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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
29 mai 2017

Chapitre 4

 

Konil me fit signe de monter les grands escaliers que j’avais vu lors de ma première visite. Ma chambre était pourtant déjà située au troisième étage. Nous traversâmes de longs couloirs blancs. Après d’interminables couloirs blancs, le garde m’arrêta devant d’immenses portes. 

 

– Nous sommes arrivés.

 

Il frappa à la porte et se déplaça sur le côté. Il tenait mon bras. Dans un grincement, les portes s’ouvrirent lentement sur une salle à la superficie démesurée. Au centre de celle-ci se dressait une table énorme, d’où la nourriture semblait jaillir à profusion. Des chandeliers y étaient savamment disposés et libéraient une teinte rose, qui colorait les nappes blanches de reflets rosés.

Tous les convives étaient déjà installés, et je me mis à rougir en prenant conscience que tous les regards étaient braqués sur moi. Je détestais les endroits trop grands, et trop peuplés, et j’incluais désormais cette immense salle dans mon répertoire des lieux à maudire.

Konil finit par me lâcher le bras. Il s’apprêtait à rejoindre d’autres soldats, lorsque je le retins.

 

– Tu ne m’accompagnes pas ? 

– Le Président vous attend au bout de cette table, me dit-il en désignant une table au centre de la pièce.

– Je dois vraiment y aller seule ? lui demandais-je. 

– Oui.

 

Puis Konil s’éloigna. Je me sentis soudain idiote dans cette robe, au milieu de tous ces gens que je ne connaissais pas et qui ne cessaient de se murmurer des choses à l’oreille en me scrutant. J’avançai lentement vers la table que Konil venait de m’indiquer. Le Président était effectivement en bout de table. Tout comme Alicia et Victor, bien sûr. Ce dernier me regardait d’ailleurs avec de grands yeux, qui me brisaient férocement le cœur. Ils étincelaient plus que jamais tandis qu’ils se posaient sur moi pour me détailler. Je lui rendis à peine son regard, mais je savais qu’un désir intense l’habitait. Réalisant qu’Alicia se tenait en face de lui, je me forçai aussi à ne pas la regarder. Un sentiment nouveau montait en moi. Une rancune indéfinissable. Pourquoi jouait-il à ce jeu alors qu’il m’avait pratiquement laissée mourir et qu’il était de surcroît fiancé ?

Je remarquai qu’Alicia me jetait des regards mauvais à l’instant même où les souvenirs de mes baisers avec Victor commençaient à affluer dans mon esprit. J’allais passer une bonne soirée, décidément.  Et alors que tout mon courage semblait fondre comme neige au soleil,  "ou vampire au soleil", me dis-je en regardant Alicia, le Président s’exclama :

 

– Tu es très en beauté Leen ! 

– Merci, répondis-je simplement. 

– Oui vraiment, murmura alors Victor.

 

Je m’installai sans plus attendre à table, sans rebondir sur le compliment que Victor venait de m’adresser. 

 

– Ta nouvelle chambre te plaît ? me demanda le Président. Tu ne regretteras pas la tienne, à Paris. 

– C’est probable.

– Allons, Victor m’a beaucoup amusé en me décrivant le milieu vétuste où tu habites.

 

Ma mère n’avait jamais eu des moyens démesurés, et je n’avais donc jamais vécu dans le luxe. Cependant, les personnes issues d’un milieu modeste n’aspiraient pas toujours à posséder davantage. Je n’appréciai donc pas la remarque du Président, car j’étais de ceux-là. Cependant, je m’empressai aussitôt de verrouiller mon esprit, tout en façonnant un cadenas mental. 

 

– Victor a effectivement le sens de l’humour.

 

Voilà que la colère parlait à ma place maintenant. Le Président ria de plus belle. Alicia me regarda de travers, et quant au principal intéressé, il me jetait un regard pathétique.

 

– Je parie que tu es curieuse de savoir à quoi ressemblera ta journée de demain ! s’exclama le Président Douglas avec un regard enjoué.

– Si tenté qu’elle y survive, dit soudain Alicia d’un ton sec.

 

Le Président la réprima d’un regard dur. Elle s’écrasa devant la figure paternelle.

 

– Je lui ai dit que nous autres les mercuriens étions des spécialistes du combat, continua Victor en rivant ses yeux étincelants sur moi. 

– Cela doit dépendre des circonstances, répondis-je.

 

Je me remémorai les images de mon agression par le Marsumien, la nuit où Victor n’avait pas bougé pour me sauver. Une irrépressible colère m’enveloppa et de la précieuse vaisselle en porcelaine se brisa au même instant.

Un silence s’installa à table.

 

Leen n’a décidément pas l’air très convaincue par nos talents, dit le Président avec un rire faux. 

– Une démonstration s’impose alors, ricana Alicia.

– Monsieur le Président, puis-je ? renchérit Victor. 

– Evidemment, fit ce dernier en riant de plus belle.

 

Victor alla alors se planter au milieu de la grande salle de réception. Je ne savais pas ce qu’il comptait faire. Il désigna un homme.

 

– C’est avec toi que je compte me battre, déclara Victor.

 

Et mon cœur se mit à battre dangereusement dans ma poitrine. Venait-il vraiment de désigner Konil pour un combat rapproché ?

Konil m’adressa un clin d’oeil réconfortant. Cette attitude n’était pas dans ses habitudes. Et donc, je n’étais pas réconfortée. Mes yeux passèrent de Konil à Victor, puis de Victor à Konil. J’avais sympathisé avec Konil ces dernières heures, et au contraire je m’étais éloignée de Victor, ces dernières semaines.  Il était incontestablement la personne la plus bienveillante que j’ai croisée ces derniers temps.  

 

– Victor est un excellent guerrier, dommage pour ton soldat, me dit soudain Alicia.

 

Une expression mauvaise s’était imprimée sur son visage démoniaque.

 

– Je ne t’ai pas sonné Alicia, lui dis-je.

 

J’entendis Alicia ricaner.

 

– Tu n’es qu’une petite peste, dit-elle avec dédain.

 

Je la dévisageai. Cette fille que j’avais trouvé belle me paraissait désormais bien laide. La voix de Victor résonna dans la salle.

 

– En position, soldat ! ordonna Victor avec un ton ferme. 

 

Je vis Victor dégainer son épée tout en me fixant d’un air de défi. Il la  brandit au dessus de sa tête, tandis que Konil faisait aussi de même. Victor reporta son attention sur son adversaire. Rapidement, lorsque leurs épées s’entrechoquèrent, il était clair qu’Alicia avait raison. Victor était majestueux, il était plus puissant et il allait gagner. Jusqu’où s’étendrait sa victoire ?

Le capitaine virevoltait déjà dans l’espace. Déchirant celui-ci des mouvements de son épée, il fendait l’air si vite. Il esquivait, attaquant dans l’unique but de vaincre. Vaincre, c’était si propre à lui. Et même si Konil se battait bien, bien ne serait pas assez.  

 

 Tu as raison.

 

La voix de Victor transperça soudain mon crâne.

 

Qu’est-ce que tu vas faire ?

 

Une expression résignée se figea alors sur son visage. Il continuait à frapper avec fougue.

 

– Le tuer, peut-être. 

– Non, ne fais pas ça !

– Je fais ce que je veux !

 

L’épée de Victor trancha habilement le bras de Konil. Du sang se répandit sur le splendide parquet de la salle. 

 

– Arrête ! 

 

J’eus une sensation pareil à celle de recevoir un coup.

 

– Hélas, c’est un exercice, nous ne sommes pas à l’abri d’une autre terrible erreur, dit à nouveau Victor en pensée.

– Konil ne mérite pas une telle haine, Victor !

– Détrompes-toi. J’ai vu comment il te regardait !

 

Victor avait-il vraiment tous les droits sur la vie de Konil ? J’avais mis en doute ses capacités de combat devant le Président. Or, les mercuriens voulaient me démontrer qu’ils étaient forts et infaillibles. Mais on aurait dit qu’ a contrario Victor faisait un simple caprice d’enfant, en profitant de cette occasion pour assouvir ses pulsions revanchardes. Après tout, il était le capitaine O’connor, et aussi, le fiancé de la fille du Président. La mort de Konil, un simple soldat, ne serait donc qu’un incident mineur aux yeux de cette aristocratie déguisée. Pourtant, la mort en elle-même n’était pas anodine et ne pouvait se justifiée par l’infantilité et la jalousie mal placée du capitaine.

 

– Tu es ridicule, lui dis-je finalement.

– Je suis ridicule ? renchérit-il.

– Comment oses-tu être jaloux ? demandai-je.

– Peu importe, sa vie n’a aucune importance.

– Tu ne peux pas faire ça ! implorai-je Victor.

– Je suis capable de tout, Leen.

 

Comme pour illustrer ses propos, Victor poussa Konil au sol tandis que l’épée de ce dernier tomba lourdement sur le sol. Il venait de perdre la bataille.

Je me levai précipitamment. Sans réfléchir, je tendis le bras vers Victor comme pour l’empêcher de commettre l’irréparable. 

 

– Ne le tue pas !

 

Plantée au milieu de la pièce dans une tenue de soirée grotesque, tout sembla subitement se figer autour de moi. Le silence dans la salle était complet. Victor semblait toujours furieux, mais il ne bougeait plus. Je scrutai les autres convives. En fait, plus personne ne bougeait. Je me précipitai vers Victor, et lui arrachai son épée des mains. Je la jetai à quelques mètres de nous. Puis tout revint à la normale et tout le monde bougea de nouveau. 

Victor me dévisagea, et regarda sa main vide. 

 

– Qu’est-ce que…

– Je t’ai empêché de le tuer, hurlai-je.

 

Le Président éclata soudain de rire. Je me tournai vers lui.

 

– Evidemment Leen que personne ne sera tué ce soir ! Ce n’est qu’un simple exercice voyons !

 

Je restai hébétée au centre de la salle de réception.

 

– Va rejoindre ta tablée soldat, dit Victor.

 

Il s’adressait à Konil, resté au sol. Konil se redressa. Je me retrouvai face à Victor, les yeux rivés dans les siens en signe de défi, au milieu du beau monde. Puis nous retournâmes enfin nous asseoir sans rien dire jusqu’à la fin du dîner. Il était évident que mon petit tour de passe-passe avait laissé planer une certaine incompréhension parmi les convives, et surtout chez le Président. Il me lança plusieurs regards interrogateurs. J’étais moi-même incapable de m’expliquer ce que j’avais fait. 

En revanche une chose était sûre, j’étouffais intérieurement dans toute la luxure de la soirée. Dieu soit loué, je parvins enfin à quitter la salle de réception.

 

*

*

 

    – Attends, me dit Victor. 

 

 Je m’apprêtais à franchir le seuil de la porte menant à la salle de réception.  Il se trouvait derrière moi.

 

   – Qu’est-ce que tu veux ? lui dis-je sans me retourner. 

   – J’ai été idiot, s’excusa Victor.

   

Je fis volte-face. 

 

  – Idiot ? Non, le mot est vraiment faible, Victor ! m’exclamai-je. 

 

Je me tus instantanément lorsque deux gardes mercuriens passèrent à côté de nous, plongeant toutefois mon regard dans celui de Victor. 

 

– Tu es promis à une autre, et tu t’autorises à être jaloux ! repris-je avec amertume. Qu’est ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

– J’aimerais que ce ne soit pas le cas, dit Victor. 

Il s’avança vers moi, jusqu’à m’effleurer. 

 

– C’est trop facile de vouloir sans ne jamais rien faire, dis-je.

 

Je m’écartai de lui, et empruntai les escaliers. Il ne semblait pas vouloir me retenir, à croire qu’il avait enfin retrouvé la raison.

Après avoir gravi les longs escaliers de l’école, et parcouru ses immenses couloirs blancs, je m’apprêtais à regagner ma chambre pour y prendre un bain brûlant.  Je fis couler l’eau dans la baignoire rectangulaire en marbre blanc. L’eau était rose. Cette couleur me donnait vraiment la migraine. Je déposai mon amulette sur le rebord du lavabo somptueux avec précaution. Puis j’ôtais mes habits, montai les marches menant à l’eau bouillante, et plongeai mon corps nu avec un grand soulagement. Mes muscles endoloris rencontrèrent avec grand plaisir la chaleur du bain. De la mousse se colla sur ma peau. Et je fermai les yeux quelques instants. Je regrettai aussitôt de ne pas avoir pris mon I-pod avec moi.

 

– Leen, dit soudain une voix que je ne connaissais que trop bien.

 

J’ouvris les yeux brutalement. Et regardai Victor, qui se tenait près de la baignoire. 

 

– Tu n’as rien à faire là, fis-je paniquée.

– Il faut vraiment que je te parle.

– J’en n’ai pas envie.

– Nous n’avons pas pu réellement parler, tout à l’heure.

– Justement, je n’y tiens pas.

– Il faut que tu m’écoutes, insista-t-il.

– Il n’y a que des mensonges qui sortent de ta bouche.

 

Un sourire triste se dessina sur les lèvres de Victor. Mes mains tremblèrent soudain violemment sous l’effet de la colère. Je ne voulais pas qu’il soit là. Je ne voulais pas qu’il me parle de cette sale mégère. Je ne supportais plus la vision de cette fille dans mon crâne, ni celle de Victor. Je bondis hors de la baignoire, inconsciente de ma nudité, en agitant le poing.

 

– Je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce que je ressens pour toi, dit-il précipitamment.

 

Victor me prit par la taille, ses mains touchant ma peau nue. Il me regarda de cet air de chien battu qu’il prenait sans cesse ces temps-ci, et colla  passionnément ses lèvres aux miennes. J’aurais dû le repousser. Mais je m’en sentais parfaitement incapable. Des tas d’images s’imprégnèrent alors dans mon esprit. Des images provenant de la mémoire de Victor, compris-je.

 

Il n’avait jamais eu le choix. Lui. Son enfance avait été sans histoire, il s’était épanoui au sein d’une famille aimante. Son père avait peut être été quelque fois trop protecteur… Mais très vite, Victor s’était révélé être un excellent guerrier, non… le meilleur, se souvint-il. Le Président lui-même durant sa jeunesse, l’avait déjà repéré. Il lui avait dit qu’il compterait sur Mercury.

Puis à ses 11 ans, Victor avait vu sa mère mourir. 

C’était la femme, morte dans le champs rose. Son cœur, mon cœur se serra, il avait eu les mains recouvertes de son sang. 

Maman, murmura Victor dans mon esprit. Ne me laisse pas ici. Ils me tueront pour avoir menti, dis un jeune Victor, pleurant de toute son âme.

Cette vision se brouilla. Puis, je me retrouvai aussitôt dans un autre endroit. Dans une maison, une petite maison, dans ce qui ressemblait à un salon. J’entendis des voix : 

– Victor, ne dis à personne d’où tu viens. Les mélanges entre habitants sont proscris, dit la mère de Victor.

– Mais c’est injuste !

– Ecoute un peu ta mère, fils, c’est important. Nous n’étions pas censés nous aimer. Tu es le fruit de notre erreur. 

– Je suis une erreur, père ?

– Tu as des dons extraordinaires, Victor, issus du mélange. Le côté marsumien de ta mère te rend plus fort, fils. Plus fort qu’un simple mercurien. 

 

La vision se brouilla à nouveau. Mais cette fois, c’était parce que Victor venait de détacher ses lèvres des miennes. Il était à bout de souffle. Ses yeux emplis d’une tristesse infinie. Je restai interdite, devant lui, dans ma salle de bain luxueuse. Il posa ses yeux tristes sur moi. Une lueur de désir fit soudain briller ses iris. Et alors je repris consciente de ma nudité, m’empressant d’aller chercher une serviette. Je rougis. Je la nouai autour de mon corps mouillé quand je constatai que mon amulette posée sur le lavabo, était totalement visible aux yeux de Victor. Je tentai de la cacher maladroitement, sans vraiment savoir pourquoi. Un réflexe sans doute. Je me retournai pour faire face à Victor. Puis je pris ensuite une grande inspiration avant de dire :

 

– Qu’est ce qui s’est passé ensuite ?

– Ma mère est morte. Et mon père a été exécuté.

 

Je m’avançai pour prendre maladroitement sa main dans la mienne. J’entrelaçai nos doigts, et il serra ma main un peu plus fort. 

 

– J’… J’aurais dû moi aussi, être exécuté, déclara Victor. Je suis une abomination.

– C’est totalement faux.

– Ce que mes parents ont fait… C’était proscrit.

– Pourquoi ?

– Le Président pense qu’il faut préserver la pureté de la race.

 

Ce discours me faisait horriblement penser à d’autres, tenus des années avant notre époque.

 

– Mais toi, tu es en vie.

– Oui.

 Pourquoi ?

 J’étais précieux aux yeux du Président. Alors, il a menti aux autres mercuriens, en disant que j’avais été kidnappé par des espions, arraché à une famille mercurienne qu’ils avaient exécutée.

– Pourquoi n’as-tu pas fui ?

– J’aurais été traqué, probablement capturé, puis exécuté pour avoir déserté. Si j’en avais parlé, j’aurais été exécuté aussi. Dans tous les cas, j’étais voué à la mort.

 

Il s’accrocha davantage à ma main.

 

– Alors pourquoi fiancerait-il une personne qu’il considère comme une abomination, à sa propre fille ? Ça n’a pas de sens, dis-je en secouant la tête. 

 

Et puis pourquoi m’aiderait-il moi, la vénusienne officielle de service, à accomplir cette fichue destinée dont je ne sais rien, s’il ne peut même pas blairer les autres contrées ?

 

– Kimberlaaaake, appela soudain Alicia.

 

Celle-ci venait de faire irruption dans ma chambre sans frapper. Je sursautai et lançai un regard paniqué à Victor qui détacha aussitôt sa main de la mienne. Il ne fallait pas qu’elle le surprenne. Il disparut instantanément. Je quittai la salle de bain, pour pénétrer dans ma chambre. Alicia était plantée devant mon nouveau miroir et se regardait d’un air distrait.

 

– On t’a jamais appris à frapper ? demandai-je agacée. 

– Je suis chez moi, contrairement à toi, vénusienne.

 

Alicia se mit à sourire à son propre reflet. Je levai les yeux au ciel.

 

– Rassure toi, je ne demande qu’à partir.

– C’est impossible, petite sotte. Père est persuadé que tu es l’élue, siffla-t-elle entre ses dents.

 

Elle cessa de se contempler dans le miroir, se retourna et posa son regard glacial sur moi.

 

– Victor est à moi.

 

Je lui répondis d’un air plus que désinvolte.

 

– Je vois, de personne il est donc passé à objet.

 

Elle se rapprocha dangereusement de moi.

 

– J’ai vu la façon dont il te regarde, dont il te parle, et j’ai lu une fois ses pensées quand il ne faisait pas attention, ria-t-elle avec une pointe de colère.

 

Je reculai.

 

– Et alors ?

– Et alors, je ferais n’importe quoi pour t’éliminer. 

– J’imagine que c’est une menace, fis-je. 

 

Alicia se redressa. Elle souriait. 

 

– Non, c’est une promesse, dit-elle.

 

*

*

 

– C’qu’t’as l’air toute molle aujourd’hui, dit Barbara.

 

Elle me toucha de la pointe de son pied. 

Elle m’avait en effet déjà aplatie sur le sol. Depuis qu’Alicia avait quitté ma chambre hier soir, j’étais complètement dépitée. Ma vie avait été tellement plus simple, avant. Il n’y avait pas toutes ces questions qui hantaient mon esprit. Je sentis instantanément l’amulette autour de mon cou me réchauffer la peau.

 

– Debout ! m’ordonna Barbara.

– J’ai mal… dis-je en soupirant.

 

Barbara me saisit par les épaules, me redressa sur mes jambes et me gifla.

 

– Tu es folle ou quoi ! m’exclamai-je.

 

Je me massai la joue endolorie.

 

– J’ai dit debout, sale mollusque !

 

Je levai le poing en signe d’avertissement. Barbara l’esquiva et me tordit le bras. Je hurlai de douleur. Puis elle me fit à nouveau m’écrouler sur le tatami.

 

– Première règle, t’dois juger les opportunités de combat qui s’présentent à toi, pas t’agiter comme une puce.

 

Elle me tendit son bras. Bras que je pris aussitôt dans ma main, puis tordis, et c’est Barbara qui s’écroula. Je fus moi-même choquée de la facilité avec laquelle j’avais commis ce geste, et regardai bêtement Barbara s’aplatir de tout son corps sur le sol. En se relevant, je craignis que cette masse me fasse regretter ce que je venais de faire. Pourtant, elle m’adressa un sourire carnassier dévoilant juste son manque d’hygiène buccale.

 

*

*

                                                          

Deux semaines d’entraînement intensif venaient de s’écouler. Deux semaines entières sur Mercury, alors que cela ne devait probablement faire que quelques heures sur Terre. Mon corps s’était incroyablement modelé. J’avais progressé dans l’art du combat. J’avais même épaté Barbara qui était toujours aussi sèche avec moi. J’avais quand même appris à l’apprécier. Ou du moins à la respecter. Et ce contrairement à Alicruella qui n’avait cessé de me descendre lors des dîners officiels avec son paternel. Quant à Victor, je ne l’avais pas revu. «  Le capitaine O’connor est en mission  » avait fièrement dit un soir le Président Douglas, que je ne pouvais plus voir en peinture. Enfin pas depuis que je savais pour les parents de Victor… Et pour son aversion pour les autres contrées. L’absence de Victor n’était pas agréable.

Après un énième dîner, et une énième journée d’entraînement, je regagnai ma chambre, en saluant Konil au passage.

 

– Bonne nuit mademoiselle Kimberlake, me dit celui-ci en inclinant la tête.

– Bonne nuit, Konil.

 

J’ouvris ma porte de chambre d’un blanc impeccable, jetant négligemment mes chaussures à talons au passage. Je détestais les talons. J’ôtai ma robe de soirée pailletée, enfilai une nuisette en satin rose. Après un rapide tour dans la salle de bain, je m’écroulai dans cet immense lit qui trônait au milieu de ma chambre. Et je sombrai dans un sommeil profond, le nez enfoui dans de moelleux coussins.

 

Lucas m’apparaît. Aussi distinctement que s’il est vivant. J’ai l’impression d’être totalement éveillée,  » Suis-je en plein rêve ?  » me demandé-je en mon fort intérieur. Car la vision de Lucas est tout ce qu’il me faut en ce moment. Du réconfort. Lucas sourit, de ce sourire magnifique qui courbe si bien ses lèvres. Il ressemble tellement à un ange, vêtu de la tête aux pieds, d’un blanc maculé. Ses yeux verts me scrutent attentivement. Et je fonds en larmes.

 

– Tu me manques tellement, craqué-je, les yeux obstrués par le chagrin. 

– Je t’aime, répond Lucas dont l’image s’efface déjà. 

 

Je sursaute dans mon lit. Je bats des paupières. 

 

– Je t’aime aussi Lucas. Si seulement, tu avais été encore en vie…

 

*

*

                                             

Quatrième semaine dans cette contrée au conformisme étouffant. C’était sans doute pire que la fois où ma mère et moi étions allées dans l’Aveyron rendre visite à ma tante désargentée, qui se donnait des airs nobles alors qu’elle touchait à peine le SMIC . J’étais obsédée par l’idée de retrouver une part de liberté qui incluait ma vie d’avant. J’avais besoin de réponses aussi, car si le Président s’employait à organiser mes journées autour de combats, il semblait soigneusement éviter de répondre à mes questions sur Vénusia. Bien sûr, ce n’était pas les seules questions qui me torturaient l’esprit. Mais je n’allais certainement pas en parler à cet homme. J’avais plus que tout, besoin de Victor.

 

*

*

 

On frappa à la porte.

 

– Oui ? fis-je.

– Devine qui c’est. 

 

Allongée en travers du lit de ma cellule, deviner ne me prit même pas une seconde. 

 

– Alicia. 

– Je peux entrer ?

 

Alicia avait à peine posé la question qu’elle se tenait déjà au milieu de la pièce. Elle se regardait dans le miroir, et faisait la moue. 

 

– Ouais, fais comme chez toi. 

 

Le reflet d’Alicia m’adressa un sourire faux. 

 

– Il faut qu’on parle. 

– Er… Moi, je préfère qu’on reste moins que des amies.

– Hilarant !

 

Je souris de toutes mes dents à Alicia avant de rouler des yeux. Je me redressai sur le lit. 

 

– Tu me veux quoi ? 

– Te libérer. 

 

Alicia venait de capter mon attention. Mais pourquoi voulait-elle m’aider ? Était-ce réellement dans mon propre intérêt ?

 

– Comment… ? fis-je.

– Ça se passera cette nuit, je viendrai te chercher ici. 

 

Son reflet dans le miroir avait l’air extrêmement sérieux. Nous nous fixions du regard. 

 

– Pourquoi tu m’aiderais ?

– C’est moi que j’aide. 

– Je ne vois pas en quoi. Tu te mets dans de beaux draps.

– Si c’est le prix pour me débarrasser de toi. 

 

Alicia se détourna subitement du miroir en faisant claquer ses talons sur le sol. Elle marqua une pause avant de sortir. 

 

– Et n’oublie pas de prendre tes affaires.

 

*

*

 

Ma chambre était complètement plongée dans l’obscurité. Je me levai du lit et mis mon sac en bandoulière. Puis je me dirigeai vers la porte.

 

– Ok, je t’ouvre.

– Ok.

 

La seconde d’après, Alicia se tenait devant moi dans l’obscurité.

 

– Donne moi ta main, fit-elle un peu brusquement.

 

J’étais clairement rebutée à l’idée que nos mains se touchent.

 

– Je te signale que je lis dans tes pensées.

– Très bien, ça m’évitera de te le dire.

 

Je perçus instinctivement la colère d’Alicia. Un sourire se dessina sur mon visage. Je lui tendis ma main. Elle la serra dans la sienne, puis nous disparûmes dans la nuit.

Nous fîmes réapparition dans une chambre luxueuse et blanche. Un feu rose crépitait dans une cheminée. Konil se tenait au milieu de la pièce.

 

– C’est ma chambre, fit Alicia. Elle n’est pas surveillée.

– Ok, et qu’est ce que fait Konil ici ?

– Vous partez ensemble.

– Sérieusement, il fallait que tu le mêles à ça ?

 

Konil me regarda aussi impassible que d’habitude. Il était crucial qu’il me téléporte, c’était visiblement la seule façon pour moi de quitter ma prison. Mon coeur se pinça légèrement, en réalisant ce que j’infligeais au garde. J’avais en effet eu un bon aperçu de la " justice mercurienne ".

L’image de la fille morte resurgit alors dans mon crâne. C’était la première fois depuis des semaines que je repensai aussi intensément à elle. Je ne sais pour quelle raison, mis à part le fait que j’avais été témoin de son meurtre sanglant. Pourquoi ce meurtre comptait-il en fin de compte ? Ce n’était pas comme si les meurtres ne faisaient pas partie intégrante de la nature de l’Homme sur Terre. Viviane Forrester disait ainsi à propos du rapport paradoxal entre l’Homme et les meurtres " Nous sommes réticents aux meurtres particuliers, mais permissifs aux génocides et résignés au meurtre général, biologique ". N’avais-je donc pas d’autres priorités peut être que des questions devenues aussi banales ? Ma vie partait littéralement en vrille, au delà de l’imaginable. Coincée dans un monde dont j’ignorais l’existence des semaines auparavant… Son horrible meurtre semblait devenu anodin. J’avais été arrachée brutalement à ma vie d’avant, apprenant l’existence d’un monde surréaliste où ma vie ne tenait qu’à un fil très fin. Je ne pouvais m’en remettre à personne. Pas même au Président Douglas dont le portrait devenait de plus en plus sombre. Il m’avait formée au combat mais volontairement maintenu dans l’ignorance. Les propos de Victor s’agitaient souvent dans ma tête. D’après lui, le Président était même responsable de la mort de ses parents. J’allais devoir m’en remettre à moi-même. Et à Konil qui allait devenir un fugitif, par ma faute.

 

– Alors, ne traînons pas plus longtemps ici, dis-je à Konil avec résignation. 

 

Je serrai mon amulette entre mes doigts, tandis que Konil posa sa main sur mon bras, avec un air mal à l’aise. Poser une main sur moi est inconvenant, Konil était tellement conformiste. Je souris. Je regardai une dernière fois Alicia avant d’incliner la tête. Je lui étais reconnaissante, mais certainement pas redevable. 

Quelques secondes d’embarras plus tard, Konil et moi disparûmes enfin.

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