait été envisagée. Persiflaë redoutait que des milices mercuriennes soient sur mes traces et aient, finalement repéré le camp. 

Personne n’envisageait l’hypothèse que j’avais tué Annak moi-même.

 

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