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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky

29 mai 2017

Chapitre 7

 

– Leen, ne te laisse pas envahir par tes émotions !

 

Cela provient d’une voix lointaine.

 

– Konil, vous allez bien ?

 

Une autre voix lointaine.

 

– Je pense, je, je… crois que Mademoiselle Kimberlake m’a propulsé en dehors du cabanon… Je, je, ne me l’explique pas.

– Pourquoi scintille-t-elle ?

 

Je distingue une forme se rapprocher davantage que les autres. Je suis toujours colère. Je ne sais pas ce qu’est cette chose qui vibre en moi, mais rien n’apaise le sang bouillonnant dans mes veines. Un bruit sourd retentit. Puis un autre, et encore un autre. Mes yeux sont grands ouverts et pourtant, je ne vois plus rien.

 

– Faîtes quelque chose, elle va nous tuer !

– Leen, calme toi… Tu dois maîtriser ta colère, la contenir et l’enfermer dans une petite boîte, dit l’une des voix, une voix de femme.

– Une petite boîte, Persiflaë ? Ne me dîtes pas que c’est sérieusement de cette façon dont vous vous entraînez… répondit une autre.

 

La voix de femme me répète de me calmer et de me maîtriser. Mais elle n’a pas conscience de toute cette rage qui m’habite. C’est comme si nous étions deux dans ce corps trop étroit. Je prends alors conscience que nous sommes bien deux. Il y a moi, et il y a cette colère qui est un double de moi. Un double noir. Et bientôt, ce double se détache et je peux le regarder distinctement. Il a mon visage, il a mes traits fins, mais tout chez lui est violence et rage. Ses yeux lancent des éclairs, ses sourires sont mauvais. Je me rends compte que je ne suis pas cette personne.

 

– C’est bien Leen, continue.

 

Mon double veut encore semer la colère. Et moi, je ne suis plus tout à fait sûre de vouloir une telle colère. Je lui dis que je ne veux pas continuer, il est énervé. Il est plus agressif. Il veut rentrer en moi et prendre possession de moi. Je me bats contre lui. Je ne veux pas perdre le contrôle de moi-même. Je veux qu’il s’en aille.

 

– Va-t-en ! hurlai-je.

 

Je m’écroulai sur le sol du cabanon. Mes mains étaient crispées sur mon cœur. Je sentis aussitôt les bras puissants de Victor sur mes épaules. Il m’attira contre lui.

 

– Tout va bien ma chérie, dit celui-ci.

 

*

 

Je ne sais pas, je n’avais jamais vu cela… répondit la première voix.

Cela ressemble à votre magie, pourtant.

Aucune de nous n’a ce don, soldat.

Taisez-vous tous ! Leen, est-ce que tu m’entends ?

 

Je battis des paupières en reprenant peu à peu conscience de la réalité. Konil et tous les autres étaient déjà penchés au dessus de moi, tandis que mon crâne me faisait souffrir et que les bras de Victor m’entourait toujours. Je constatai rapidement que du sang perlait sur le visage de Konil, et je sentis la panique m’envahir.

 

– Konil ? Mais… Pourquoi tu saignes ? demandai-je, les yeux toujours mi-clos.

 

Mon gardien regarda Victor qui était au dessus de moi, comme s’il cherchait son approbation des yeux. Celui-ci dû lui rendre un regard meurtrier parce que Konil, comme à son habitude impassible, resta muré dans un silence complet. 

 

Victor, arrête de faire ça, dis-je.

 

Je venais de percevoir le combat silencieux entre les deux hommes. 

 

Excuse moi Leen, me répondit Victor. 

 

Ses mâchoires se serrèrent. Victor prenait sur lui même s’il était fier. 

 

Mes sœurs et moi allons t’examiner, coupa Persiflaë.

Vous allez faire quoi ?

Tes pouvoirs de vénusienne s’éveillent, ce sera un simple contrôle, dit la Reine vénusienne. 

 

Elle tentait de me rassurer et fit un sourire bien évidemment, parfait.

Elle se redressa et déploya gracieusement ses bras dans l’espace confiné du cabanon. Je réalisai alors qu’une dizaine de vénusiennes s’était déplacée aussi. Je reconnus la jeune Annak dont le visage restait impassible. Soudain, la masse de sœurs se mit en mouvement. Un murmure se fit entendre, puis un chuchotement un plus fort. Tandis que le son s’amplifiait, mon corps lui se surélevait.

 

– Grâce à vous, elle fera un formidable oiseau c’est sûr… railla Victor.

 

Fatiguée, je me laissai « examiner ». Une sensation réconfortante de chaleur m’entoura, puis des picotements se propagèrent dans mon corps quelques instants.

 

 L’Oxydarium ne révèle rien d’anormal… dit Persiflaë.

 

Je la dévisageai. Son expression semblait perplexe. Elle ne disait pas tout.

 

– Si ce n’est une grande quantité de soufre.

Quelles sont précisément vos conclusions ? demanda Konil.

– Sa nature vénusienne est probablement en train de se manifester, comme l’indique le surplus de soufre, remarqua Persiflaë.

 

Un silence envahit le cabanon.

 

– Et c’est tout… ? fis-je à mon tour.

 

Un deuxième silence pesant envahit la pièce.

 

– Oui, dit Persiflaë.

 

Pourtant à l’entendre, quelque chose avait l’air de clocher. 

 

Mais ?

Nous allons te laisser te reposer, il faut simplement que je discute avec Monsieur Konil un moment.

 

Persiflaë m’adressa à nouveau un sourire charmant qui ne servait qu’à cacher une réalité peut-être moins charmante. 

 

 … D’accord. 

 

Tous sortirent de ma chambre simultanément. Je cherchai Victor du regard. Celui-ci ne cherchait visiblement pas le mien. Sans un regard, il sortit calmement du cabanon après que la jeune Annak l’ait précédé. Une chaleur autour de mon cou me rappela la présence d’Alutella… Pourtant, je ne l’avais pas sollicitée. Il m’avait semblé jusqu’alors que mon amulette ne se manifestait qu’en cas de danger. Je ne la connaissais peut-être pas si bien…

Je m’endormis plus tard, alors que la nuit était tombée depuis longtemps sur Vénusia. Mon sommeil était grandement agité par les images de Lucas, et de ma sœur qui ne cessaient de tenir des discours délirants dans mes rêves. Ils ne cessaient de répéter que j’avais la solution. Mon subconscient voulait-il m’envoyer un message ?

 

Lucas m’apparaît encore. Son image est plus nette. Je reste interdite devant ses traits familiers. Ses yeux brillent dans mes songes, tels que je m’en souviens.

 

– Je ne comprends pas pourquoi tu viens me hanter. Je n’ai aucune solution, tu… tu es mort.

 

De nouvelles larmes perlent sur mes joues. Les yeux de Lucas brillent de plus belle.

 

– J’ai l’impression que la communication est nettement meilleure… dit-il. C’est que tes pouvoirs se développent.

– C’est un rêve, aucun vénusien ne peut parler à un mort.

– Oh… Leen, il y’a tant de choses que tu ignores.

– Quelles choses ?

– Pour l’instant, tu dois savoir qu’on a envoyé un Kuulan sur Vénusia pour te tuer…

 

Mon sang se glace.

 

– Q-Quoi ?

– Leen, réveille toi il vient d’entrer !

 

Mes yeux s’ouvrirent brutalement. Un poignard poilu était brandi au dessus de moi. Je pris avec force le poignet du Kuulan qui bavait salement sur mes draps et le projetait sur le côté. Je sautai hors du lit, en position de combat. Mon cœur battait la chamade, tandis que je pris Alutella dans la main et lui ordonnai de se changer en épée. Une faible lueur rose se diffusa dans la pièce. Le Kuulan se redressa bien vite, et se jeta sur moi. J’évitai de justesse un coup de griffe et lui entaillais le bras. Le monstre hurla.

 

– ​Qui t’envoie ? lui demandai-je, essoufflée.

 

​Le monstre me regarda avec haine, et dans un grognement, il attaqua encore dans les ténèbres de la nuit qui était tombée durant mon sommeil. Je lui entaillai plus profondément l’abdomen. Le Kuulan cria de nouveau, mais sa force extraordinaire le maintenait en condition de combat.

 

– Je t’ai posé une question, alors parle ! hurlai-je.

 

Je tenais le Kuulan en respect avec Alutella. Il me regardait avec rage, tandis que sa bave maculait le sol du cabanon d’une substance écœurante. La colère commençait à s’emparer de moi, et la lueur rose émanant d’Alutella éclairait désormais tout l’espace du cabanon. J’avais peur de perdre une nouvelle fois le contrôle de mon corps. Je me concentrai sur les conseils de Persiflaë.

 

– Parle, ou je jure que ta mort sera extrêmement douloureuse !

 

Le monstre ricana.

 

– Crois-tu que j’aie peur de la mort ? dit-il.

 

Je déglutis. Il était évident que les Marsumiens n’étaient effrayés par rien et tous ceux que j’avais rencontrés jusqu’alors, avaient foncé tête baissée vers une mort certaine. Ils étaient pareil à des kamikazes. Ce qui signifiait aussi me dis-je, que quelqu’un tirait les ficelles et les manipulait comme de vulgaires pantins. J’étais en colère, cette personne qui agissait dans l’ombre semblait si lâche. Je sentis alors la chaleur monter dans mon corps.

Je restai hébétée lorsque je vis ma peau se mettre à scintiller.

 

– Qu’est-ce que… dis-je.

 

Le monstre profita de ce moment d’inattention pour se jeter sur moi. Il me plaqua au sol et approchait dangereusement ses dents pourries et acérées de ma gorge. C’est alors que je m’embrasai. Des flammes jaillirent de moi, et brûlèrent le marsumien qui gémit de douleur tout en se consumant.

 

– Non ! hurlai-je.

 

Je venais de tuer ma source d’information, réduite en cendres.

L’instant d’après Victor se matérialisa dans le cabanon tandis que j’étais assise par terre, les genoux repliés contre ma poitrine.

 

– Leen… dit-il.

 

Je redressai la tête.

 

– Que fais-tu là ?

– J’ai entendu des bruits bizarres qui venaient de ton cabanon…

 

Je le regardai sans rien dire, et désignai les cendres du Kuulan du menton.

 

– Tu as fait un feu ? s’exclama Victor.

– Non, c’est ce qui reste du Kuulan qui m’a attaquée.

 

Les yeux de Victor s’écarquillèrent.

 

– Et il ne reste plus rien de lui… dit-il.

– Ouais, je l’ai totalement brûlé apparemment.

 

Je dis cela tout en fixant mes bras. Ils avaient repris une apparence normale, mais j’avais très chaud. Victor replaça l’une de mes mèches derrière mon oreille et constata la même chose.

 

– Tu es brûlante… Est-ce que ça va ?

– Je crois que oui.

– Comment as-tu réussi à faire ça ?

– Il s’est passé la même chose que tout à l’heure. 

 

Victor semblait pensif. De mon côté, je m’étonnai qu’il soit venu seul. 

 

– Personne à part toi n’a rien entendu ? lui demandai-je. 

– J’étais tout prêt d’ici.

– Qu’est-ce que tu faisais dans le coin en pleine nuit ?

 

J’examinai le visage de Victor qui ne dévoilait rien. Son attitude paraissait étrange depuis l’instant où il avait quitté mon cabanon sans un regard. Une ombre passa dans son regard. 

 

– Je m’entraînais. 

 

Je me tus un instant, et regardai les cendres fumantes du monstre. Mes pensées se tournèrent à nouveau vers le Kuulan. 

 

– Je crois que quelqu’un l’a envoyé pour me tuer. 

– … Quoi ?

– Le marsumien, je veux dire. 

 

Je scrutai de nouveau Victor qui semblait totalement perturbé par mon raisonnement. 

 

– C’est vrai que les Marsumiens sont forts, mais qu’ils sont stupides… dit Victor.

– Je ne vois que le Président Douglas ou Alicia pour commanditer ça.

 

Je dévisageai Victor qui me dévisageait aussi. Son expression faciale était passée de la surprise à quelque chose d’absolument indéchiffrable.

 

– Alicia n’est pas assez rusée… dit Victor.

– Mais elle me déteste, fis-je. Et elle m’a déjà menacée.

– Quoi ?

 

Victor paraissait choqué. Comme s’il ignorait les prédispositions de sa chère et tendre à être une vraie garce.

 

– Vraiment Victor, ça t’étonne ? lui demandai-je.

– Arrête.

 

Le visage de Victor se ferma aussitôt, et il se détourna complètement de moi. Je me redressai. 

 

– J’ai quelque chose à faire, merci d’être venu, lui-dis-je. 

 

Il me tournait le dos, mais je le vis tressaillir malgré tout.

 

– Quelque chose à faire aussi tard ? demanda Victor en faisant volte-face. 

 

Je lui souris en pensant à ce qu’il m’avait dit un peu plus tôt sur ses propres occupations nocturnes. Un frisson me parcourut. Je me demandai comment il était possible d’aimer profondément une personne tout en sachant que l’objet de son amour était un être habité de secrets troubles.

Laissant Victor planté au milieu du cabanon et sans un mot de plus, j’ouvris la porte, et me dirigeai droit vers le cabanon de Persiflaë. Je comptais lui faire part de la tentative de meurtre du Kuulan, et de la façon dont je l’avais tué. Sur le chemin conduisant à la Reine, je repensai à mon rêve. Lucas y disait des choses étranges, qui ne cessaient de m’interpeller. Il avait laissé entendre que c’était sa façon d’établir la communication avec moi, avant de me sauver la vie. Cela supposait alors que d’une manière, Lucas était encore vivant… 

Je m’arrêtai devant le pas de la porte de Persiflaë et m’apprêtai à frapper à sa porte, quand celle-ci s’ouvrit à la volée.

 

– Leen, est-ce que tu vas bien ? demanda Persiflaë.

– Est-ce que tu sais que…

– Oui.

 

Je lus une réelle inquiétude dans les yeux de la Reine.

 

– Je lis tes émotions.

– Persiflaë, je ne comprends pas ce qui m’arrive, mes pouvoirs… Je suis perdue.

– Viens, entre. 

 

Je pénétrai dans le cabanon de la Reine qui était similaire au mien. Celle-ci m’invita à m’asseoir. A peine assise, je lui racontai d’un trait tout ce qui m’était arrivée avec le Kuulan, et mes interrogations naissantes. Pendant ce temps, Persisflaë fit chauffer de l’eau et coupa quelques plantes. Elle sortit deux tasses pour y verser l’eau chaude et faire infuser les plantes. 

 

– La colère est le premier sentiment que nous apprenons à maîtriser…

– Mais, être vénusienne c’est quoi au fond ?

– Tout ce que je peux dire c’est que nous maîtrisons les émotions, et que nos pouvoirs en dépendent.

– Et alors quoi, je suis en colère alors je m’enflamme ?

– Cela dépend, nous n’avons pas toutes les mêmes capacités.

– Comment ça ?

– Plus ta réaction matérielle à ton émotion est violente, et plus tu es puissante…

– Super, fis-je.

 

Je pris une gorgée du thé que m’avait préparé la Reine.

 

– Tu pourrais méditer pour apprendre à gérer tes émotions.

 

Je rigolai.

 

– Je suis une boule de nerfs depuis toujours.

– Ne te mets pas de barrières inutiles, il n’y a aucune fatalité dans la vie. Tu peux être tout ce que tu décides d’être.

 

Persiflaë m’adressa un de ses sourires parfaits et vint à côté de moi pour m’enlacer. Son contact m’apaisa aussitôt tandis que ses dernières paroles percutèrent mon esprit. J’avais vécu ma destinée comme une fatalité. En réalité, je pouvais décider d’être ce que je voulais même avec des tas de responsabilités. Je pouvais apprendre à contrôler mes pouvoirs comme j’avais appris à me battre. Je pouvais éviter à mes proches de mourir, même si je n’avais rien fait pour Lucas et ma sœur. Une partie de la culpabilité qui habitait mon cœur s’envola à ce moment-là.

 

– C’est tout ce qui te tracasse, ma chérie ?

 

Persiflaë me sortit de ma torpeur l’espace d’un instant.

 

– Non.

– Parle-moi.

– Tu ne semblais toujours pas rassurée tout à l’heure, après mon « examen »… Il y’avait un problème ?

 

L’étreinte de Persiflaë se desserra, et nous nous regardâmes sérieusement.

 

– Ce n’est pas ça…

 

Persiflaë semblait chercher ses mots avec soin.

 

– Tu es vraiment spéciale.

– Tu veux dire par rapport à la réaction matérielle que j’ai eue suite à ma colère ?

– Il y a un peu de ça.

 

Il y a un « peu de ça » signifiait aussi qu’il y avait aussi « un peu » d’autre chose. Persiflaë ne disait pas tout pour une raison inconnue. Cela me décevait, car je pensais qu’elle me faisait confiance plus que quiconque.

 

– Tu ne me dis pas tout…

– J’ai senti quelque chose de bizarre en toi, quelque chose de légèrement différent, sans pouvoir l’identifier précisément. Je suppose que c’est en rapport avec la prédiction sur ta destinée.

– Tu crois qu’en m’examinant, on peut carrément deviner qui je suis et ma mission ?

– J’ai l’impression, oui.

 

Cela pouvait expliquer pourquoi les Kuulans ne doutaient jamais de mon identité lorsqu’ils cherchaient tous à me tuer. Cela était donc dangereux. En même temps, je me demandais aussi si ma différence n’avait pas un lien avec le fait de parler aux morts…

 

– Tout va bien, Leen ?

– Mise à part ça, oui.

– D’accord.

– Je pense que je vais retourner dormir, je suis fatiguée.

 

Persiflaë m’adressa un sourire.

 

– Merci pour le thé, bonne nuit, lui dis-je.

– Bonne nuit ma chérie.

 

Persiflaë me tint la porte, et je regagnai mon cabanon. Je ne l’avais pas dit à la Reine vénusienne, mais j’avais d’autres projets que le sommeil.

Arrivée dans mon cabanon, je me débarrassai des cendres du Kuulan. Je sortis quelques bougies que j’avais repérée depuis plusieurs jours. Je les disposai en cercle au centre du cabanon sans trop savoir ce que je faisais. Ensuite, je m’installai en tailleur au centre du cercle et fermai les yeux après avoir allumé les six bougies. Je voulais commencer à appréhender la méditation. Mais je voulais aussi établir une nouvelle fois la communication avec Lucas.

Les minutes s’étirèrent, jusqu’à ce que je me sente parfaitement détendue. Il me semblait que mon esprit commençait déjà à se détacher de mon corps. Je pouvais me voir assise en tailleur au centre du cercle de bougies allumées, Alutella brillant sur ma peau. Je survolai mon cabanon, quittant très vite Vénusia. Mon esprit sembla filer à des kilomètres de la contrée rouge : je n’avais qu’une idée, retrouver Lucas. Mon esprit vola jusque dans un univers sombre, et chaotique : je survolai un sol depuis longtemps asséché, parsemé d’arbres chétifs et dépouillés de leurs feuilles. Tout était rendu flou par la présence d’un épais brouillard. De la glace recouvrait ce paysage, pourtant je ne sentais pas le froid.

 

– Lucas, j’ai besoin de te parler… dit mon esprit.

 

Je distinguai vaguement des silhouettes dans ce brouillard. Elles allaient et venaient d’une grotte obscure et peu rassurante, à coté de laquelle poussait des œillets blancs. Mon esprit tenta de s’en approcher, mais quelque chose semblait l’en empêcher.

 

– Je suis là, dit Lucas.

 

La silhouette nébuleuse de Lucas apparue d’entre les arbres. Il n’était plus comme en rêve. Il semblait fatigué, il était maigre et portait des chaînes imposantes.

 

– Lucas… Mais qu’est-ce qu’on t’a fait…

– On m’a tué.

 

Je ne ressentis rien sous ma forme d’esprit. Les mots de Lucas semblaient juste évoquer un fait : il était mort assassiné.

 

– C’est pour ça que tu hantes mes rêves ?

– Oui, tu es notre seul espoir. Il faut que… Il faut que… Tu retrouves qui nous a fait ça.

– Vous êtes plusieurs ?

– Des milliers… C’est ici que j’ai rencontré ta sœur.

 

Mon esprit regarda Lucas, dont les yeux s’étaient emplis de tristesse.

 

– Elle te ressemble tellement, comment oublier que tu me manques.

– Qu’est-ce que je dois faire Lucas ?

 

J’entendis une voix lugubre qui fendit l’air. Lucas se retourna quelques instants, et quand il m’adressa à nouveau la parole, il était effrayé.

 

– Trouve qui nous fait ça, Leen. Je dois partir, ou… ou.. ils vont…

 

Lucas ne semblait pas pouvoir en dire plus. Ses yeux exprimaient tant de frayeur…

 

– Je t’aime, Leen.

 

Lucas disparut. Je sentis peu à peu que mes forces à moi aussi s’amenuisaient, il me semblait extrêmement difficile de me maintenir sous forme d’esprit, loin de mon corps. Instantanément, j’ouvris les yeux et me retrouvai au centre de mon cabanon. J’avais le cœur battant. De la sueur dégoulinait de mon visage. Lucas avait été assassiné… Mais, par qui ?

Je décidai de me lever pour me rafraîchir dans ma petite salle de bain. L’eau fraîche me fit du bien. Tandis que je taponnai mon visage à l’aide d’une des serviettes mises à ma disposition, j’entendis des voix provenant de l’extérieur. Mon poul s’accéléra : des intrus avaient-ils faits irruption dans le camp ? J’allai jusqu’à la porte, et l’ouvrit discrètement. L’air de Vénusia me fit immédiatement frisonner tandis que ma robe se mit à onduler à cause du vent. Je scrutai les ténèbres à la recherche des silhouettes, mais ne vis rien. Pourtant, les voix continuaient à se faire entendre.

 

–  Je ne sais pas si c’est bien… dit une voix hésitante et féminine. 

– Tu n’as pas à t’inquiéter. 

 

J’eus un pressentiment étrange, tandis qu’Alutella se mit une fois de plus à chauffer ma poitrine. J’avançai doucement dans l’obscurité cherchant d’où provenait les voix. Je venais de dépasser le cabanon voisin lorsque je reconnus deux silhouettes, cachées dans les ténèbres de Vénusia. Mon sang se glaça devant la scène.

 

–  Et si, si… elle finissait par nous en vouloir ? Dit Annak.

–  Nous n’avons pas à lui en parler. 

 

Victor prit Annak par la taille, et l’embrassa passionnément. Simultanément, des larmes commencèrent à perler sur mes joues. 

 

– Ouais, ce serait inutile.

 

Je me détachai de l’obscurité. Il me sembla que les yeux d’Annak venaient de s’écarquiller en m’apercevant. Tandis que la colère montait en moi, je sentis peu à peu que je perdais une nouvelle fois prise.  

 

– Oh, Leen… Tu tombes bien, j’allais justement passer te voir, dit Victor.
 

Je le dévisageai avec dédain.

 

– Ferme la, Victor. Alors qu’est-ce qui se passe entre vous deux ? repris-je. 

 

Annak implora Victor du regard. 

 

– Je… Je suis tombée amoureuse de lui, dit Annak à sa place. 

 

Elle se mit aussitôt à sangloter.

 

– Je te prie de me pardonner, je savais que c’était interdit, couina-t-elle encore.

– Interdit ? m’offusquai-je.

 

Mes yeux se posèrent sur Victor. Je ne le voyais plus avec netteté car j’avais du mal à retenir mes larmes. Que m’avait-il fait ? Que m’avait-il fait croire ? Qui était-il, que ressentait-il ? Ressentait-il vraiment ? N’était-ce qu’un jeu ? N’était-il que le classique goujat qui abuse de la faiblesse émotionnelle des femmes ? Le poids de ma colère devint soudainement insupportable. Mes deux bras s’embrasèrent. Les flammes vives s’étirèrent dans la nuit froide de Vénusia. Je m’avançai calmement vers Victor avec une haine meurtrière.

 

– Tu ne t’arrêtes jamais de mentir, n’est-ce pas ? dis-je à l’intention de Victor.

– Leen, ma soeur, arrête ! s’exclama Annak. 

 

Je considérai la vénusienne un bref moment. Mon intuition me disait qu’elle n’était pas vraiment coupable. Le seul responsable devait être Victor. Il avait une nature profondément obscure. Et c’était également un très bon menteur. Les flammes se ravivèrent à mes bras.

 

– Pousse toi, Annak.

 

Je n’étais plus qu’à quelques pas de Victor. Je voulais presser son cou de mes mains enflammées, ma colère alimentée par mon dégoût. Soudain, Annak se jeta sur moi. Je la repoussai. Sous mes yeux impuissants, la jeune femme prit feu. 

 

– Non !

 

Annak hurla de douleur. Les flammes s’étaient déjà répandues à l’ensemble de son corps. Je tentai d’éteindre mes bras enflammés, pour l’aider. Les yeux fermés, mon cœur battait vite, les cris de la vénusiennes percutant mon crâne.

 

– Je n’y arrive pas, Annak… dis-je en sanglotant.

 

Mais les hurlements cessèrent. Le corps enflammé d’Annak s’écrasa sur le sol. Elle était morte. Les larmes emplirent brutalement mes yeux. Je me rendis compte que Victor s’était enfui. Je m’écroulai à mon tour, dans la nuit froide de Vénusia, laissant le profond vide du désespoir me consumer. 

 

*

*

 

Assise en tailleur au centre de mon cabanon, mes paupières étaient closes. Je humai le parfum diffusé par les bougies disposées en cercle autour de moi. De petites flammes se mirent à danser au bout de mes doigts. Je cherchai mentalement l’endroit où mon double s’était réfugié pour me fuir.

 

– Ce n’est pas la peine de t’enfuir, je vais te retrouver, dis-je.

 Mon double apparut. Il arborait une expression enragée. En même temps, il était ma colère. A force de méditation, je m’étais aperçue que contrôler ses pouvoirs ne consistait qu’à parler à ce double aussi patiemment que possible. 

On frappa à ma porte. 

 

– Mademoiselle Kimberlake ?  dit Konil.

 

J’ouvris les yeux alors que Konil franchissait le seuil de la porte.

 

– Oui ?

– Les vénusiennes souhaitent se réunir dès ce soir.

– J’éteins les bougies, et j’arrive tout de suite. 

 

Le mercurien m’adressa un hochement de tête et sortit. Mon pouls s’accéléra sous le poids de la culpabilité. Les vénusiennes avaient découvert les cendres d’Annak, quelques jours auparavant. Une réunion d’urgence avait été envisagée. Persiflaë redoutait que des milices mercuriennes soient sur mes traces et aient, finalement repéré le camp. 

Personne n’envisageait l’hypothèse que j’avais tué Annak moi-même.

 

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29 mai 2017

Chapitre 6

 

Nous planions dans la cime des arbres rouges. Tout était soudain très calme, et aucune flèche n’avait fendu l’air depuis un long moment. Aucun son ne m’était parvenu, aucun homme ne s’était montré. Tout était paradoxalement très calme, quand la nuit tomba sur Vénusia. Je demandai à Alutella de nous déposer sur le sol pour le moment, en redoutant l’atterrissage. Il se passa plutôt en douceur. Ma blessure s’était remise à saigner pendant notre fuite, et Konil n’avait même pas repris connaissance. Sans parler de cette flèche qui traversait toujours son épaule. 

 

– Alutella, il faut que tu trouves les vénusiens, dis-je à mon amulette.

 

Celle-ci ne réagit pas, alors j’insistai.

 

– Alutella, trouve les vénusiens.

– Je pense que c’est fait, déclara une voix de femme.

 

Je scrutai l’obscurité. Les battements de mon cœur s’affolèrent.

 

– Qui vient de parler ?

– Moi.

 

Une femme s’avança au milieu de la clairière. Elle portait une toge pourpre ornée de bandes dorées. Sa beauté surnaturelle me coupa le souffle l’espace d’un instant, et je fus captivée par les symboles qui ornaient son bras ; des cercles mystérieux entremêlés dans des formes compliquées. Quelque chose de mystique émanait d’elle. 

 

– Qui êtes-vous ? fis-je éblouie.

– Mon nom est Persiflaë, fille de Luniticia, reine de Vénusia, dit la femme avec beaucoup de grâce.

 

Je n’en croyais pas d’avoir trouvé l’un des vénusiens. 

 

– Mon ami est blessé, et nous sommes pourchassés…

 

Je lui montrai Konil, qui gisait par terre. 

 

– Les mercuriens vont bientôt débarquer, on devrait s’en aller avant qu’ils ne nous trouvent !

 

Persiflaë sourit. 

 

– Personne ne vous plus aucun fera de mal.

 

Et de ses mots rassurants s’en suivirent un basculement de l’atmosphère. L’image de la clairière ondula littéralement sous mes yeux, et je basculai au cœur d’un univers tout droit sorti d’un conte de fée. Je me retrouvai près d’une cascade rafraîchissante aux eaux pures, au milieu de plantes géantes qui n’en semblaient jamais finir. 

 

*

*

  

– Donne moi ta main, Leen, dit Lucas.

 

Je lui donne ma main.

 

– Et maintenant, où allons nous ? Je lui dis.

 

Lucas me regarde de ses yeux verts fabuleux. Un sourire timide étire ses lèvres.

 

– Ils disent que tu peux nous sauver, Leen. Tous.

– Qui ça Lucas ?

 

Il se tourne vers moi, et pose ses mains sur mes épaules.

 

– Les personnes qui savent que je suis mort.

 

Je ne veux pas qu’il me rappelle qu’il est mort, officiellement, il n’a pas été retrouvé et..

 

– Je suis mort Leen.

– Non, tu ne peux pas, je dis dans un sanglot.

 

Il me prend dans ses bras, et c’est comme si je sentais de nouveau la chaleur émanant de son corps en vie autour de moi. Il pose sa tête au creux de mon cou.

 

– Tu peux me sauver, Leen. Tu dois le faire. C’est ce qu’ils ont dit, murmure Lucas à mon oreille.

– Mais de quoi tu parles ?

 

Mais je ne sens plus sa présence. Ni ses bras. Il est parti. Mes yeux sont remplis de larmes. Parfois, j’aimerais être morte moi aussi. Pour ne plus jamais le laisser partir. Il a dit que je pouvais le sauver, mais je n’y crois pas. Lucas est mort. Ma sœur est morte. Qui reviendrait de la mort ?

 

– Bonjour, dit une voix féminine.

 

La voix de Persiflaë m’extirpa de mes rêves.

 

–… Bonjour, répondis-je .

 

J’ouvris difficilement les yeuxJe tournai la tête en direction de la voix. Persiflaë se tenait dans l’encadrement de la porte de mon cabanon. Somptueuse bien sûr, dans une tunique d’un vert sapin, sur laquelle dansaient des sortes de rosaces argentées. Elle portait une ceinture d’un vert encore plus profond et je remarquai qu’une pierre rose pendait délicatement à son cou.

 

– Ton ami mercurien est réveillé.

– Je peux le voir ?

– Bien sûr. Mes sœurs ont préparé pour toi une toilette que je te laisserai passer. Rejoins moi dehors dès que tu as fini.

– Ok.

 

Persiflaë sortit hors du cabanon. Je regardai autour de moi, et aperçus la fameuse « toilette » dont la reine des vénusiens parlait. Une magnifique tunique bleue et or, des détails en dentelle, et une ceinture. Je me mis à la recherche d’une salle de bain, dans le cabanon que la reine m’avait attribuée la veille au soir, et tombai finalement sur une cabine de douche en bois ; différents flacons anciens étaient disposés à côté, et je conclus que ce devait être les shampoings. Il y avait même un miroir dans la cabine de douche. Je m’engouffrai dedans et découvrit un système plutôt moderne que je n’eus pas trop de mal à actionner. C’était avec un plaisir énorme que je laissai l’eau chaude coulée sur ma peau. Je pris un flacon au hasard et m’en aspergeai. Je criai momentanément lorsque le produit toucha la blessure à peine cicatrisée de mon dos. Mais aussitôt une délicieuse odeur de rose emplit mes narines, et je fus au paradis malgré la douleur qui me lançait. En sortant de la douche, je tombai directement nez à nez avec mon reflet. Je n’avais jamais vu ma chevelure coupée court resplendir autant. J’enfilai ma tunique et revint me planter devant le miroir. Il me semblait avoir vieilli de cinq ans.

Je rejoignis Persiflaë et fus surprise par la fraîcheur diffusée par les cascades autour de nous. Le vent ébouriffa délicieusement mes cheveux, et je me sentis paisible au cœur de ce paysage fabuleux où la végétation était dense et colorée.

 

– C’est magnifique… 

– Le maintien de la paix est la seule façon de pratiquer notre magie, répondit simplement Persiflaë. 

 

Elle esquissait un sourire charmant. 

 

– Vous êtes des sorcières ? fis-je avec une surprise.

 

Je scrutai Persiflaë pendant quand nous marchions, et elle se mit à rire. Elle leva alors gracieusement le bras, et les rideaux d’eau formés par les cascades s’écartèrent. 

 

– On peut dire ça. 

 

Je ne savais pas quelle expression se dessinait sur mon visage, mais lorsque la reine me regarda, elle ria de plus belle. 

 

– Toi aussi, tu as des pouvoirs. 

– Oui mais je n’ai jamais fait un truc pareil…

– Ça va venir. 

 

Persiflaë m’attira contre elle en passant son bras fin autour de mes épaules, et je sentis instantanément un bien-être m’envahir. Son parfum embauma mes narines, et je me sentis protégée l’espace d’un instant. Elle était tellement différente du Président Douglas…

 

– Vous savez, j’ai l’impression de tourner en rond, et de ne rien savoir sur ce que je dois accomplir.

 

Persiflaë s’arrêta un moment, et posa un regard doux sur moi. Nous étions face à face au cœur de la végétation vénusienne. 

 

– Il faut sauver Solarium Leen. 

– Tout à l’air d’aller bien, je veux dire mise à part, les petites guéguerres entre contrées…

     Le beau visage de la reine sembla tout à coup se renfermer. 

 

– Non, des forces malveillantes poussent inéluctablement Solarium vers le chaos. Les guerres dont tu parles ne sont qu’une conséquence de la présence de ce mal. Ce que je peux dire, c’est que Marsum et Mercury sont perpétuellement en conflits avec le reste des contrées.

– Le mal doit forcément venir de là… et vous, vous n’avez rien vu venir ?

– En réalité c’est seulement depuis l’arrivée du Président Douglas que les guerres se sont multipliées. 

 

Nous nous remirent en marche sans plus rien dire. Je venais à peine d’apprendre ma véritable nature que déjà, je devais sauver une planète dont je ne savais rien. Cependant j’avais beau être sur la planète depuis peu, il m’était apparu évident que le Président Douglas portait de sombres secrets. Il m’avait même retenue captive, m’empêchant d’accéder à la moindre information. 

Après quelques minutes de marche, Persisflaë s’arrêta devant une bâtisse simple, en bois et décorée d’épaisses vignes vertes et de lierre. 

 

– Ton ami mercurien est ici, déclara la Reine vénusienne. Tu n’as qu’à le rejoindre par cette porte.

 

Elle désigna gracieusement une entrée. 

 

– Merci beaucoup, Persiflaë.

 

Après un dernier sourire somptueux, la reine s’en alla et je me retrouvai seule face à la bâtisse. Je m’engouffrai à l’intérieur, où je trouvai immédiatement Konil allongé sur l’un des nombreux lits présents dans l’immense et à la fois très sobre pièce. Celui-ci m’aperçut en premier.

 

– Mademoiselle Kimberlake, s’exclama mon gardien.

 

Konil avait l’air dans un meilleur état. 

 

– Tu vas mieux ? demandai-je.

 

Je me rapprochai du chevet de mon gardien.

 

– Eh bien, je me porte comme un charme.

– C’est sûr que passer si près de la mort, ça embellit forcément…

 

 Konil me sourit, avant de redevenir sérieux. 

 

– Merci, Mademoiselle Kimberlake, vous m’avez sauvé la vie.

Je hochai la tête. Konil était la seule personne que j’avais réussie à sauver parmi toutes celles que j’avais déjà vu mourir… Le souvenir de nos assaillants  humains se raviva dans mon esprit. Ces hommes avaient essayé de nous tuer en nous pourchassant comme du gibier. Konil avait dit qu’il s’agissait des Kuulans, et pourtant ils avaient eu l’air totalement humains. Sans aucune trace de toutes ces déviances faciales qui avaient du apparaître après toutes leurs « expérimentations » comme me l’avait dit un jour le Président Douglas. Et en même temps, je ne croyais pas du tout qu’il s’agisse de marsumiens restés humains. Je fronçai légèrement les sourcils en baissant le regard, puis je reposai mes yeux fixement sur mon gardien.

 

– Konil ?

– Oui ?

– Est-ce que les marsumiens sont vraiment tous… défigurés ?

– A ma connaissance, oui.

 

Konil avait répondu sans une once d’hésitation comme si cela semblait parfaitement naturel, ce qui me fit presque douter de ce que j’avais vu. Et pourtant le souvenir du camp des Kuulans hantait trop mon âme pour que je ne me rappelle pas de leurs horribles visages défigurés.

 

– Et s’il restait quelques humains ? Tu sais, certains auraient pu ne pas faire d’expériences.

– C’est impossible, dit catégoriquement Konil. D’ailleurs, pourquoi me posez-vous cette question ?

 

Fallait-il que je précise à mon gardien encore en rémission que nos assaillants n’avaient rien avoir avec les marsumiens que nous connaissions ? Qu’ils avaient une apparence parfaitement humaine et utilisaient des armes ? Une petite voix intérieure me fit taire. Et pourtant, elle n’apaisa pas mes craintes.

 

– Non pour rien.

 

*

*

 

On frappa à la porte. 

 

– Leen ? dit Annak.

 

C’était l’une des vénusiennes qui m’avait accueillie quelques jours auparavant. 

 

– Oui ?

– Tu as de la visite. 

 

Et Victor entra subitement dans le cabanon que Persiflaë m’avait attribuée, sans attendre l’invitation de ma sœur. Ses cheveux fous apparurent soudain, et j’eus le souffle coupé l’espace d’un très long, et très interminable instant. 

 

– Mais qu’est ce que…

 

Interdite, je dévisageai Victor comme s’il s’agissait d’un fantôme. 

 

– Je vous laisse, dit Annak.

 

Elle adressa un sourire réservé à Victor, et nous laissa seuls. Il ne resta alors plus que Victor. Mes yeux roulèrent vers lui ; sa mystérieuse mission ne lui avait pas volé sa beauté.

 

– Salut, commença t-il.

– Salut.

 

Un silence glacial s’installa entre nous.

 

– Je suis désolé de ne pas t’avoir prévenue de mon départ, dit Victor.

– Oh, ça, c’est rien. Dis moi plutôt comment tu m’as retrouvée.

– Les mercuriens savent que tu es ici.

– Comment c’est possible ?

– C’est eux qui vous ont attaqué. 

– Génial, et naturellement les vénusiennes te laissent entrer ici.

– C’est compliqué. 

 

Il baissa les yeux. Je sus qu’il n’en dirait pas plus à ce sujet.

 

– Je n’ai pas arrêté de penser à toi, dit-il.

– Super.

 

Je détestais tellement ces moments où la fierté prenait le pas sur mes sentiments. Il serait trop difficile d’admettre pour une fois qu’il m’avait atrocement manqué et que je n’avais remarqué que son absence durant toutes ces semaines. 

 

– J’aurais dû te prévenir, regretta Victor.

 

Ce qu’il disait me brisait secrètement le cœur. J’avais tant espéré le revoir, et en même temps, j’avais tant de doutes le concernant. Il semblait se confier à moi, puis il disparaissait subitement, me laissant seule ou en danger. 

 

– Où étais-tu ?

– Le Président Douglas m’avait confié une mission. 

– Qui concernait quoi ?

 

J’avais atrocement besoin que Victor me parle. 

 

– Je ne peux rien te dire. 

– Ouais, j’ai remarqué que tu avais des tas de secrets !

 

Je tournai les talons en passant l’arc que les vénusiennes m’avaient donné par dessus mon épaule. Je sortis du cabanon et courus vers la forêt. Juste au moment où la nuit tombait. Je lui en voulais tellement que son image était devenue insupportable.

Voilà quelques instants que j’étais dans une forêt que je ne connaissais même pas en le maudissant en pensée. Soudain, des bruits de pas se firent entendre derrière moi. Je frissonnai. Je reconnus des sons de pas. Ils étaient proches et je ne me faisais pas d’illusion dans ces forêts la nuit, il n’y avait que la mort qui rôdait. Je me retournai d’un seul bloc. Je tendis mon arc, en garde, la respiration saccadée.

Je me détendis lorsque j’aperçus Victor.

 

– Ah, c’est toi.

– Oui.

 

Je baissai mon arc, et fis mine de me remettre en route quand il me retint par le bras. Je le poussai par terre. Il m’attira vers lui, et je tombai sur le sol dur de la forêt.

 

– Tu devrais me laisser… fis-je.

 

En guise de réponse, Victor m’embrassa passionnément. Il posa ses mains sur moi, caressant toute la surface de mon dos griffé. 

 

– Non. 

 

Victor prit ma tête entre ses mains couvertes de plaies. Il m’obligea à le regarder.

Je me dégageai tant bien que mal de son emprise, repoussant ses bras, me remis debout et lui tournai le dos. Les larmes commencèrent à couler sur mes joues instantanément. Je me retournai, faible, et plantai mes yeux emplis de larmes dans ses yeux noisettes. Son beau visage éclairé par la lune, c’était le spectacle que je préférais. 

 

– Je ne veux pas te faire du mal, me dit Victor.

 

Je restai plantée là, devant lui. Je savais que cela ne mènerait à rien, qu’il incarnait à lui seul une source infinie de douleur et de déception, mais je me précipitai à nouveau désespérément sur lui, mes mains posées sur sa tête. Et l’embrassai. Passionnément. Il me rendit mon baiser, en plus fort, en plus intense et chaque parcelle de mon être se dissolvait avec ce baiser. Ce que je refusais d’admettre à voix haute, c’est que je mourais d’amour pour lui, moi aussi, maintenant et pour toujours. Sa langue entra en moi, et nos baisers s’enflammèrent. Il était la seule personne à pouvoir me briser d’un simple mot, la seule personne qui faisait mon bonheur. Je haletai sous l’impulsion de son baiser. Et lorsque ses mains se posèrent sur moi, je perdis absolument toute notion du temps et du raisonnable. Lui, c’était la seule chose qui comptait.

Je me réveillai au milieu de la forêt, vêtue de la veste que portait Victor la veille. J’ouvris les yeux, pour contempler le ciel au dessus de moi. Il me fallut plusieurs minutes pour réaliser où j’étais et ce qui s’était passé. Je me remuai légèrement près de Victor qui était allongé à mes côtés.

 

– Tu es réveillée, dit Victor dans un souffle. 

– Oui.

 

Victor passa un bras autour de mon ventre, resserrant mon corps contre le sien. Il colla ses lèvres contre ma joue.

 

– Tu as bien dormi ?

 

Je tournai la tête vers lui, et le regardai un instant. J’avais du mal à croire qu’on était là, lui et moi. Hier semblait si proche, et en même temps, soudainement si loin.

 

– Oui, et toi ? fis-je.

– Bien, répondit Victor.

 

Il prit soudain mon visage entre ses mains, et m’embrassa avec douceur. Et si on avait commis une terrible erreur ?

 

– Leen, rappelle toi que je sais lire dans tes pensées.

– Et ?

– Tu devrais arrêter de penser.

 

Nous rigolâmes en même temps. Mes lèvres se retrouvèrent aussitôt sur les siennes. Je plongeai mes yeux dans les siens. Il m’embrassa. Puis je décidai de me rhabiller. Je me levai, et passai mes vêtements de la veille. Victor ne dissimula bien sûr pas son plaisir à la vue de mon corps nu, ce qui lui valut une bonne dizaines de regards désapprobateurs. Il s’amusait à me déshabiller à nouveau, et je mis pratiquement quinze minutes pour finir d’enfiler tous mes vêtements.

 

– Tu restes là ? lui fis-je quand je fus prête.

 

Victor était encore allongé dans l’herbe rouge de Vénusia. Ses boucles brunes en bataille tombaient sur visage au centre duquel illuminaient ses beaux yeux noisettes. Il avait replié ses bras derrière sa tête. Et me fixait.

 

– J’arrive.

 

Je lui fis un regard mielleux. Alors que je contemplai Victor, il se rhabilla à son tour, et je ne pus m’empêcher de lorgner fébrilement sur son corps d’athlète. Sa peau reflétait elle aussi, magnifiquement le soleil. Il fut plus rapide que moi dans cette tache, et lorsqu’il eut fini, il s’approcha de moi en prenant mon visage entre ses mains. Mon cœur battit un peu plus vite. Il m’embrassa alors langoureusement, et mon hostilité disparut avec ce baiser. Il prit ensuite ma main dans la sienne, et on retourna au camp.

 

– Mademoiselle Kimberlake, fit Konil en m’apercevant, je vous ai cherché partout

– Qu’y a-t-il soldat ? fit Victor.

 

Il avait parlé d’un ton hautain qui m’agaça.

 

– Victor c’est bon, j’ai une langue je peux m’en servir, merci.

– Tu t’en sers même divinement… me glissa Victor en pensée.

 

Je rougis. Konil nous dévisagea un instant, son attention se fixant sur ma main entrelacée à celle de Victor. Effectivement, il était censé être fiancé… Mon cœur se serra. Est-ce que Konil pouvait entendre notre communication lui aussi ? Car il semblait absolument imperturbable, planté sous cet espèce de chêne rouge, malgré une pointe d’incompréhension qui semblait se peindre sur les traits de son visage.

 

– Non, il ne peut pas, me garantit Victor dont la voix se dispersait dans mon crâne.

– Génial, fis-je à mon tour mentalement.

 Alors qu’est-ce qui se passe Konil ? demandai-je.

– Ne pourrait-on pas s’entretenir en privé, s’il vous plaît ?

 

Konil me regarda avec insistance, en déplaçant ses yeux de Victor à moi. En mon for intérieur, je n’appréciais pas beaucoup la façon avec laquelle mon gardien nous dévisageait.

 

 Ok, on va dans mon cabanon, fis-je.

 

Je détachai à regret mes doigts de ceux de Victor. Je me tournai vers ce dernier en lui adressant un sourire et je vis, malgré le sourire qu’il me rendit, une ombre passer dans ses yeux. Puis Konil m’emboîta le pas jusqu’au cabanon en bois que Persiflaë m’avait attribué. Je grimpai les quelques marches me séparant de la porte, entrai, me stoppai et me retournai pour faire face à Konil. Celui-ci referma la porte derrière nous et se planta devant moi.

 

– Mademoiselle Kimberlake, dîtes moi que ce n’est pas sérieux.

– Quoi ?

– Vous et le capitaine O’connor.

– Ça ne te regarde pas, Konil.

– N’avez-vous jamais pensé qu’il puisse abuser de vous ?

 

Bien sûr que j’y avais pensé. A chaque instant, et à chaque fois, l’image de lui ne me sauvant pas du Kuulan revenait me hanter. Je n’oubliais pas qu’il était avec une autre, à laquelle il devait probablement avoir dit qu’il l’aimait, il devait l’avoir embrassée elle aussi. Je n’oubliais pas qu’il était du genre à partir des semaines sans me dire où il allait, et que je passai probablement en dernier sur la liste de ses priorités. Et tout ceci me perdait et me brisait inévitablement le cœur. Je n’avais pas besoin que l’on me dise que j’étais déraisonnable, je le savais pertinemment.

 

– Est-ce que c’est comme ça que tu parles de tes supérieurs maintenant ?

– Je préfère vous prévenir, le capitaine est fiancé.

– C’est tout ce que tu avais à me dire ?

 

Konil me scruta un instant comme s’il essayait de lire en moi. Puis il dût comprendre que sa question initiale ne trouverait aucune réponse.

 

– Non. Les vénusiennes souhaiteraient vous entraîner personnellement.

– Et pourquoi ne viennent-elles pas me le dire elles-même ?

– Persiflaë prévoyait de vous avertir tout à l’heure, mais il me semblait bon de vous mettre en garde.

– En garde contre quoi ?

– Les mercuriens ont l’habitude de se méfier de leur sorcellerie et…

– Ah oui ? Bah j’en ai une bonne sur eux, ils ont failli nous tuer !

 

Je mis une main sur ma bouche. Je venais carrément d’extérioriser ce que la petite voix de la raison m’ordonnait de passer sous silence. Ces soldats qui ne ressemblaient en rien à des marsumiens par leur apparence humaine, ce qu’avait fait le Président Douglas à Victor, ce qu’avait dit Konil d’un des marsumiens morts dans mon salon, tout ceci m’avait inéluctablement conduite à en déduire que les hommes aux arcs n’étaient rien d’autre que des mercuriens. D’ailleurs, Victor me l’avait aussi confirmé. Konil prit un air offusqué, et ses yeux marrons se posèrent sur moi avec les foudres de la colère.

 

– Depuis sa création, Mercury a toujours lutté pour le bien commun Mademoiselle Kimberlake ! Comment osez-vous porter de telles accusations !

– Tu as dit toi-même que tu ne savais rien du tout ! rétorquai-je avec de grands gestes emportés. 

– Sur la prophétie, oui. Ne confondez pas tout et ne prenez pas vos alliés pour vos ennemis ! dit un Konil très agacé.

– Mes alliés ? Que dalle ouais ! Ils ont essayé de nous descendre avec leurs flèches à la con, et surtout, surtout, j’ai passé des semaines là-bas sans jamais rien apprendre ! J’étais captive ! Tu ne vas pas me dire qu’Alicia n’a pas mentionné les circonstances de mon "départ" !

 

Konil eut l’air réellement surpris. Il ne savait donc rien. 

 

– Ne me dis pas que cette garce t’a menti !

– J’ai cru qu’elle me confiait une mission secrète. 

– Oui, la mission secrète c’était mon évasion, Konil ! Je pensais que tu le savais…

 

Sur ces mots, Konil retrouva son calme instantanément, et je vis dans ses yeux une lueur à la fois nouvelle et étrange. Comme si dans un éclair de lucidité, j’avais rassemblé les pièces d’un très vaste puzzle et avais visé, simplement juste. Au fond je savais très bien que rester sur Mercury était nocif pour moi, mais en avoir la certitude en cet instant précis, me fit sentir plus seule que jamais. Je réalisai que je ne pouvais me fier à rien, ni à personne, même pas à Victor. Je n’avais ni famille, ni amis. Il me suffisait de regarder Konil en face pour apprécier l’ampleur de ma triste solitude. Des larmes commencèrent à rouler sur mes joues, mes yeux s’obstruèrent et la vision de mon gardien se brouilla. Puis un sentiment de colère remplaça bien vite celui d’abandon qui venait de m’envahir et sans m’en rendre compte, je levai un bras dans la direction de Konil, qui se tenait planté devant moi avec un air, maintenant proche de la panique. Je crus même voir un instant ses lèvres remuer pour me dire quelque chose, sans pourtant percevoir ne serait-ce qu’un seul son. L’instant d’après il se produisit même une chose étonnante. La porte de mon cabanon s’ouvrit à la volée, et Konil fut littéralement propulsé hors de la pièce, dans la végétation de Vénusia. Je m’aperçus à peine que le temps se déchaînait en synchronisation avec ma rage intérieure, et que Persiflaë flanquée de plusieurs vénusiennes se précipitaient déjà vers moi. Non, je ne voyais plus rien, je ne voulais plus rien, je n’étais que haine.

29 mai 2017

Chapitre 5

– Partez de chez moi ! Bande de voyous ! s’écria une voix féminine. 

 

Konil et moi venions d’arriver dans ma chambre à Paris. Je regardai le garde avec un air paniqué.

 

– C’est ma mère !

 

Konil dégaina aussitôt son épée. Il s’engouffra à vive allure dans mes escaliers. Je me précipitai derrière lui en passant mon amulette autour de mon cou. Elle brillait intensément.

En arrivant dans le salon d’où provenaient les cris, je restai interdite dès que je les vis. Des marsumiens hideux la brutalisaient. Ils devaient être une dizaine agglutinés au beau milieu du mobilier que j’avais toujours connu, un voile de haine dans les yeux. L’un deux tenait fermement les poignets de ma mère entre ses mains poilues et griffues. Le regard de celle-ci se posa sur moi au même instant, et je sentis un profond sentiment de peur l’envahir.

 

– Appelle la police ! dit-elle.

 

La police était inutile face à de tels monstres. 

 

– Occupez-vous de ceux de gauche mademoiselle Kimberlake,  je prends la droite, me dit alors la voix de Konil en pensée.

 

Quelques instants après, le garde passait aussitôt à l’action. Il planta son épée dans le premier monstre qui se rua sur lui. Le monstre poussa une lugubre plainte avant que Konil ne lui tranche la tête. L’un des monstres s’en prit à moi.

 

– Ne la touchez pas ! criait ma mère.

 

Le marsumien ignora son avertissement un rictus malveillant déformant ses lèvres. Sa main difforme s’abattit sur ma joue, et m’arracha un hurlement. Lorsque je me ressaisis, je n’étais que colère. Le plat de ma main frappa les côtes du monstre, et je lui fis un croche pied. Mon entraînement payait. Le monstre grogna, et des vers s’échappèrent de sa gueule noircie par le tartre lorsqu’il tomba à la renverse. Mon amulette me brûla soudainement la peau. Je criai au beau milieu du salon. Je saisis l’objet dans ma main pour échapper à la douleur.

 

– Mademoiselle Kimberlake, vous allez bien ? cria Konil depuis l’autre bout de la pièce.

 

Une magnifique épée d’une lueur rosée surgit au moment même où Konil hurlait mon nom, d’entre mes mains. Je vis furtivement le visage de mon gardien se peindre d’une réelle surprise. Puis deux autres monstres se précipitèrent sur moi, toutes griffes dehors, avant que je n’ai pu réaliser moi-même ce qui venait de se passer. Je regardai mon amulette-épée entre mes mains. Une chose était sûre : ça allait être un bain de sang. Ma nouvelle épée se figea dans la chair du premier monstre qui m’assaillait. Celui-ci hurla, et tenta de me griffer à l’abdomen. J’esquivai l’attaque en bifurquant sur le côté libre, fis tournoyer mon arme dans les airs, et coupa la tête du monstre sans état d’âme. Du sang bleu m’éclaboussa, et le corps du marsumien s’effondra avec fracas sur le sol de mon salon.

 

– Ravissant, murmurai-je.

 

Je ne vis même pas mon deuxième assaillant lorsqu’il agrippa ses mains répugnantes autour de mon cou, et qu’il serra. J’étouffais. Mon épée brilla au moment où je ne voyais plus comment reprendre le dessus. Entre mes doigts égratignés, je savais ce qu’elle attendait. Je retournai l’arme contre moi-même, et la plantai dans le corps du monstre derrière moi. Il fut déstabilisé, ce qui me permis à lui aussi, de lui trancher la gorge. Le monstre tomba. Et ma mère hurla de plus belle. 

Je la cherchai du regard. Elle se débattait contre l’un des marsumiens. Il s’apprêtait à lui porter un coup fatal de ses griffes. Mon sang bouillit.

 

– Eh toi, mocheté ! hurlai-je à l’attention du monstre.

 

Je lui lançai mon épée au travers du salon. Elle se planta dans son crâne, entre les deux yeux. Ma mère hurla à nouveau, et me lança un regard de pure incompréhension. Puis ses yeux s’écarquillèrent, et elle couina :

 

– Derrière toi !

 

Je me retournai précipitamment. Je vis alors le dernier survivant marsumien me menacer d’une épée… ressemblant étrangement à la mienne. A l’exception près qu’elle luisait d’un bleu sombre. Un sourire cruel étira ses lèvres tordues.  

 

– Azitane, avec toi périt l’avènement de la Renaissance, dit le monstre dans un français torturé.

 

Il brandit son épée au dessus de sa tête, la gueule dégoulinante de bave.

 

– Arrière ! cria Konil.

 

Le garde avait bondi devant mon assaillant. Je me tenais derrière lui lorsque le monstre poussa un long cri. Tout en étirant ses lèvres putrides, il partit d’un rire dément. 

 

– Ôte toi de mon chemin mercurien, cracha le marsumien.

 

Le monstre ria plus fort. De la bave bleue coula encore de sa mâchoire. Ainsi que des larves qui se tortillaient à l’intérieur du liquide. Je vis Konil resserrer son étreinte autour du manche de son épée.

 

– Pathétique, articula difficilement le monstre.

 

L’épée de Konil frappa celle du marsumien avec une force impressionnante. Dangereuse. Rapidement ce fut l’épée de Konil qui se brisa sous l’impact de celle de son assaillant. Le monstre leva aussitôt son épée d’une lueur bleutée dans les airs, s’apprêtant à couper mon gardien en deux. Et je ne savais même pas où était ma propre épée, réalisai-je avec panique. Comme pour répondre à ma remarque, mon épée se retrouva de nouveau dans ma paume après avoir volé d’elle même depuis l’exact opposé de la pièce. Je restai hébétée quelques secondes avant de renouer avec mes réflexes de combat. Ma nouvelle épée trouva celle du monstre avant qu’elle n’atteigne sa cible. Mais la violence de ce contact m’envoya valser à l’autre bout du salon.

 

– Leen ! 

 

Ma mère accourut vers moi, juste au moment où le marsumien se précipitait aussi en ma direction. Il venait d’asséner un puissant coup de poing à Konil, qui s’était laissé déconcentré par mon vol plané. Le marsumien lui n’hésita pas, et brandit ses griffes avec fureur. Je réalisai alors avec horreur que ma mère venait de faire barrage entre mon corps endolori et mon potentiel assassin empli de haine, la menant à une mort inéluctable. Je rassemblai ce qui me restait de force et me jeta sur ma mère, juste au moment où le monstre hideux arrivait justement à sa hauteur. Il planta profondément sa griffe dans mon dos et la retira vivement. Je sentis un flot de sang imbiber mon t-shirt, avant de sombrer.

 

– Madame Kimberlake, votre fille…

 

Konil s’interrompit.

 

– Votre fille est réveillée !

– Leen ? 

 

J’ouvris difficilement les paupières. J’étais allongée sur ce qui restait du canapé du salon. J’avais terriblement mal au dos. On m’avait posé un bandage.

 

– Restez allongée, je vous ai appliqué un onguent, résonna la voix de Konil dans mon crâne.

– Qu’est ce qui s’est passé ? articulai-je péniblement.

– Je vais te le dire, moi ! Des délinquants ont tenté de cambrioler ma maison ! Et en plus, ils l’ont dévastée ! s’emporta ma mère, qui était devenue rouge de colère.

– Votre mère n’a pas remarqué que les marsumiens étaient morts, me fit Konil en pensée, leurs corps se sont volatilisés. Je contrôle actuellement son esprit. J’ai modifié quelques peu sa mémoire. Et j’ai réussi à lui faire oublier une partie des événements récents, dont votre état et l’identité des marsumiens. Malheureusement, je n’ai rien pu faire pour masquer les dégâts matériels dans votre maison…

– Comment ça modifié sa mémoire ?

– J’ai créé des souvenirs plus concevables dans l’esprit de votre mère.

 

L’étendue des compétences de Konil en matière de contrôle mental me fit frissonner. J’avais peut être sous estimé le danger que représentaient les mercuriens… Leurs corps s’étaient volatilisés… repensai-je soudain pour moi-même. Cela me rappelait la disparition du corps de l’antiquaire. La voix de ma mère me sortit de mes souvenirs.

 

– Leen, jure moi que tu ne les connaissais pas !

 

Je levai les yeux au ciel. 

 

– Je ne vois pas où tu vas chercher ça…

 

Ce mensonge me mit mal à l’aise.

 

– Je sais très bien de quoi tu es capable.

 

Je la dévisageai. Elle se tenait en face de moi. Allait-elle me parler une énième fois de la disparition de Lucas ?

 

– Oh je vois, tu penses toi aussi que je l’ai tué, hein ? Donc à tes yeux, je suis capable de n’importe quoi !

 

Ma mère marqua une pause. Son visage n’exprimait rien. Et pourtant ses yeux acquiesçaient silencieusement. Je n’arrivais pas à croire que ma propre mère ne me fasse pas confiance. Plus je la regardais, et plus je me demandais même qui était en réalité cette femme en face de moi. Et une évidence s’imposa alors à mon esprit.

 

– Alors tu m’as adoptée, pas vrai ?

 

Son visage se décomposa littéralement.

 

– Qui t’a dit ça ?

 

Je venais à peine d’en avoir l’intuition. Selon les oracles et selon tout le monde, je bénéficiais de grands pouvoirs. Comment se serait-il pu qu’une humaine comme ma mère puisse être ma mère biologique ? Elle tenait des discours que je trouvais désormais aberrants par rapport à ce qu’était ma nouvelle vie, tout simplement parce qu’elle ne se doutait de rien. J’eus envie de fondre en larmes, mais je me rappelai alors que Konil était présent.

 

– Je ne comprends pas ce qu’ils faisaient chez moi, lui fis-je. 

– Je ne sais pas non plus. Ce n’est pas dans leurs habitudes. 

 Comment ça ? 

 Les excursions sur Terre.

– Ils se sont peut être dit que l’adoption était une grande réussite, et que cette femme avait réussi suffisamment à m’aimer pour tenter de me protéger d’eux. 

 

Je sentis la distante compassion de Konil.

 

– J’ai réussi à lire dans l’esprit de l’un d’eux. J’ignorais que c’était possible. 

– Et alors ? 

– Je suis perturbé par ce que j’ai découvert. 

Pourquoi ? 

Le monstre avait pensé "Goum toukala fraum Mercurysse"… Mon marsumien n’est certes pas excellent, mais littéralement cela signifie, "Gloire à la Mercury noire et félonne". 

 

Je restai figée.

 

– Leen, tu m’écoutes !

 

Ma mère venait de me crier dessus. 

 

– Non, je ne t’écoute pas.

 

Je me levai franchement du canapé pour m’éloigner le plus loin possible d’elle. 

 

– …De toute façon au vu des circonstances, le mieux serait que tu ailles dans cette pension.

 

Je ris intérieurement. Elle avait toujours pensé que m’envoyer en pension revenait à m’enfermer en prison. Pourtant, j’aurais préféré aller en pension plutôt que d’assumer ma nouvelle vie.

 

– Nous pouvons toujours faire demi-tour, dit Konil en ignorant ma mère.

– Hors de question.

 

Je regardai Konil droit dans les yeux. 

 

– Je ne crois pas que les mercuriens soient de mon côté.

– Mercury a toujours fait de son mieux pour protéger Solarium et…

– Tu as lu ce que je pensais ce Marsumien, Konil !

– Ils n’ont jamais été très fiables.

– Je crois qu’au contraire c’est parfaitement cohérent. Il pourrait s’agir d’un complot ?

 

Le visage de Konil se ferma un peu plus. 

 

– Admettons, de toute façon il faut que l’on trouve un endroit moins dangereux. 

– On a qu’à aller ailleurs…  Allons sur Vénusia ! La prophétie dit que je suis vénusienne.

– Que fait-on de votre mère ?

– Elle sera mieux sans moi.

 

Je reportai mon attention sur ma mère adoptive, Louise Kimberlake. 

 

– Konil et moi, on va aller chez Molo.

– Je ne t’en n’ai pas donné l’autorisation !

 

Konil me regarda désespérément. 

 

– Ah oui ? Bah, tu ne m’as pas donné naissance non plus !

 

Je remontai dans ma chambre à toute vitesse, en grimaçant à cause de la douleur dans mon dos. J’attrapai mon sac et y engouffrai quelques affaires. Ma mère fit irruption sur le seuil de ma porte, le visage couvert de larmes. 

 

– Ne me laisse pas… Je suis désolée… ma chérie… 

 

Je vis volte-face. Moi aussi, j’étais sur le point de fondre en larmes car j’aimais cette femme qui m’avait élevée plus que tout. Mais c’est justement parce que je l’aimais, que je devais être forte, et partir le plus loin possible d’elle. 

 

– Je dois y aller. 

 

Je passai près d’elle sans un regard, et descendis rejoindre Konil. Cela faisait horriblement mal d’aimer une personne plus que son propre bonheur.

 

 

*

*

 

– Nous y sommes ? demandai-je à Konil, en remarquant l’herbe rouge à mes pieds.

 

 Le garde me traînait sur un brancard de fortune qu’il m’avait fabriqué après notre téléportation.

 

– Oui, mademoiselle Kimberlake.

 

Je souris. J’avais finalement convaincu Konil de ne pas se rendre sur Mercury.

 

– Le comble pour une vénusienne.

 

Avant de quitter ma maison à Paris, Konil avait insisté pour que l’on gagne un endroit moins dangereux. J’avais refusé de retourner sur Mercury. Konil m’emmenait donc par dépit, à Vénusia. Je lui en étais reconnaissante, car je ne savais plus où aller. Konil lut la rancune qui me traversa l’esprit.

 

– Je suis désolé.

– Tu parles de ma mère ?

– Oui. 

 

Je marquai une pause. 

 

– Ce n’est rien.

– C’est mieux que votre mère ne sache pas pour Solarium ni tout le reste.

– Je ne comprends même pas ce dont tu parles, Konil. 

 

Je regardai le mercurien avancer les sourcils froncés. Était-il en train de se demander ce que j’étais en droit de savoir ou non ?

 

– Solarium est le nom de cette planète, expliqua Konil, son existence doit rester secrète, c’est l’un des sept grands préceptes.

– Ah… ouais, on me l’avait déjà dit. 

 

Cela semblait si irréaliste.

 

– Et pourquoi l’herbe est rouge ici ?

– Cela doit avoir avec la magie qu’on y pratique, dit finalement Konil après un moment d’hésitation.

– Mais tu n’es pas vraiment sûr hein ?

– Je ne suis pas le plus à même de vous répondre.

– Pourquoi ?

– J’ai eu une éducation limitée.

 

Je riai.  

 

– J’ai vu vos bibliothèques, hein.

– Les simples soldats n’y ont pas forcément accès.

 

Encore une fois, je me dis que le Président avait vraiment quelque chose à cacher. Les mercuriens se vantaient sans arrêt d’être les intellectuels de Solarium, mais tous les mercuriens n’avaient pas un égal accès à cette culture. Nous continuâmes à avancer dans les hautes herbes rouges de Vénusia, au milieu des collines. Konil tirait le brancard de fortune qu’il avait construit dès notre arrivée, avant de m’y déposer. Je n’avais plus vraiment mal, mais Konil pensait que cela me reposerait. Je regardais le ciel en ne pensant à rien.

 

– Puis-je vous poser une question ? me demanda Konil après un moment de silence.

– Oui.

– Comment avez-vous eu cette amulette ?

 

Je me raidis instantanément.

J’avais la manie quasi-obsessionnelle de cacher mon amulette de la vue de tout le monde. Mais je n’avais pas pu la dissimuler pendant le combat.

 

– Je l’ai trouvée sur une scène de crime.

– Une scène de crime ? 

– Quand j’étais à Paris j’ai assisté à un meurtre, avec une fille… Et une espèce d’homme à capuche qui la poursuivait. Mais ça n’a pas tant d’importance finalement… fis-je, faussement désinvolte.

– Comment était cette fille ? 

– Jeune. Et mon nom était tatouée sur sa peau… me rappelai-je aussi moi-même. 

 

Un silence s’installa entre nous. 

 

– En fait, j’en ai déjà parlé à Victor, et nous n’avons pas eu le temps d’en savoir davantage…

 

Je me sentais encore coupable d’avoir été aussi impuissante. En fait, il y avait tellement de choses en général qui m’échappait dans ma nouvelle vie.

 

– Par le Président, jura Konil.

– Quoi ?

 Je pense que vous avez du revivre le meurtre de votre sœur. 

 

Je restai interdite.

 

– J’avais une sœur ?

 

Konil lâcha mon brancard. 

 

– Je suis désolé… Cela est arrivé, il y a quelques années.

– C’est impossible, répondis-je catégoriquement. 

– Mademoiselle Kimberlake, je n’ai aucun intérêt à…

– Attends, c’est impossible ! Je l’ai vue mourir il y a à peine quelques semaines, à Paris !

 

Je me levai du brancard pour faire face à Konil. J’avais l’impression d’être folle.

 

– Calmez-vous, Leen.

 

Konil oublia sa légendaire pudeur et trouva le courage de m’enrouler de ses bras musclés. Leur chaleur me réconforta un instant. Mais cette chaleur était si éphémère comparée au froid qui habitait désormais mon cœur. J’avais l’impression que le monde se dérobait sous mes pieds. Ma sœur était morte. Je ne l’avais jamais connue. Je ne la connaîtrai jamais. Et la seule fois où je l’avais vue, c’était pour mieux la voir mourir tandis que j’échouais lamentablement à la sauver.

L’étreinte de Konil se resserra. Parce qu’il venait de lire mes pensées.

 

– Leen, vous n’auriez pas pu la sauver, car c’était un souvenir.

– Quoi ?

– Je ne sais pas comment c’est possible… Mais, votre sœur n’est pas morte comme vous le croyez. 

– Je ne comprends rien !

– Il y a quelques années, votre sœur a été assassinée à Solarium. Son corps a été retrouvé sans vie, et complètement…

– Lacéré.

 

Konil marqua une pause.

 

– A cette époque sur Solarium, nous pensions tous que les oracles parlaient de votre sœur… 

– Et l’amulette, comment se fait-il que je l’ai trouvée là où j’ai vu ma sœur mourir ?

– Je pense que quelqu’un vous a envoyé ce souvenir, et en même temps, fait en sorte que vous trouviez cette amulette.

 

Si Konil disait vrai, il fallait que je découvre qui était la personne derrière tout cela.

 

– Attendez… vous avez mentionné le capitaine O’connor ?

– Oui, je,… je lui ai dit.

– Et il ne vous a rien révélé sur tout cela ? me demanda Konil.

– Non… 

 

J’essuyai mes larmes sur mon haut de mercurienne.

 

– Tu as connu ma sœur ?

– J’en ai seulement entendu parler.

– Et mes parents ? Je veux dire, mes parents biologiques ?

– Les oracles disent qu’ils étaient puissants.

– Ils sont morts eux aussi ?

– … Oui.

Décidément, j’étais une élue vraiment atypique. Tout le monde voulait me tuer, je ne maîtrisais même pas mes pouvoirs, sans aucune idée de ce que j’avais à accomplir, et bien sûr je n’avais pratiquement aucun allié. 

J’attrapai mon amulette, et l’examinai entre mes doigts.

 

– Et ça, tu sais à quoi ça sert ?

– Oui, c’est un objet magique qui décuple les pouvoirs.

 

A en croire ce qu’en disait le soldat, j’avais l’impression qu’Alutella m’avait été confiée dans le but de m’aider. Pour une fois.

Soudain, une flèche en métal se ficha dans l’herbe rouge juste à côté de nous.

 

– Ils nous ont trouvé ! cria Konil, courez !

 

Je vis Konil se redresser rapidement et se mettre à courir. Il ne me fallut qu’une micro seconde pour déguerpir à mon tour. Konil était devant moi et avait une foulée d’athlète motivée par la peur de la mort. Il me tenait le bras, et me poussait en avant. Nous courions comme de véritables dératés, tandis que d’autres flèches faites de métal se fichèrent dans le sol. L’une d’entre elles siffla si près de mes oreilles, que je crus l’espace d’un instant qu’elle allait me transpercer littéralement le crâne.

 

– C’est quoi ça ! m’époumonai-je

– Des troupes marsumiennes, mademoiselle Kimberlake ! Courez !

 

Mais nous n’allions absolument nulle part. Nous courions à travers un champs et j’étais persuadée que nous allions mourir ici, aussi exposés que nous l’étions. Pourtant mes jambes comme celles de Konil, ne cessèrent de fendre l’air. En fait, réalisai-je, j’avais dit n’importe quoi. Nous allions bien quelque part. Nous allions vers une forêt rouge, très épaisse. Et à vrai dire, mon amulette me brûlait tellement la peau que ça ne laissait présager rien de bon.

Nous courions toujours à travers champs jusqu’à la lisière de la forêt rouge. Mon cœur battait la chamade, de nombreuses flèches venues de nulle part m’avaient ratée.

 

– Un petit effort Mademoiselle Kimberlake, nous y sommes presque ! s’exclama Konil.

 

Il se retourna pour juger de mon état. J’étais à bout de souffle, mon gardien me traînait pratiquement derrière lui. Je me cramponnai alors plus fermement à sa main. Et il tourna encore sa tête dans ma direction pour s’assurer que j’allais bien. Nous étions beaucoup plus près de notre but maintenant. Je distinguai même distinctement la lisière de la forêt et quelques détails qui m’avait échappés… Jusqu’à ce que Konil pousse un cri strident qui retentit dans le champs d’herbes rouges.

 

– Konil ! m’écriai-je.

 

Le soldat m’entraîna dans sa chute. Je me retrouvai par terre avec lui. En me redressant, je constatai avec horreur qu’une flèche en métal était entrée profondément dans la chair de son épaule.

 

– Putain de merde, lâchai-je. Est-ce que tu m’entends Konil ? Konil ? fis-je.

 

Je tapotai vivement les joues du gardien. Celui-ci ne répondit pas. Et ne bougea pas non plus. Je tâtai alors son pouls pour savoir s’il était vivant. Il l’était. Jetant un regard derrière moi, je réalisai soudain qu’il nous restait au moins une bonne centaine de mètres avant d’atteindre la forêt rouge. Affolée, je me remis aussitôt debout, empoignai les jambes de mon gardien, et le traînais.

 

– Désolée, ça va faire mal.

 

Affolée à l’idée de finir empalée dans le champs d’herbes rouges par l’une de ces flèches en métal, je sentais mes forces se décupler. J’avais l’impression que le corps de Konil ne pesait plus qu’un poids très léger.

Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce que je ferais une fois dans la forêt. Je devais probablement trouver une planque, en attendant que les tirs s’estompent. Et en hauteur de préférence histoire que les marsumiens ne me repèrent pas, si j’étais encore en vie à ce moment-là. Je déglutis. Je me retournai pour juger de mon avancée. J’avais à peine parcouru quinze ridicules mètres, réalisai-je. Une nouvelle pluie de flèches métallisées s’abattit sur nous.

 

– Ils sont là ! Je les vois ! cria soudain une voix au loin.

 

Je scrutai l’horizon en cherchant le propriétaire de la voix. Putain ! Des silhouettes étaient nettement visibles à l’autre bout du champs. Mais… Elles avaient l’air tellement… humaines… Ils devaient être une dizaine de marsumiens. Était-ce vraiment des marsumiens ? Victor m’avait pourtant montré leur camp et… Une flèche siffla près de mes oreilles. Ils tenaient quelque chose dans leurs mains. Je devinai que ce devait être leurs arcs. Je tirai alors Konil par les pieds de toutes mes forces. Je devais y arriver. Les battements de mon cœur suivaient un rythme effréné, j’étais proche de l’apoplexie. Je n’arrêtai pas de surveiller l’avancée des mercuriens dans le champs avec angoisse. Ils étaient rapides. 

 

– N’avancez plus ou je tire ! cria un soldat.

 

Le soldat qui était tout à fait humain venait d’apparaître dans mon champs de vision. Les hommes nous avaient encerclés. Je m’immobilisai dans l’herbe rouge tout en jetant un œil en coin à la forêt. Une cinquantaine de mètres nous séparaient maintenant. Il fallait que j’y arrive et je ne pouvais pas laisser Konil. On était plutôt mal barrés. Mon amulette me brûla alors la peau pour me rappeler sa présence, et je souris. J’avais peut être un plan pour nous sortir de cette impasse  finalement.

 

– Qu’est-il arrivé à ce mercurien ? cracha l’homme.

 

Il s’avança vers moi avec un air menaçant tout en fixant Konil.

 

– Bah vous lui avez tiré dessus, bande de débiles ! fis-je désinvolte.

 

L’homme, un homme plutôt jeune, me toisa avec dédain. Il s’était tellement rapproché que je pouvais voir très nettement l’expression de haine qui s’était figée sur son visage. Il essayait de s’infiltrer dans mon esprit. Je me fermai aussitôt. Il pouvait bien aller voir ailleurs si j’y étais.

 

– Comment faîtes-vous ça ? demanda-t-il en se concentrant davantage pour pénétrer mon esprit.

 

Il était dangereusement près. Braquant son arc sur moi. Un arc… qui ressemblait plus à un automatique. Je paniquai. Et en même temps je savais que la réussite de mon plan dépendait de notre proximité. Alors pourvu qu’il se rapproche plus, me dis-je. Ce que l’homme fit. Il n’était qu’à quelques pas de moi, peut être quinze. Il me regardait toujours avec son expression de merde, se butant sur le mur mental que je m’étais efforcée à bâtir durant toutes ces semaines.

 

– Faîtes au moins semblant d’avoir une once de capacité, le provoquai-je volontairement.

 

L’homme eut un rictus mauvais. Il fallait qu’il se rapproche davantage. La provocation l’y aiderait. Alutella m’incendiait littéralement la peau maintenant, attendant son heure.

 

– Petite traînée ! s’emporta soudain l’homme.

 

Il parcourut alors rapidement la distance qui nous séparait et s’apprêtait à me frapper au visage. Mais je me saisis d’Alutella qui se transforma immédiatement en épée. La lame transperça le mercurien, qui lorsque la vie le quitta, me jeta un dernier regard tour à tour haineux, et incrédule. Son corps s’écroula alors dans l’herbe rouge. Et un liquide rouge plus sombre, se répandit dans la végétation. C’était moi qui venais de tuer froidement quelqu’un. Je tressaillis. Mon haut-le-coeur ne dura que quelques secondes avant que je ne vérifie sans plus tarder, où était le groupe de mercuriens que j’avais vu quelques instants plus tôt. Ils avaient bien avancé. Je regardai alors mon amulette changée en épée.

 

– Sauve moi Alutella, lui dis-je désespérée.

 

Je restai littéralement scotchée à l’amulette que j’avais prise entre mes mains. Attendant presque qu’elle me réponde. Mais évidemment, rien ne se produisit et dans un soupire, je me résignai à laisser retomber Alutella au creux de mes seins. Elle était toujours chaude. Une autre flèche en métal venait de se planter dans le sol près de moi et les voix se faisaient de nouveau entendre. Il y avait décidément urgence à dégager d’ici. Je m’emparai des jambes de Konil, et avançai tant bien que mal vers la forêt, en soufflant.

Mais alors que j’avançai avec Konil, mon amulette se mit curieusement à vibrer sur ma peau comme jamais elle ne l’avait fait, et j’eus immédiatement un sentiment bizarre de légèreté. Mon regard se baissa sur Alutella ; elle vibrait toujours et étincelait d’une lueur rose éclatante. Je n’avais jamais vu ça. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Et le plus effrayant dans tout ça, c’est qu’en baissant les yeux, je n’avais pas vu le sol sous mes pieds non plus.

Le champs d’herbes rouges était effectivement en dessous de moi… de nous rectifiai-je en observant le corps de Konil flotter dans les airs. Je paniquai. Et si nous retombions sur le sol ! Ça me rappelait cette brillante idée que Lucas avait eu un jour, de nous inscrire à un stage d’activités à sensations fortes. Plusieurs flèches en métal fendirent l’air à côté de Konil et moi, et je revins brusquement à la réalité.

 

– Capitaine, ils lévitent, regardez ! cria soudain l’un des hommes, probablement en nous apercevant.

– Tirez immédiatement ! répondit un autre.

 

Au loin, je vis pourtant distinctement ces nazes s’emparer de ce qui ressemblait à des arcs. Je pris conscience de notre nouvelle vulnérabilité, exposés tels que nous l’étions à la vue de tous. Mais je ne savais pas comment manier Alutella pour avancer.

 

– Alutella fais nous avancer jusqu’à la forêt, vite !

 

Alutella dû m’entendre car je sentis immédiatement mon corps prendre de la vitesse. Sans que je ne puisse rien contrôler. Celui de Konil avança également, et je le tenais toujours fermement entre mes mains… au cas où. A la vitesse de la lumière, on se retrouva dans la forêt même, à l’abri des mercuriens. Mais sans aucune idée de ce qu’il fallait faire ensuite. Face à ces nouveaux ennemis qui n’avaient rien avoir avec les Kuulans.

29 mai 2017

Chapitre 4

 

Konil me fit signe de monter les grands escaliers que j’avais vu lors de ma première visite. Ma chambre était pourtant déjà située au troisième étage. Nous traversâmes de longs couloirs blancs. Après d’interminables couloirs blancs, le garde m’arrêta devant d’immenses portes. 

 

– Nous sommes arrivés.

 

Il frappa à la porte et se déplaça sur le côté. Il tenait mon bras. Dans un grincement, les portes s’ouvrirent lentement sur une salle à la superficie démesurée. Au centre de celle-ci se dressait une table énorme, d’où la nourriture semblait jaillir à profusion. Des chandeliers y étaient savamment disposés et libéraient une teinte rose, qui colorait les nappes blanches de reflets rosés.

Tous les convives étaient déjà installés, et je me mis à rougir en prenant conscience que tous les regards étaient braqués sur moi. Je détestais les endroits trop grands, et trop peuplés, et j’incluais désormais cette immense salle dans mon répertoire des lieux à maudire.

Konil finit par me lâcher le bras. Il s’apprêtait à rejoindre d’autres soldats, lorsque je le retins.

 

– Tu ne m’accompagnes pas ? 

– Le Président vous attend au bout de cette table, me dit-il en désignant une table au centre de la pièce.

– Je dois vraiment y aller seule ? lui demandais-je. 

– Oui.

 

Puis Konil s’éloigna. Je me sentis soudain idiote dans cette robe, au milieu de tous ces gens que je ne connaissais pas et qui ne cessaient de se murmurer des choses à l’oreille en me scrutant. J’avançai lentement vers la table que Konil venait de m’indiquer. Le Président était effectivement en bout de table. Tout comme Alicia et Victor, bien sûr. Ce dernier me regardait d’ailleurs avec de grands yeux, qui me brisaient férocement le cœur. Ils étincelaient plus que jamais tandis qu’ils se posaient sur moi pour me détailler. Je lui rendis à peine son regard, mais je savais qu’un désir intense l’habitait. Réalisant qu’Alicia se tenait en face de lui, je me forçai aussi à ne pas la regarder. Un sentiment nouveau montait en moi. Une rancune indéfinissable. Pourquoi jouait-il à ce jeu alors qu’il m’avait pratiquement laissée mourir et qu’il était de surcroît fiancé ?

Je remarquai qu’Alicia me jetait des regards mauvais à l’instant même où les souvenirs de mes baisers avec Victor commençaient à affluer dans mon esprit. J’allais passer une bonne soirée, décidément.  Et alors que tout mon courage semblait fondre comme neige au soleil,  "ou vampire au soleil", me dis-je en regardant Alicia, le Président s’exclama :

 

– Tu es très en beauté Leen ! 

– Merci, répondis-je simplement. 

– Oui vraiment, murmura alors Victor.

 

Je m’installai sans plus attendre à table, sans rebondir sur le compliment que Victor venait de m’adresser. 

 

– Ta nouvelle chambre te plaît ? me demanda le Président. Tu ne regretteras pas la tienne, à Paris. 

– C’est probable.

– Allons, Victor m’a beaucoup amusé en me décrivant le milieu vétuste où tu habites.

 

Ma mère n’avait jamais eu des moyens démesurés, et je n’avais donc jamais vécu dans le luxe. Cependant, les personnes issues d’un milieu modeste n’aspiraient pas toujours à posséder davantage. Je n’appréciai donc pas la remarque du Président, car j’étais de ceux-là. Cependant, je m’empressai aussitôt de verrouiller mon esprit, tout en façonnant un cadenas mental. 

 

– Victor a effectivement le sens de l’humour.

 

Voilà que la colère parlait à ma place maintenant. Le Président ria de plus belle. Alicia me regarda de travers, et quant au principal intéressé, il me jetait un regard pathétique.

 

– Je parie que tu es curieuse de savoir à quoi ressemblera ta journée de demain ! s’exclama le Président Douglas avec un regard enjoué.

– Si tenté qu’elle y survive, dit soudain Alicia d’un ton sec.

 

Le Président la réprima d’un regard dur. Elle s’écrasa devant la figure paternelle.

 

– Je lui ai dit que nous autres les mercuriens étions des spécialistes du combat, continua Victor en rivant ses yeux étincelants sur moi. 

– Cela doit dépendre des circonstances, répondis-je.

 

Je me remémorai les images de mon agression par le Marsumien, la nuit où Victor n’avait pas bougé pour me sauver. Une irrépressible colère m’enveloppa et de la précieuse vaisselle en porcelaine se brisa au même instant.

Un silence s’installa à table.

 

Leen n’a décidément pas l’air très convaincue par nos talents, dit le Président avec un rire faux. 

– Une démonstration s’impose alors, ricana Alicia.

– Monsieur le Président, puis-je ? renchérit Victor. 

– Evidemment, fit ce dernier en riant de plus belle.

 

Victor alla alors se planter au milieu de la grande salle de réception. Je ne savais pas ce qu’il comptait faire. Il désigna un homme.

 

– C’est avec toi que je compte me battre, déclara Victor.

 

Et mon cœur se mit à battre dangereusement dans ma poitrine. Venait-il vraiment de désigner Konil pour un combat rapproché ?

Konil m’adressa un clin d’oeil réconfortant. Cette attitude n’était pas dans ses habitudes. Et donc, je n’étais pas réconfortée. Mes yeux passèrent de Konil à Victor, puis de Victor à Konil. J’avais sympathisé avec Konil ces dernières heures, et au contraire je m’étais éloignée de Victor, ces dernières semaines.  Il était incontestablement la personne la plus bienveillante que j’ai croisée ces derniers temps.  

 

– Victor est un excellent guerrier, dommage pour ton soldat, me dit soudain Alicia.

 

Une expression mauvaise s’était imprimée sur son visage démoniaque.

 

– Je ne t’ai pas sonné Alicia, lui dis-je.

 

J’entendis Alicia ricaner.

 

– Tu n’es qu’une petite peste, dit-elle avec dédain.

 

Je la dévisageai. Cette fille que j’avais trouvé belle me paraissait désormais bien laide. La voix de Victor résonna dans la salle.

 

– En position, soldat ! ordonna Victor avec un ton ferme. 

 

Je vis Victor dégainer son épée tout en me fixant d’un air de défi. Il la  brandit au dessus de sa tête, tandis que Konil faisait aussi de même. Victor reporta son attention sur son adversaire. Rapidement, lorsque leurs épées s’entrechoquèrent, il était clair qu’Alicia avait raison. Victor était majestueux, il était plus puissant et il allait gagner. Jusqu’où s’étendrait sa victoire ?

Le capitaine virevoltait déjà dans l’espace. Déchirant celui-ci des mouvements de son épée, il fendait l’air si vite. Il esquivait, attaquant dans l’unique but de vaincre. Vaincre, c’était si propre à lui. Et même si Konil se battait bien, bien ne serait pas assez.  

 

 Tu as raison.

 

La voix de Victor transperça soudain mon crâne.

 

Qu’est-ce que tu vas faire ?

 

Une expression résignée se figea alors sur son visage. Il continuait à frapper avec fougue.

 

– Le tuer, peut-être. 

– Non, ne fais pas ça !

– Je fais ce que je veux !

 

L’épée de Victor trancha habilement le bras de Konil. Du sang se répandit sur le splendide parquet de la salle. 

 

– Arrête ! 

 

J’eus une sensation pareil à celle de recevoir un coup.

 

– Hélas, c’est un exercice, nous ne sommes pas à l’abri d’une autre terrible erreur, dit à nouveau Victor en pensée.

– Konil ne mérite pas une telle haine, Victor !

– Détrompes-toi. J’ai vu comment il te regardait !

 

Victor avait-il vraiment tous les droits sur la vie de Konil ? J’avais mis en doute ses capacités de combat devant le Président. Or, les mercuriens voulaient me démontrer qu’ils étaient forts et infaillibles. Mais on aurait dit qu’ a contrario Victor faisait un simple caprice d’enfant, en profitant de cette occasion pour assouvir ses pulsions revanchardes. Après tout, il était le capitaine O’connor, et aussi, le fiancé de la fille du Président. La mort de Konil, un simple soldat, ne serait donc qu’un incident mineur aux yeux de cette aristocratie déguisée. Pourtant, la mort en elle-même n’était pas anodine et ne pouvait se justifiée par l’infantilité et la jalousie mal placée du capitaine.

 

– Tu es ridicule, lui dis-je finalement.

– Je suis ridicule ? renchérit-il.

– Comment oses-tu être jaloux ? demandai-je.

– Peu importe, sa vie n’a aucune importance.

– Tu ne peux pas faire ça ! implorai-je Victor.

– Je suis capable de tout, Leen.

 

Comme pour illustrer ses propos, Victor poussa Konil au sol tandis que l’épée de ce dernier tomba lourdement sur le sol. Il venait de perdre la bataille.

Je me levai précipitamment. Sans réfléchir, je tendis le bras vers Victor comme pour l’empêcher de commettre l’irréparable. 

 

– Ne le tue pas !

 

Plantée au milieu de la pièce dans une tenue de soirée grotesque, tout sembla subitement se figer autour de moi. Le silence dans la salle était complet. Victor semblait toujours furieux, mais il ne bougeait plus. Je scrutai les autres convives. En fait, plus personne ne bougeait. Je me précipitai vers Victor, et lui arrachai son épée des mains. Je la jetai à quelques mètres de nous. Puis tout revint à la normale et tout le monde bougea de nouveau. 

Victor me dévisagea, et regarda sa main vide. 

 

– Qu’est-ce que…

– Je t’ai empêché de le tuer, hurlai-je.

 

Le Président éclata soudain de rire. Je me tournai vers lui.

 

– Evidemment Leen que personne ne sera tué ce soir ! Ce n’est qu’un simple exercice voyons !

 

Je restai hébétée au centre de la salle de réception.

 

– Va rejoindre ta tablée soldat, dit Victor.

 

Il s’adressait à Konil, resté au sol. Konil se redressa. Je me retrouvai face à Victor, les yeux rivés dans les siens en signe de défi, au milieu du beau monde. Puis nous retournâmes enfin nous asseoir sans rien dire jusqu’à la fin du dîner. Il était évident que mon petit tour de passe-passe avait laissé planer une certaine incompréhension parmi les convives, et surtout chez le Président. Il me lança plusieurs regards interrogateurs. J’étais moi-même incapable de m’expliquer ce que j’avais fait. 

En revanche une chose était sûre, j’étouffais intérieurement dans toute la luxure de la soirée. Dieu soit loué, je parvins enfin à quitter la salle de réception.

 

*

*

 

    – Attends, me dit Victor. 

 

 Je m’apprêtais à franchir le seuil de la porte menant à la salle de réception.  Il se trouvait derrière moi.

 

   – Qu’est-ce que tu veux ? lui dis-je sans me retourner. 

   – J’ai été idiot, s’excusa Victor.

   

Je fis volte-face. 

 

  – Idiot ? Non, le mot est vraiment faible, Victor ! m’exclamai-je. 

 

Je me tus instantanément lorsque deux gardes mercuriens passèrent à côté de nous, plongeant toutefois mon regard dans celui de Victor. 

 

– Tu es promis à une autre, et tu t’autorises à être jaloux ! repris-je avec amertume. Qu’est ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

– J’aimerais que ce ne soit pas le cas, dit Victor. 

Il s’avança vers moi, jusqu’à m’effleurer. 

 

– C’est trop facile de vouloir sans ne jamais rien faire, dis-je.

 

Je m’écartai de lui, et empruntai les escaliers. Il ne semblait pas vouloir me retenir, à croire qu’il avait enfin retrouvé la raison.

Après avoir gravi les longs escaliers de l’école, et parcouru ses immenses couloirs blancs, je m’apprêtais à regagner ma chambre pour y prendre un bain brûlant.  Je fis couler l’eau dans la baignoire rectangulaire en marbre blanc. L’eau était rose. Cette couleur me donnait vraiment la migraine. Je déposai mon amulette sur le rebord du lavabo somptueux avec précaution. Puis j’ôtais mes habits, montai les marches menant à l’eau bouillante, et plongeai mon corps nu avec un grand soulagement. Mes muscles endoloris rencontrèrent avec grand plaisir la chaleur du bain. De la mousse se colla sur ma peau. Et je fermai les yeux quelques instants. Je regrettai aussitôt de ne pas avoir pris mon I-pod avec moi.

 

– Leen, dit soudain une voix que je ne connaissais que trop bien.

 

J’ouvris les yeux brutalement. Et regardai Victor, qui se tenait près de la baignoire. 

 

– Tu n’as rien à faire là, fis-je paniquée.

– Il faut vraiment que je te parle.

– J’en n’ai pas envie.

– Nous n’avons pas pu réellement parler, tout à l’heure.

– Justement, je n’y tiens pas.

– Il faut que tu m’écoutes, insista-t-il.

– Il n’y a que des mensonges qui sortent de ta bouche.

 

Un sourire triste se dessina sur les lèvres de Victor. Mes mains tremblèrent soudain violemment sous l’effet de la colère. Je ne voulais pas qu’il soit là. Je ne voulais pas qu’il me parle de cette sale mégère. Je ne supportais plus la vision de cette fille dans mon crâne, ni celle de Victor. Je bondis hors de la baignoire, inconsciente de ma nudité, en agitant le poing.

 

– Je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce que je ressens pour toi, dit-il précipitamment.

 

Victor me prit par la taille, ses mains touchant ma peau nue. Il me regarda de cet air de chien battu qu’il prenait sans cesse ces temps-ci, et colla  passionnément ses lèvres aux miennes. J’aurais dû le repousser. Mais je m’en sentais parfaitement incapable. Des tas d’images s’imprégnèrent alors dans mon esprit. Des images provenant de la mémoire de Victor, compris-je.

 

Il n’avait jamais eu le choix. Lui. Son enfance avait été sans histoire, il s’était épanoui au sein d’une famille aimante. Son père avait peut être été quelque fois trop protecteur… Mais très vite, Victor s’était révélé être un excellent guerrier, non… le meilleur, se souvint-il. Le Président lui-même durant sa jeunesse, l’avait déjà repéré. Il lui avait dit qu’il compterait sur Mercury.

Puis à ses 11 ans, Victor avait vu sa mère mourir. 

C’était la femme, morte dans le champs rose. Son cœur, mon cœur se serra, il avait eu les mains recouvertes de son sang. 

Maman, murmura Victor dans mon esprit. Ne me laisse pas ici. Ils me tueront pour avoir menti, dis un jeune Victor, pleurant de toute son âme.

Cette vision se brouilla. Puis, je me retrouvai aussitôt dans un autre endroit. Dans une maison, une petite maison, dans ce qui ressemblait à un salon. J’entendis des voix : 

– Victor, ne dis à personne d’où tu viens. Les mélanges entre habitants sont proscris, dit la mère de Victor.

– Mais c’est injuste !

– Ecoute un peu ta mère, fils, c’est important. Nous n’étions pas censés nous aimer. Tu es le fruit de notre erreur. 

– Je suis une erreur, père ?

– Tu as des dons extraordinaires, Victor, issus du mélange. Le côté marsumien de ta mère te rend plus fort, fils. Plus fort qu’un simple mercurien. 

 

La vision se brouilla à nouveau. Mais cette fois, c’était parce que Victor venait de détacher ses lèvres des miennes. Il était à bout de souffle. Ses yeux emplis d’une tristesse infinie. Je restai interdite, devant lui, dans ma salle de bain luxueuse. Il posa ses yeux tristes sur moi. Une lueur de désir fit soudain briller ses iris. Et alors je repris consciente de ma nudité, m’empressant d’aller chercher une serviette. Je rougis. Je la nouai autour de mon corps mouillé quand je constatai que mon amulette posée sur le lavabo, était totalement visible aux yeux de Victor. Je tentai de la cacher maladroitement, sans vraiment savoir pourquoi. Un réflexe sans doute. Je me retournai pour faire face à Victor. Puis je pris ensuite une grande inspiration avant de dire :

 

– Qu’est ce qui s’est passé ensuite ?

– Ma mère est morte. Et mon père a été exécuté.

 

Je m’avançai pour prendre maladroitement sa main dans la mienne. J’entrelaçai nos doigts, et il serra ma main un peu plus fort. 

 

– J’… J’aurais dû moi aussi, être exécuté, déclara Victor. Je suis une abomination.

– C’est totalement faux.

– Ce que mes parents ont fait… C’était proscrit.

– Pourquoi ?

– Le Président pense qu’il faut préserver la pureté de la race.

 

Ce discours me faisait horriblement penser à d’autres, tenus des années avant notre époque.

 

– Mais toi, tu es en vie.

– Oui.

 Pourquoi ?

 J’étais précieux aux yeux du Président. Alors, il a menti aux autres mercuriens, en disant que j’avais été kidnappé par des espions, arraché à une famille mercurienne qu’ils avaient exécutée.

– Pourquoi n’as-tu pas fui ?

– J’aurais été traqué, probablement capturé, puis exécuté pour avoir déserté. Si j’en avais parlé, j’aurais été exécuté aussi. Dans tous les cas, j’étais voué à la mort.

 

Il s’accrocha davantage à ma main.

 

– Alors pourquoi fiancerait-il une personne qu’il considère comme une abomination, à sa propre fille ? Ça n’a pas de sens, dis-je en secouant la tête. 

 

Et puis pourquoi m’aiderait-il moi, la vénusienne officielle de service, à accomplir cette fichue destinée dont je ne sais rien, s’il ne peut même pas blairer les autres contrées ?

 

– Kimberlaaaake, appela soudain Alicia.

 

Celle-ci venait de faire irruption dans ma chambre sans frapper. Je sursautai et lançai un regard paniqué à Victor qui détacha aussitôt sa main de la mienne. Il ne fallait pas qu’elle le surprenne. Il disparut instantanément. Je quittai la salle de bain, pour pénétrer dans ma chambre. Alicia était plantée devant mon nouveau miroir et se regardait d’un air distrait.

 

– On t’a jamais appris à frapper ? demandai-je agacée. 

– Je suis chez moi, contrairement à toi, vénusienne.

 

Alicia se mit à sourire à son propre reflet. Je levai les yeux au ciel.

 

– Rassure toi, je ne demande qu’à partir.

– C’est impossible, petite sotte. Père est persuadé que tu es l’élue, siffla-t-elle entre ses dents.

 

Elle cessa de se contempler dans le miroir, se retourna et posa son regard glacial sur moi.

 

– Victor est à moi.

 

Je lui répondis d’un air plus que désinvolte.

 

– Je vois, de personne il est donc passé à objet.

 

Elle se rapprocha dangereusement de moi.

 

– J’ai vu la façon dont il te regarde, dont il te parle, et j’ai lu une fois ses pensées quand il ne faisait pas attention, ria-t-elle avec une pointe de colère.

 

Je reculai.

 

– Et alors ?

– Et alors, je ferais n’importe quoi pour t’éliminer. 

– J’imagine que c’est une menace, fis-je. 

 

Alicia se redressa. Elle souriait. 

 

– Non, c’est une promesse, dit-elle.

 

*

*

 

– C’qu’t’as l’air toute molle aujourd’hui, dit Barbara.

 

Elle me toucha de la pointe de son pied. 

Elle m’avait en effet déjà aplatie sur le sol. Depuis qu’Alicia avait quitté ma chambre hier soir, j’étais complètement dépitée. Ma vie avait été tellement plus simple, avant. Il n’y avait pas toutes ces questions qui hantaient mon esprit. Je sentis instantanément l’amulette autour de mon cou me réchauffer la peau.

 

– Debout ! m’ordonna Barbara.

– J’ai mal… dis-je en soupirant.

 

Barbara me saisit par les épaules, me redressa sur mes jambes et me gifla.

 

– Tu es folle ou quoi ! m’exclamai-je.

 

Je me massai la joue endolorie.

 

– J’ai dit debout, sale mollusque !

 

Je levai le poing en signe d’avertissement. Barbara l’esquiva et me tordit le bras. Je hurlai de douleur. Puis elle me fit à nouveau m’écrouler sur le tatami.

 

– Première règle, t’dois juger les opportunités de combat qui s’présentent à toi, pas t’agiter comme une puce.

 

Elle me tendit son bras. Bras que je pris aussitôt dans ma main, puis tordis, et c’est Barbara qui s’écroula. Je fus moi-même choquée de la facilité avec laquelle j’avais commis ce geste, et regardai bêtement Barbara s’aplatir de tout son corps sur le sol. En se relevant, je craignis que cette masse me fasse regretter ce que je venais de faire. Pourtant, elle m’adressa un sourire carnassier dévoilant juste son manque d’hygiène buccale.

 

*

*

                                                          

Deux semaines d’entraînement intensif venaient de s’écouler. Deux semaines entières sur Mercury, alors que cela ne devait probablement faire que quelques heures sur Terre. Mon corps s’était incroyablement modelé. J’avais progressé dans l’art du combat. J’avais même épaté Barbara qui était toujours aussi sèche avec moi. J’avais quand même appris à l’apprécier. Ou du moins à la respecter. Et ce contrairement à Alicruella qui n’avait cessé de me descendre lors des dîners officiels avec son paternel. Quant à Victor, je ne l’avais pas revu. «  Le capitaine O’connor est en mission  » avait fièrement dit un soir le Président Douglas, que je ne pouvais plus voir en peinture. Enfin pas depuis que je savais pour les parents de Victor… Et pour son aversion pour les autres contrées. L’absence de Victor n’était pas agréable.

Après un énième dîner, et une énième journée d’entraînement, je regagnai ma chambre, en saluant Konil au passage.

 

– Bonne nuit mademoiselle Kimberlake, me dit celui-ci en inclinant la tête.

– Bonne nuit, Konil.

 

J’ouvris ma porte de chambre d’un blanc impeccable, jetant négligemment mes chaussures à talons au passage. Je détestais les talons. J’ôtai ma robe de soirée pailletée, enfilai une nuisette en satin rose. Après un rapide tour dans la salle de bain, je m’écroulai dans cet immense lit qui trônait au milieu de ma chambre. Et je sombrai dans un sommeil profond, le nez enfoui dans de moelleux coussins.

 

Lucas m’apparaît. Aussi distinctement que s’il est vivant. J’ai l’impression d’être totalement éveillée,  » Suis-je en plein rêve ?  » me demandé-je en mon fort intérieur. Car la vision de Lucas est tout ce qu’il me faut en ce moment. Du réconfort. Lucas sourit, de ce sourire magnifique qui courbe si bien ses lèvres. Il ressemble tellement à un ange, vêtu de la tête aux pieds, d’un blanc maculé. Ses yeux verts me scrutent attentivement. Et je fonds en larmes.

 

– Tu me manques tellement, craqué-je, les yeux obstrués par le chagrin. 

– Je t’aime, répond Lucas dont l’image s’efface déjà. 

 

Je sursaute dans mon lit. Je bats des paupières. 

 

– Je t’aime aussi Lucas. Si seulement, tu avais été encore en vie…

 

*

*

                                             

Quatrième semaine dans cette contrée au conformisme étouffant. C’était sans doute pire que la fois où ma mère et moi étions allées dans l’Aveyron rendre visite à ma tante désargentée, qui se donnait des airs nobles alors qu’elle touchait à peine le SMIC . J’étais obsédée par l’idée de retrouver une part de liberté qui incluait ma vie d’avant. J’avais besoin de réponses aussi, car si le Président s’employait à organiser mes journées autour de combats, il semblait soigneusement éviter de répondre à mes questions sur Vénusia. Bien sûr, ce n’était pas les seules questions qui me torturaient l’esprit. Mais je n’allais certainement pas en parler à cet homme. J’avais plus que tout, besoin de Victor.

 

*

*

 

On frappa à la porte.

 

– Oui ? fis-je.

– Devine qui c’est. 

 

Allongée en travers du lit de ma cellule, deviner ne me prit même pas une seconde. 

 

– Alicia. 

– Je peux entrer ?

 

Alicia avait à peine posé la question qu’elle se tenait déjà au milieu de la pièce. Elle se regardait dans le miroir, et faisait la moue. 

 

– Ouais, fais comme chez toi. 

 

Le reflet d’Alicia m’adressa un sourire faux. 

 

– Il faut qu’on parle. 

– Er… Moi, je préfère qu’on reste moins que des amies.

– Hilarant !

 

Je souris de toutes mes dents à Alicia avant de rouler des yeux. Je me redressai sur le lit. 

 

– Tu me veux quoi ? 

– Te libérer. 

 

Alicia venait de capter mon attention. Mais pourquoi voulait-elle m’aider ? Était-ce réellement dans mon propre intérêt ?

 

– Comment… ? fis-je.

– Ça se passera cette nuit, je viendrai te chercher ici. 

 

Son reflet dans le miroir avait l’air extrêmement sérieux. Nous nous fixions du regard. 

 

– Pourquoi tu m’aiderais ?

– C’est moi que j’aide. 

– Je ne vois pas en quoi. Tu te mets dans de beaux draps.

– Si c’est le prix pour me débarrasser de toi. 

 

Alicia se détourna subitement du miroir en faisant claquer ses talons sur le sol. Elle marqua une pause avant de sortir. 

 

– Et n’oublie pas de prendre tes affaires.

 

*

*

 

Ma chambre était complètement plongée dans l’obscurité. Je me levai du lit et mis mon sac en bandoulière. Puis je me dirigeai vers la porte.

 

– Ok, je t’ouvre.

– Ok.

 

La seconde d’après, Alicia se tenait devant moi dans l’obscurité.

 

– Donne moi ta main, fit-elle un peu brusquement.

 

J’étais clairement rebutée à l’idée que nos mains se touchent.

 

– Je te signale que je lis dans tes pensées.

– Très bien, ça m’évitera de te le dire.

 

Je perçus instinctivement la colère d’Alicia. Un sourire se dessina sur mon visage. Je lui tendis ma main. Elle la serra dans la sienne, puis nous disparûmes dans la nuit.

Nous fîmes réapparition dans une chambre luxueuse et blanche. Un feu rose crépitait dans une cheminée. Konil se tenait au milieu de la pièce.

 

– C’est ma chambre, fit Alicia. Elle n’est pas surveillée.

– Ok, et qu’est ce que fait Konil ici ?

– Vous partez ensemble.

– Sérieusement, il fallait que tu le mêles à ça ?

 

Konil me regarda aussi impassible que d’habitude. Il était crucial qu’il me téléporte, c’était visiblement la seule façon pour moi de quitter ma prison. Mon coeur se pinça légèrement, en réalisant ce que j’infligeais au garde. J’avais en effet eu un bon aperçu de la " justice mercurienne ".

L’image de la fille morte resurgit alors dans mon crâne. C’était la première fois depuis des semaines que je repensai aussi intensément à elle. Je ne sais pour quelle raison, mis à part le fait que j’avais été témoin de son meurtre sanglant. Pourquoi ce meurtre comptait-il en fin de compte ? Ce n’était pas comme si les meurtres ne faisaient pas partie intégrante de la nature de l’Homme sur Terre. Viviane Forrester disait ainsi à propos du rapport paradoxal entre l’Homme et les meurtres " Nous sommes réticents aux meurtres particuliers, mais permissifs aux génocides et résignés au meurtre général, biologique ". N’avais-je donc pas d’autres priorités peut être que des questions devenues aussi banales ? Ma vie partait littéralement en vrille, au delà de l’imaginable. Coincée dans un monde dont j’ignorais l’existence des semaines auparavant… Son horrible meurtre semblait devenu anodin. J’avais été arrachée brutalement à ma vie d’avant, apprenant l’existence d’un monde surréaliste où ma vie ne tenait qu’à un fil très fin. Je ne pouvais m’en remettre à personne. Pas même au Président Douglas dont le portrait devenait de plus en plus sombre. Il m’avait formée au combat mais volontairement maintenu dans l’ignorance. Les propos de Victor s’agitaient souvent dans ma tête. D’après lui, le Président était même responsable de la mort de ses parents. J’allais devoir m’en remettre à moi-même. Et à Konil qui allait devenir un fugitif, par ma faute.

 

– Alors, ne traînons pas plus longtemps ici, dis-je à Konil avec résignation. 

 

Je serrai mon amulette entre mes doigts, tandis que Konil posa sa main sur mon bras, avec un air mal à l’aise. Poser une main sur moi est inconvenant, Konil était tellement conformiste. Je souris. Je regardai une dernière fois Alicia avant d’incliner la tête. Je lui étais reconnaissante, mais certainement pas redevable. 

Quelques secondes d’embarras plus tard, Konil et moi disparûmes enfin.

29 mai 2017

Chapitre 3

 

Je lâchai ma canette. Victor la rattrapa au vol et me la tendit en souriant. Je la posai prudemment sur mon bureau en même temps que mes écouteurs. 

 

– Leen… commença-t-il derrière moi. 

– Quoi ? 

– Pourquoi refuses-tu toujours d’admettre l’évidence ? 

 

Je me retournai pour lui faire face. 

 

– Quelle évidence ? 

 

Je détestai l’idée que tout ce que j’avais vécu puisse finalement être bien vrai. Je désirais que l’on me laisse en paix. Non pas que l’on m’invente une destinée, des ennemis à pourchasser puis que l’on m’enferme dans une tour d’ivoire comme si c’était la chose la plus censée au monde. Tout cela semblait si précipité !

 

– Tu es en danger. 

– Et alors quoi ? J’abandonne ma vie du jour au lendemain ? 

 

Je sentis la blessure à mon bras me relancer, comme pour donner silencieusement raison à Victor. C’était une sensation agaçante. Je mis une main dans la poche de mon jean troué. Mes doigts effleurèrent l’amulette et un sentiment familier de calme m’envahit aussitôt.

 

– Les gens que tu connais ne s’apercevront même pas de ton absence. Le système temps est différent, m’indiqua Victor. 

– Qu’est ce que vous voulez faire de moi ? 

 

Les yeux de Victor s’emplirent de ce qui ressemblait à de la compassion. 

 

– T’aider et te protéger évidemment.

– C’est tout ? demandai-je.

– Oui. 

 

M’aider et me protéger, je n’étais pas contre. L’image du cadavre de la fille raviva alors mes souvenirs. Je tressaillis en imaginant mon corps à la place du sien. 

 

 Une fille est morte ? me questionna Victor, soudain inquiet.

– Quoi ? 

– Parle moi du meurtre, poursuivit le capitaine. 

– Comment tu peux savoir… que… balbutiai-je. 

 Tu la connaissais ? me coupa Victor.

 

Il semblait à la fois agacé et très tendu. 

 

 Tu lis dans mon esprit, c’est ça ? 

– Connaissais-tu cette fille Leen ? 

– Est-ce que tu lis dans mon esprit ? Comment fais-tu ? 

 

Je fixai Victor comme si je le voyais pour la première fois. Je ne m’étais pas trompée. Une sensation de trahison pinça mon cœur. 

 

– Je ne t’ai pas menti, je ne l’ai juste pas mentionné, lâcha soudain Victor. 

– Je me sens quand même violée. 

– N’exagères pas, veux-tu… Je lis tes pensées seulement lorsque je me concentre pour le faire. 

– Tu parles. 

 

Un millier de pensées traversèrent mon esprit, et je me remémorai ainsi tous les instants que j’avais pu vivre avec Victor. Dans chacun d’entre eux il m’avait semblé scanner ma cervelle. Je le regardai droit dans les yeux en me demandant s’il essayait encore de le faire. 

 

– Arrête, dit-il. 

– Je ne fais rien. 

– Je n’ai pas abusé de mes capacités avec toi. Et je ne le ferais pas. 

 

Je me concentrai afin de murer mes pensées. Peu importait ses promesses, je ne voulais pas que l’on ait accès à ma tête. Je visualisai une sorte de cadenas mental pour verrouiller mon esprit. Victor plissa les yeux.  

 

– D’accord. 

– Tu ne m’as toujours rien dit à propos du meurtre. 

– J’ai assisté au meurtre d’une fille que je ne connais pas, il y a environ une semaine. C’était près de Nogent le Perreux. 

– C’est tout ? 

– Comment ça c’est tout ? Tu ne crois pas que c’est déjà assez ! 

 Des précisions sur les protagonistes ? 

– Ouais, j’ai même le numéro de l’assassin. 

 Leen, ne joue pas à ça. 

– Est-ce que j’ai l’air de jouer ?

– Tu as l’air de quelqu’un qui ne dit pas tout. 

 

Le capitaine me contempla avec intérêt. Nous échangeâmes alors un interminable regard. Victor essayait encore de pénétrer dans ma tête. Cette certitude me mit en colère et je m’acharnai à fortifier ma nouvelle muraille mentale. 

 

– Tu… Tu es comme brouillée, dit finalement Victor. 

– Je suis comme brouillée ? 

– Je… ne vois plus de brèche pour te lire, remarqua Victor, visiblement déstabilisé. 

– Tu dois avoir une panne, fis-je en souriant. 

 

Victor ria jaune. Venais-je réellement de réussir à protéger mon cerveau ? 

 

– Comment tu as fait ça ? Se couper des brèches est un don extrêmement rare. 

– Je ne sais pas. Je n’aime juste pas que tu sois dans ma tête.

– C’est que tu me caches quelque chose.  

 

Je restai hébétée. Je venais de découvrir qu’il lisait les pensées moi-même, alors comment pouvait-il exiger une totale transparence de ma part ? Sans compter que nous nous connaissions seulement depuis quelques jours et qu’à chaque fois que nous nous voyions, une personne en mourrait. 

 

– Tu ne peux pas me lire, c’est ça qui t’agace, fis-je. Et c’est vrai que vous, monsieur le capitaine, vous êtes un modèle de vertu !

 

Je me retournai brusquement, et m’apprêtai à dévaler les escaliers quatre à quatre, quand Victor me retint par le bras. Il poussa mon corps vers le sien et m’embrassa avec ardeur. C’était comme à la cascade. C’était fort, unique. Il intensifia son baiser, et naïvement moi aussi. Une barrière céda alors en moi. La seconde d’après, il était dans ma tête. Il accéda sans difficultés à toutes mes pensées au sujet du meurtre. A tous les détails que j’avais omis, l’être maléfique, mon nom gravé sur sa peau. Il accéda même à bien plus encore. A mes rêves, mes peurs, mon passé. L’image de Lucas fracassa brutalement mon crâne. Mon esprit se révolta soudain, personne ne viendrait dans mon crâne sans y être inviter. Je le repoussai. 

 

– Comment peux-tu me faire ça… dis-je dans un souffle. 

– J’avais besoin de savoir, désolé. 

 

Je le regardai droit dans les yeux. Il n’avait pas l’air désolé. Mes lèvres se fixèrent alors subitement aux siennes. Ma langue entra profondément dans sa bouche, comme si je venais d’entreprendre l’une des plus grandes fouilles archéologiques au monde. Je voulais le lire, comme il m’avait lue. Il résista longtemps. Mais je finis par plonger dans son esprit. Je me jetai sur le souvenir le plus proche, et m’y accrochai avec toute la volonté dont j’étais capable. Je le sentis me supplier. Mais il était déjà trop tard. J’assistai à une scène bouleversante. Un jeune homme, aux yeux noisettes, au milieu d’un champs rose. Le jeune homme pleurait devant le corps d’une femme allongée devant lui… Ses mains étaient pleines de sang. Les mains de Victor étaient pleines de sang. 

Le garçon s’écarta de moi, les yeux écarquillés, comme si je n’étais pas censée savoir. Il agrippa mon bras avec fermeté. Et me téléporta. 

 

*

*

                                                          

Je venais d’apparaître dans une immense forêt rose. Mercury, me dis-je, encore choquée par la facilité avec laquelle Victor faisait voyager mon corps dans l’espace.

 

 Qu’est ce qu’on fait là ? demandai-je.  

– Je dois te montrer quelque chose. 

 

Ce ton était froid. Victor m’entraîna entre des arbres touffus tout en me pressant contre lui. J’étais si proche que je percevais parfaitement le son de sa respiration. Son souffle était chaud et caressait mon oreille. Mais il ne me regardait pas. Victor prit mon visage entre ses mains et me força à regarder droit devant moi. Son cœur se mit à battre de plus en plus calmement tandis que le mien explosa dans ma poitrine. 

Je vis des monstres, une centaine de gros monstres. Ils étaient horribles, tous défigurés par la haine. On aurait dit qu’ils avaient tous été les cobayes malheureux d’expériences scientifiques, car ils avaient quand même quelque chose d’humain. Je voyais parfois un nez, une bouche, des yeux parfaitement humains au milieu de visages boursouflés et cloqués. Certains monstres possédaient des pinces de crabe qui jaillissaient en désordre de leurs corps, tandis que d’autres étaient couverts de verrues, de cornes ou de tentacules. 

 

– Quelle horreur… 

– C’est une patrouille de marsumiens, murmura Victor. 

 

Je détournai mon regard des marsumiens. 

 

– Qu’est ce qu’on fait là ? répétai-je. 

 

Victor tourna ma tête vers la sienne. 

 

– Tu penses que je m’amuse en cherchant dans tes souvenirs.

– Ce n’est pas… 

– Je dois te protéger, me coupa Victor, les marsumiens en font partie. Je n’invente rien, ils sont dangereux.

– De toute façon, ils ne ressemblent même pas au meurtrier de cette fille… 

– Je sais. Nous avons donc deux problèmes.

– L’être maléfique ne s’en est pas pris à moi…

– Les coïncidences, ça n’existe pas sur Solarium. 

 

Si les coïncidences n’existaient pas, j’étais effectivement dans de beaux draps. 

 

– Et l’antiquaire ? C’était un meurtrier indépendant ?

 

Victor ria à faible voix. 

 

– Tu choisis vraiment les pires situations pour me faire rire.

 

Je lui souris en rougissant.

 

– L’antiquaire n’était qu’un humain contrôlé par les marsumiens. Une enveloppe vide en quelque sorte, expliqua Victor. 

– Ok. 

– Et il faut que je te dise, à propos de ce que tu as lu…

 

C’était la première fois que je voyais Victor chercher ses mots. Je devais avoir lu quelque chose d’extrêmement important dans son esprit, car il semblait tout d’un coup très mal à l’aise. Il fixait obstinément les buissons roses devant nous.

Tandis que Victor plongeait dans ses souvenirs, mon attention se porta sur un monstre à quelques mètres de nous. Son visage était recouvert de cloques verdâtres. Des vers dégoulinaient de ses yeux injectés de sang. Il m’évoquait la violence à l’état pur… Et il était en train d’égorger un homme !

Je voulus bondir pour l’arracher à son agresseur. Mais Victor me serra plus fort contre lui. 

 

– Ne fais rien de stupide, dit sèchement Victor. 

 Mais il va mourir ! criai-je. 

 

Le monstre en face de nous poussa alors un cri dans notre direction. Il venait de nous repérer, ce qui était totalement de ma faute. Je n’avais pas conscience de ce que je venais de provoquer. Mais en une fraction de secondes, il était là. Devant nous. Victor me poussa dans l’herbe rose derrière lui. Je trébuchai avant de tomber lourdement sur le sol. Le capitaine sortit une épée que je n’avais jamais remarquée avant, et trancha sans hésiter la chair de l’assaillant. Du sang gicla, et vint recouvrir son beau visage. Il se battait bien, il était fort, il était rapide. Je ne pouvais pas m’empêcher d’admirer sa musculature sous son t-shirt serré. Dix secondes à peine après son attaque, le monstre s’écroula sur le sol. Raide mort. Victor se retourna. Il scruta les alentours un instant, criant quelque chose d’incompréhensible. Pas en ma direction, mais envers… Je levai les yeux. Et vis des monstres nous encercler. Il désigna le cadavre du monstre qui gisait dans l’herbe rose, puis me désigna moi-même aux nouveaux arrivants. Il parlait un langage que je ne comprenais pas. Soudain tous les monstres de l’assemblée poussèrent un grognement, et un frisson me parcourut l’échine. Mes yeux revinrent se planter dans les beaux yeux noisettes de Victor. A quoi jouait-il avec ces monstres ? Victor m’accorda un regard à son tour, tandis qu’il restait complètement immobile au milieu des ennemis. Je crus percevoir une once de remords dans son regard.  Et c’est la dernière chose que je vis. Car une chose s’était jetée sur moi. Et que Victor l’avait laissée faire. 

 

 

*

*

 

Ma chute fut, pour ainsi dire, douloureuse. Quelques secondes auparavant un monstre s’était jeté sur moi. Et m’avait téléporté, je ne sais où. Je remarquai que la végétation était bleue, cette fois-ci. Je levai les yeux, histoire de vérifier où la chose avait atterri. Je ne vis rien. J’aurais préféré. Car je sentis une fraction de secondes plus tard, des mains velues s’agripper sauvagement à mes épaules. Pour me plaquer fixement sur le sol.  La chose me retourna sur le dos avec une force surhumaine. Son visage était à quelques centimètres du mien. Le monstre au dessus de moi était vraiment laid. Je réprimai un haut le cœur, tandis que les pinces de scorpion jaillissant de ses joues se rapprochaient dangereusement de moi. 

 

 Azitane tlounk katari, dit-il.

– Google trad, tu connais ?

 

 Il me frappa d’une main noire, velue, et visqueuse. Une grosse traînée d’un ectoplasme se retrouva collé à ma joue. Magnifique. Je venais de perdre une occasion de garder ce que je pensais pour moi.

 

 J’ai dit que tous les vénusiens devaient périr, articula le monstre dans un français guttural.

 Je ne sais même pas de quoi tu parles !

 

Le monstre frappa mon autre joue. 

 

 Azitane, tu dois périr, déclara le monstre d’un ton solennel.

– Je n’ai rien fait ! Lâche moi !

 Tes ruses ne marchent pas sur Marsum. Nous sommes la race supérieure, cracha le monstre dans un souffre putride devant mon visage.

 

Je plissai le nez. C’était une odeur insupportable. Le monstre montra ses dents. Aiguisées, comme une lame de Katana. La bave qui dégoulinait de sa bouche déformée coula sur mon nez. C’était répugnant. Le monstre planta tout aussi soudainement ses griffes dans mon épaule, si profondément, que du sang en coula abondamment. Puis il me traîna. Sur plusieurs mètres. Et je criai. De douleur. Pour la deuxième fois, j’étais sûre que j’allais mourir.

Le tonnerre gronda. Des éclairs marbraient le ciel sombre. Lorsque le monstre me jeta enfin sur le sol bleu, je me tordis de douleur. Il écrasa son poing dans mon ventre. En abattit un autre sur ma joue. Et je crachai déjà du sang. Je vis cet être laid, putride, ce tueur dégainer ce qui semblait être une épée. Il la brandit en l’air, et elle scintilla, éclairée par des étoiles perchées, loin, loin, loin dans le ciel. Puis je réalisai avec horreur que ce n’était pas une simple épée… c’était juste ses énormes griffes, faites de métal brillant… Elles se plantèrent dans la chair de mon ventre. Glaciales. Je sombrai. Exactement comme dans mon rêve. C’était donc ça, la fin.

 

*

*

 

Je battis des paupières. Et regardai autour de moi. J’étais sur un lit d’hôpital, dans une chambre blanche. Je veux dire, maculée d’un putain de blanc qui m’indiquait très clairement où j’étais. 

 

 Mademoiselle Kimberlake ! s’exclama une voix de femme.

 

Je cherchais la propriétaire de la voix des yeux. Elle se tenait à l’autre bout de la pièce avec un bloc note entre les mains. Je la dévisageai. Elle était jolie. Mais surtout, elle avait de longues tentacules noires à la place des cheveux. Je clignai des yeux. 

 

– Comment vous sentez vous ? demanda-t-elle.

– Moins proche de la mort.

 

L’infirmière sourit. Elle s’avança vers moi. 

 

– Vous avez été inconsciente durant un mois. Vous avez été poignardée à deux reprises à l’abdomen. C’est un miracle que vous soyez toujours en vie. 

 

Il me semblait que les griffes du monstre transperçaient encore ma chair. Je soulevai mon t-shirt blanc, et vis une énorme bande de tissu blanc autour de mon abdomen. 

 

–  Comment m’a-t-on retrouvée ? 

– Dieu merci, le capitaine O’connor vous a retrouvé à temps, la nuit même de votre agression. Aucun organe vital n’avait été touché. 

 

J’aurais été soulagée d’entendre à nouveau le nom de Victor, si j’avais réussi à tout oublier. La bataille, les monstres, les remords dans ses yeux puis son abandon. J’aurais pu mourir à cause de lui. Il ne perdait rien pour attendre. Ce traître me roulait des patins pour entrer dans mon crâne, m’envoyait je ne sais où regarder des monstres difformes égorger des hommes, pour permettre qu’on me kidnappe et qu’on essaye de m’assassiner. Pourquoi ? Lui qui se disait prêt à m’aider et à me protéger. Mes poings se fermèrent avec force sur mes draps. Il m’avait trahie. Et ce sentiment de trahison venait de prendre littéralement possession de mon corps. 

 

– Vous allez bien ?

 

La voix de l’infirmière me sortit de ma torpeur. 

 

– Oui. Quand est-ce que je pourrais sortir ? 

– Vous allez devoir rester ici quelques temps, en observation. Nous verrons comment votre santé évolue. 

– Je suis un peu fatiguée, avouai-je. 

– Je vais vous laisser vous reposer. 

 

L’infirmière me sourit avant de s’en aller, son bloc note sous le bras. Restée seule, des larmes se mirent à rouler sur mes joues. On avait vraiment voulu me tuer. J’étais si seule. 

 

*

*

 

Cela faisait des semaines que je n’avais pas bougé de ma chambre. La blessure à mon abdomen s’était très nettement atténuée. L’infirmière m’avait informée que je pourrais sortir dans la journée. En enfilant mon t-shirt, je repensai au plaisir de sentir le vent dans mes cheveux. Puis j’entendis une personne frapper à la porte. 

 

– Oui ? dis-je. 

 

L’infirmière ouvrit la porte. 

 

– Prête ? dit-elle avec un grand sourire. 

– Oui ! m’exclamai-je avec enthousiasme. 

 

Nous rîmes, lorsqu’une autre personne se détacha de l’ombre du couloir et pénétra dans la pièce. 

 

 Bonjour Leen, dit Victor. 

 

Je sentis la joie quitter instantanément mon visage. C’était la première fois que je le revoyais depuis qu’il avait essayé de me tuer. 

 

 Bonjour.

 

Un silence pesant envahit la pièce. J’étais sûre que mes regards envers le capitaine ressemblaient plus à une série de coups de poignard. Lui, avait l’air penaud et parfaitement mal à l’aise. L’infirmière brisa l’atmosphère tendue. 

 

– Je suis persuadée que le capitaine devait être très occupé ces temps-ci. Cela doit expliquer qu’il ne soit pas venu prendre de vos nouvelles… 

– Pourrais-tu nous laisser un moment Alicia ? demanda Victor. 

– Bien entendu, oui, dit-elle dans un sourire contrits. 

 

Alicia l’infirmière sortit de la pièce. La porte à peine refermée, j’en profitais pour me jeter sur Victor et le plaquer au sol. 

 

 Espèce de traître ! Pourquoi les as-tu appelés ? Tu n’as rien fait pour me sauver ! 

 Leen, dit-il dans un souffle, tu hallucines à cause des médicaments… Je t’ai retrouvée alors que tu étais sur Marsum.  

 Sale connard ! Tu mens !

 

Ses beaux yeux noisettes me transpercèrent, et je savais qu’il essayait de me lire. Alors, je me fermai. Les semaines passées dans ma chambre d’hôpital avaient au moins eu le mérite de me faire progresser dans cet art puisque je m’y étais employée chaque jour. Je sentais que je punissais Victor en refusant de lui faire connaître mes pensées. Mais je n’avais pas halluciné après tout, c’était la stricte vérité. Je ne laisserai certainement pas ce traître mentir sans vergogne et me faire croire qu’il voulait m’aider. 

La porte de ma chambre s’ouvrit à la volée. L’infirmière se précipita vers nous. 

 

– Mademoiselle Kimberlake, calmez vous ! s’exclama l’infirmière avec panique.

– Alicia, je t’avais demandé de nous laisser, grogna Victor. 

– Mais je suis connectée à tes pensées, dit l’infirmière tout en me fixant. Leen, le capitaine O’connor est de votre côté ! Réfléchissez il vous a sauvé, c’est un héros !

 

Il y avait quelque chose dans sa façon d’admirer ce traître qui m’agaça profondément. Il y avait aussi une proximité entre eux deux qui ne m’avait pas échappée. Je posai les yeux dans la direction de l’infirmière. Elle semblait véritablement horrifiée que je puisse faire du mal au vénérable capitaine O’connor, me dis-je mentalement en imitant sa voix fluette dans mon esprit. Je reportai mon regard sur le traître. Constatant son apparente gêne suite à cette remarque, une pointe de jalousie s’ajouta à l’océan de colère dans lequel j’étais déjà en train de me noyer. Je venais instantanément de comprendre que ce sale menteur et l’infirmière flirtaient. Ma colère tripla. Décidément Victor était bien le pire des salauds. 

Je relâchai ce dernier, et me précipitai hors de la chambre. Je bousculai Alicia au passage, avec un plaisir non dissimulé. Victor cria mon nom, et je m’en foutais éperdument. Ouvrant la porte avec fureur, je devais trouver le Président. Il voulait m’aider ? Très bien, j’étais prête. Même si cela revenait à admettre qu’il disait vrai, à admettre que je devais renoncer à mon ancienne vie et les conséquences qui allaient avec. Mon esprit se focalisa sur l’image de ma mère… et mon cœur se serra. Était-elle comme moi ? Ou m’avait-elle adoptée ?

Je courais maintenant, et des larmes coulaient en même temps sur mes joues abîmées. Oubliant ma blessure à l’abdomen, j’empruntai l’un des deux grands escaliers à toute vitesse. Je n’étais qu’au troisième étage.

 

– Leen ! appela Victor sur mes talons. 

 

J’avais beau courir vite, ma blessure m’empêchait d’aller plus vite. Le garçon me rattrapa au premier étage. Il saisit mon poignet, et je ne supportai déjà plus le contact de sa main de traître contre ma peau. Je le repoussai, et il ne s’attendait visiblement pas à ce geste, puisqu’il en tomba sur le sol. Sa chute m’accorda assez de temps pour fuir. Ce que je fis.

 

*

*

 

 Monsieur le Président ! hurlai-je en martelant la grande porte blanche de son bureau. 

 

Je ne pris même pas la peine d’attendre une réponse, et entrai. A ma grande surprise, l’infirmière était déjà là. Puis se fut au tour de Victor de faire son apparition. Il n’était toujours pas essoufflé par l’effort, contrairement à moi.

 

– Que se passe-t-il à la fin ? rouspéta le Président. 

– Père, es-tu certain que l’oracle parlait de Leen ? La description ne semble pas correspondre.

 

Père, m’étranglai-je mentalement. Comment n’avais-je pu le voir ? La ressemblance était frappante… Les mêmes yeux verts en amande, la même fossette. Je jetai un regard mauvais en direction de la fille du Président. Comment osait-elle dire une chose pareille !

 

– Comment cela ? 

– Sa régénération est très lente par exemple, l’oracle précisait que l’élue était d’une constitution solide. 

– Je vais te poignarder alors, on verra qui a la régénération la plus rapide ! m’exclamai-je.

 

Alicia me foudroya du regard. Elle n’avait décidément plus rien avoir avec l’infirmière chaleureuse qui s’était occupée de moi durant des semaines.

 

– Et surtout, dit Alicia avec un sourire mauvais, l’oracle parlait d’une immense sagesse. 

 

Je levai les yeux au ciel. Alicia semblait véritablement bouillir de l’intérieur. 

 

– Elle a même tenté de tuer Victor !

– Bon cela suffit Alicia, emmène ton fiancé ailleurs j’ai besoin de parler avec Leen, dit le Président en désignant Victor. 

– Mais père !

– C’est un ordre, Alicia.

 

Son fiancé ? Son fiancé. Il m’avait donc menti sur tous les plans. A quoi jouait-il ? Victor se tenait à quelques pas derrière moi mais je refusais de le regarder en face. Je ne le pouvais pas. J’étais comme en train de suffoquer. Tout mon esprit était grand ouvert pour qu’il le lise. Il envoyait d’immenses ondes de mépris. Des ondes toutes entièrement dirigées contre lui. Alicia passa devant moi avec un air mauvais. Je n’arrivais pas à croire que j’avais pu considérer l’infirmière comme une amie. Elle se dirigea sans hésiter vers Victor et entrelaça ses doigts aux siens. Avant qu’il ne sorte de la pièce, je croisai par malchance le regard du capitaine. Il venait simplement de m’abattre d’une balle en plein cœur. 

 

*

*

 

Un long moment après que Victor et Alicia soient sortis, je restai interdite et brisée. 

 

– Comment vas-tu Leen ? 

 

Il me semblait que la même question revenait sans arrêt. 

 

– Ma blessure a diminué. 

– Aucun de mes espions n’a pu m’expliquer ta présence sur Marsum, le soir de ton agression. Que s’est-il passé ? 

 

Debout devant le Président, je restai murée dans le silence. Pouvais-je réellement lui faire confiance ? 

 

– Je ne savais même pas où j’étais. 

– Tu as été enlevée par un marsumien, un Kuulan, qui a tenté de te tuer à proximité de son camp. 

– D’où cette blessure… dis-je en désignant mon abdomen. 

– Oui, fit le Président, tu ne te souviens donc de rien ? 

– Non, mentis-je. 

 

Le Président me fixa du regard. J’espérai qu’il ne se rendrait pas compte de mon mensonge et visualisai aussitôt un cadenas mental autour de mon esprit. Il devait probablement être télépathe, lui aussi. 

 

 – Alicia a fait part d’un incident entre Victor et toi, lâcha finalement le Président. 

– Elle mentait.

– Pourquoi as-tu frappé à ma porte alors ?

 

Il me fallait exceller dans l’art du mensonge sur le champs, un art que je n’avais pourtant jamais maîtrisé durant toute ma vie. 

 

– J’avais besoin… d’un tampon. C’était une urgence en fait, bafouillai-je. 

 

Je rougis. Je venais sans doute d’inventer le mensonge le plus embarrassant de tout l’univers. Si drôle que j’imaginais bien les marsumiens en rire tout en dévorant un corps humain. 

 

– Je vois… Il y en a près de l’infirmerie, me répondit un Président un peu gêné. 

– D’accord, c’est noté.

 

Silence gênant.

 

– La seule chose dont je me souvienne est le visage de mon agresseur, dis-je. 

– Oui, les marsumiens sont vraiment d’horribles créatures, commenta le Président. Horribles et très puissantes. 

– Ont-ils des pouvoirs comme vous ? 

– Ils sont juste très puissants et très déterminés, dit le Président avec dégoût.  

– Vous ne les aimez pas beaucoup…

– Ils ont déclaré la guerre à Mercury. Nous nous affrontons depuis des siècles. 

 

S’il savait que Victor les avait laissés me tuer. Je n’osais pas imaginer ce qu’il adviendrait de lui. Je n’arrivais pas à me résoudre à livrer ce traître au Président. Ce traître fiancé. Mon cœur se brisa un peu plus en silence. 

 

– Que veulent-ils ? 

– Régner sur Solarium, même si cela est mpensable !

– Pourquoi ? 

– Ils ne sont pas capables de faire régner la paix, Marsum n’est déjà que chaos. 

– Quel est le rapport avec moi ? 

 

Le Président se concentra un moment. 

 

– Tu n’en as sans doute pas conscience mais tu as énormément de pouvoirs. Suffisamment pour les empêcher de régner si tu choisis le bien. 

– C’est ridicule, ils devraient se servir de moi alors, pas essayer de me tuer !

– Les marsumiens ne veulent compter que sur eux-mêmes. 

– Et Vénusia dans tout cela ? Vous avez mentionné d’autres contrées. 

– On gouverne avec une raison Leen, dit le Président avec une pointe de mépris, pas de bons sentiments. 

 

Cette révélation me glaça le sang sans que je ne sache précisément pourquoi. Peut être parce que le Président m’avait lui-même appris que j’étais vénusienne. S’il me considérait comme une sous espèce pouvait-il vouloir mon bien ?

 

*

*

 

 Jugeant que les récents événements avaient du être éprouvants pour une vénusienne telle que moi, le Président me proposa de rester sur Mercury au moins jusqu’au lendemain. Je ne savais pas encore très bien si je devais lui rapporter la trahison de Victor même si celle-ci vibrait dans mes veines. 

La chambre que l’on m’avait attribuée pour la soirée était spectaculaire. Un grand lit à baldaquins avec des draps soyeux, brodés de dorures, une immense penderie remplie de tenues de soirée exceptionnelles, et un gigantesque miroir ancien encadré par un bois sculpté et vernis. Je disposais d’une salle de bain high tech personnelle. Et accessoirement, d’un garde. Celui-ci m’avait informée que le souper sera servi au cinquième gong. 

 

 Au cinquième gong ? avais-je répondu. 

 Le décompte des heures est attribué à un officier du temps. Il frappe cinq fois pour annoncer le souper, avait répondu le garde, nommé Konil. 

 

Sinon, il y a des swatch… m’étais-je dit. Le garde avait alors ri tandis qu’au mot n’était sorti de ma bouche. Il fallait que je fasse attention à mes pensées. J’étais cernée de télépathes.

 

*

*

 

Lorsque le cinquième gong retentit enfin, je finissais de me préparer. Le beau garde m’avait prévenue que le dîner se tenait en grandes pompes. Ce qui incluait des tenues de soirée, assez sophistiquées.

Je n’avais jamais eu l’occasion de me voir dans une longue robe de soirée. Mais j’avoue que celle que l’on m’avait fait parvenir était.. resplendissante. Le bustier était fait de dentelles noires recouvrant intégralement ma poitrine, mon ventre et mes bras. Mais le creux de mes seins restait visible, parce qu’à ce niveau, le couturier avait volontairement laissé une ouverture dans la dentelle. Les jupons de ma robe étaient composés de voiles, noirs, fins qui tombaient sur le sol, en évasé. Une fente dans les voiles dans ma robe, révélaient l’une des jambes musclées. Ouais, avant tous ces événements, je faisais du patinage. J’aimais bien..  Quant à ma taille, elle était cintrée. Pour l’occasion, je m’étais même maquillée un plus fort que d’habitude. De l’eyeliner noir soulignait mes yeux verts, et j’avais recouvert mes lèvres d’un rouge profond qui ne jurait pas du tout avec la rousseur de ma chevelure. Je m’étais parfumée, et un dernier coup d’oeil dans le miroir me confirma que j’étais prête. Prête, mais peut être pas encore mentalement. J’imagine que Victor et Alicia seraient collés l’un à l’autre pendant le dîner..

 

Un coup sur la porte me tira de mon amertume. C’était Konil. Quand il ouvrit la porte, il resta interdit le seuil de ma chambre.

 

 Vous êtes vraiment magnifique mademoiselle Kimberlake, dit finalement Konil.

 

Il me présenta son bras, que je pris, et me conduisit jusqu’à la table du dîner. Mon cœur battait la chamade. Même si ce n’était qu’un dîner. 

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29 mai 2017

Chapitre 2

 

 

Assise en tailleur au centre de mon lit, j’écoutais le titre célèbre du groupe Blink 182, I miss you. Cette chanson me rappelait étrangement la fille. Where are you and I’m so sorry,  I cannot sleep, I cannot dream tonight, I need somebody and always, this sick strange darkness comes creeping on so haunting every time. Je posai ma tête sur mon oreiller et fermai les yeux. Un sentiment de culpabilité m’envahit. Je ne pensais plus qu’à comprendre ce qui m’était arrivé. Qui était la fille ? Qui était son assassin ? Était-ce une illusion ?  Je ne voulais pas y croire. You’re already the voice inside my head, disait le chanteur. Je soupirai. En dépit de la disparition du corps et de la tournure des événements, je ne pouvais m’y résoudre. Les souvenirs du meurtre persistaient trop dans les synapses de mon cerveau. Je ne trouverais jamais la paix si je demeurais sans réponse. Prenant l’objet ancien que j’avais trouvé sur les lieux du crime dans mes mains, je le fis tourner et contemplai ses dessins compliqués. Cela signifiait-il quelque chose ? Je n’en savais rien. 

 

*

*

 

 Laisse tomber, ma mère me lâchera pas tant que je ne serai pas rentrée, dis-je à Molo. 

– Ouais, je comprends. Alors on s’appelle ce soir ? 

 

Je souris à Molo qui s’apprêtait à entrer en cours. 

 

– Ok !

 

Je regardai Molo me sourire en retour et pénétrer dans la salle de cours. Je savais qu’en évoquant ma mère, mon ami ne chercherait ni à me retenir ni à me suivre ; la nature excessive de celle-ci me fournissait souvent un excellent alibi. Je sortis du lycée sans grande difficulté et me mis en route, le pendentif niché au creux de ma poitrine. Le vieil antiquaire vers lequel je me dirigeais, un certain Bernard Loiseau, possédait quelques ouvrages sur des reliques anciennes. Assise dans la rame du métro, je tressaillis en chassant une fois de plus l’image du corps lacéré de la jeune fille de mon esprit. Il était temps d’avancer. La vieille boutique était facile à trouver. Située près de Montmartre, elle s’édifiait en effet dans l’une des ruelles étroites de la ville, selon ce que j’en avais lu sur internet. Je descendis à l’arrêt de métro que j’avais repéré un peu plus tôt dans la journée. Après une marche rapide, j’arrivai à l’entrée de la ruelle. J’y pénétrai le cœur battant, balayant du regard les plaques en métal fixées sur le mur des habitations et qui en indiquaient le numéro. 

Au vu de la peinture craquelée et du bois noirci de la devanture, j’étais arrivée devant la bonne boutique. Ce devait être l’une des plus anciennes du quartier. Mais surtout la plus glauque, en fait. Des tas de corbeaux noirs étaient peints maladroitement sur l’enseigne, figés par la peinture dans une expression cruelle. Après plusieurs minutes d’hésitation, je me décidai à franchir le seuil de la porte. Les cloches accrochées en haut de l’entrée se mirent à tinter. Ce bruit me parut terrifiant. Je regrettai déjà d’être venue. 

 

 –  Bonjour, lançai-je timidement en cherchant le propriétaire des yeux.

 

Je scrutai le vide de la boutique. Une bonne couche de poussière recouvrait les bibelots de la boutique, l’air en devenant difficilement respirable. J’identifiai rapidement Bernard Loiseau qui s’afférait parmi les objets poussiéreux. 

 

–   Bonjour, répondit l’homme avec une voix grave. 

 

Il n’avait même pas relevé la tête pour me regarder. 

 

–  J’aurais besoin d’un renseignement, déclarai-je pour attirer son attention.

–  J’arrive, répondit-il avec un ton froid.

 

Pour la première fois alors, Bernard Loiseau daigna effectivement m’accorder son attention. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, je pus y lire quelque chose qui glaça mon sang. Ses yeux globuleux s’étaient littéralement emplis de haine. 

 

–  Ah… Je savais que tu viendrais, dit Bernard Loiseau.  

–  Quoi ? 

 

Le vieil homme au crâne dégarni s’approcha brusquement de moi, et prit mon visage entre ses doigts ridés.  

 

– Oui c’est bien toi, je te reconnais.

 

Il se mit à ricaner. 

 

–  Et on m’a même dit de tuer. 

–  Non ! Lâchez moi !

 

Je giflai Bernard Loiseau qui recula. Il me tourna le dos tandis que je restai figée sur place par la peur. Il se retourna soudainement et braqua un fusil sur moi. Mon cœur loupa plusieurs battements. Loiseau tira dans l’une des hautes étagères recouverte de livres à quelques centimètres de moi. Je sortis de ma torpeur, et me mis à courir. Lorsque j’ouvris la porte de la boutique, l’horrible sonnette du magasin retentit pour la deuxième fois ainsi que le son du fusil. La balle me frôla l’épaule, et je hurlai en sortant précipitamment de la lugubre boutique. Je courus en sanglotant, mon sang coulant le long de mon bras. Je cherchai des yeux un endroit où me cacher. Mais les pas de l’antiquaire résonnèrent bien trop tôt sur les pavés de la ruelle. Je n’avais plus le temps. Lorsque les bruits de pas cessèrent, le canon de son fusil se colla contre ma nuque. L’homme me tenait en joue. 

 

–  Azitane tu vas périr, cracha l’antiquaire.

–  S’il vous plait, je vous en supplie… dis-je dans un sanglot. 

–  Genoux à terre ! 

 

Il me frappa d’un coup dans le crâne. Je m’écroulai sur le sol, recouvert d’eau de pluie. Il chargea son fusil. Je vis ma vie défiler en quelques secondes devant mes yeux. Le divorce de mes parents, la disparition de Lucas, le meurtre de la fille ; et dire que tout cela n’aurait bientôt même plus d’importance. 

 

–  Ne serait-il pas dommage de tuer une si belle jeune fille ? dit une voix masculine étrangement familière.

–  Qui va là, cria l’antiquaire visiblement furieux.

 

J’entendis que l’antiquaire pousser un cri puis quelque chose tomber lourdement sur le sol. Je n’osai pas me retourner. Je me contentai de remarquer le reflet d’une chose métallique dans la flaque d’eau qui stagnait à la surface de la ruelle juste au dessous de moi. Un silence pesant envahit l’atmosphère. Je tournai finalement la tête ; plus aucune trace de l’antiquaire dans la ruelle.  A sa place se tenait l’inconnu de la bibliothèque qui arborait un sourire plutôt satisfait. L’antiquaire s’était comme volatilisé. 

 

   Tu vas bien ? me demanda l’inconnu. 

 

Pour toute réponse je me levai d’un bond, et me remis à courir.  J’avais couru sur plusieurs mètres avant l’inconnu ne réussisse à me rattraper. Il serra sa main sur mon bras blessé.  

 

– Lâche moi ! dis-je en couinant. 

 Je ne te veux aucun mal ! répondit-il, même pas essoufflé par la course.

 

Il planta mon corps devant le sien, et plongea ses yeux noisettes dans les miens. 

 

–  Mais qui es-tu à la fin ? demandai-je en refoulant de grosses larmes.

–  La personne qui vient de te sauver la vie apparemment. 

–  Où est l’antiquaire ? fis-je en désignant la ruelle du menton.

– Peu importe, répondit l’inconnu. 

–  Moi ça m’importe !

 

Il maintint ses mains sur mes épaules. Il baissa un moment les yeux, avant de reprendre la parole d’un air plus grave. 

 

   Le démon a disparu dans un autre plan. Le sien, en fait.

   Un démon ?

 

L’inconnu me sourit. 

 

– Oui. 

– Ça n’existe pas, les démons… fis-je, en perdant patience.

– Il y a beaucoup de choses que tu ignores, c’est vrai, murmura-t-il. 

 

L’inconnu me tenait toujours. Il me plaqua avec une facilité plutôt déconcertante contre le mur de la ruelle, tout en me regardant droit dans les yeux. Il rapprochait dangereusement son visage du mien, en m’enserrant la taille un peu plus fort… Lorsque nous quittâmes définitivement la ruelle de Montmartre.

 

*

*

 

Espace blanc. Où suis-je ? Qui suis-je ?

Tu es Leen, dit la fille assassinée. Son visage n’est plus lacéré. Je ne veux pas être Leen, lui dis-je. Je ne veux pas me souvenir. Elle me regarde, et me sourit chaleureusement. Elle ressemble un peu à Elia. A la vie, à la mort, elle dit. Mort, a-t-elle dit… Je sens qu’elle m’aime. Je lui dis. Elle me dit que c’est normal. Je lui dis que l’on ne se connaît pas. Et qu’elle est morte à cause de moi. Son visage devient plus doux, et la pureté de ses traits me font mal. Elle prend ma main. Elle me dit que tout ira bien et que je la retrouverais. Je lui ai dit qu’elle est morte, et que c’est impossible. Son visage me sourit mais je sais qu’elle est triste. Elle me répond que c’est pour cela que je la retrouverais.

Je ne comprends toujours pas, lorsque son image se brouille. Non, ne pars pas !

 

 

–  Allez assez dormi, dit une voix en me tirant de mes rêves.

–  Laissez moi…

–  Réveille toi, Leen. 

– Quoi ? dis-je à demi-voix en prenant conscience que je n’étais plus dans un rêve.

–  Allez, gronda la voix.

 

J’ouvris les yeux et réalisai que c’était l’inconnu de la bibliothèque qui avait parlé. Je tentai alors de me redresser sur ce qui ressemblait à une couchette. Aïe. Je portai mon regard sur mon bras, et constatai qu’il avait été bandé. Tout me revint alors en mémoire : le vieil antiquaire avait tenté de me tuer. Mon mal de crâne reprit subitement, même il s’était lui aussi un peu atténué. Je me massai la nuque en me rappelant que ce malade m’avait aussi frappée. D’une façon ou d’une autre, je devais être redevable au garçon qui se tenait dans la tente juste devant moi. 

 

–  Tiens enfile ça, m’ordonna l’inconnu au même moment. Il  me jeta des vêtements. Tu seras plus à l’aise.

 

Je restai hébétée sur ma couchette. Je regardai autour de moi, en constatant que j’étais bel et bien dans une tente. L’inconnu de la bibliothèque était à genoux en face de moi et me scrutait attentivement. Il attendait probablement que j’enfile les guenilles qu’il venait de me jeter dessus. 

 

– Où est-ce qu’on est ? demandai-je. Et ça, c’est pour aller où ? dis-je en désignant les vêtements visiblement un peu usés. 

–   Ne t’en fais pas, tu n’as rien à craindre. 

–  Super. 

 

Je croisai aussitôt mes bras sur ma poitrine avec un air septique. Mon sauveur s’était aussitôt empressé de devenir mon kidnappeur. Le garçon ne devait pas être si mal intentionné puisqu’il m’avait sauvée la vie. Mais son manque d’agressivité envers moi et l’absence de discours délirant ne m’empêchaient pas d’en douter quand même. Une personne qui tuait des démons ne pouvait pas être un saint. L’inconnu de la bibliothèque s’avança vers moi et prit délicatement mon menton entre ses doigts. 

 

–  Tu es en sécurité avec moi, dit-il d’un ton doux. Tu peux me faire confiance. 

 

Ses yeux noisettes se perdirent dans les miens, et mon cœur battit un peu trop fort à mon goût. Je baissai les yeux tandis qu’il relâchait mon menton. 

 

–  Ok, concédai-je finalement. Mais où veux-tu aller ?

– Fais moi confiance, répéta-t-il, tu verras.

 

Je voulais savoir tout de suite. Je faisais rarement confiance aux gens du premier coup. 

 

– Dans un camp, dit-il, qui n’est pas facilement accessible. D’où les vêtements. 

 

J’avais l’impression que l’inconnu venait carrément de lire dans ma tête. 

 

– Pour quoi faire ? 

– Te présenter quelqu’un, fit l’inconnu. 

– Qui ?

–  Le Président. 

–  Quoi, il est ici ? demandai-je, stupéfaite que le Président en personne se déplace pour me voir. 

– Il s’agit d’un autre genre président, m’informa le garçon en souriant. 

–  Et pour quelle raison voudrait-il me voir ? dis-je sans comprendre. 

–  Pour la même raison que d’autres essayent de te tuer…

–  Ce n’est arrivé qu’une seule fois, objectai-je. 

 

Je remarquai aussitôt un sentiment d’inquiétude déferler dans les yeux noisettes de l’inconnu. 

 

– Pour l’instant. 

 

Ses mots firent sonner mon alarme intérieure. J’avais du mal à comprendre que l’on m’en veuille au point de me tuer. Et en même temps, les événements de ces derniers jours avaient pris une tournure carrément digne d’un film de science fiction. 

 

– Qui suis-je alors ? 

– Une personne extraordinaire, me révéla l’inconnu. 

 

Je rougis. Le désir dans les yeux du garçon semblait vif et intense. 

 

– Je disais ça parce que tu as de grands pouvoirs, précisa l’inconnu, un peu gêné. 

– Des pouvoirs ? Attends, les démons existent et maintenant j’ai des pouvoirs ? 

– Pour résumer, oui. 

– Quel genre de pouvoirs ? demandai-je avec perplexité. 

– Je ne sais pas exactement. Mais si tu enfilais ça, fit l’inconnu en désignant les vêtements froissés, on pourrait le demander au Président. 

– D’accord. 

 

J’avais du mal à assimiler les révélations du garçon. Mais force était de constater que je ne m’étais jamais sentie normale. J’allais me dévêtir quand je sentis le regard noisette de l’inconnu s’attarder sur moi. 

 

–  … Je peux avoir un peu d’intimité maintenant ? demandai-je en le fixant. 

–  Oui, oui, bien sûr. Je sors, déclara le garçon.

 

Il baissa les yeux et je sentis son malaise. Puis il se leva et sortit de la tente. Mais mon cœur battait toujours aussi fort. 

 

*

*

 

Je sentais l’amulette pendre entre mes seins. Je la pris entre mes doigts pour la contempler. La chaleur émanant de l’objet me picota les doigts et me redonna du courage pour affronter le reste de la journée. Le garçon et moi empruntions un effet un chemin serpentant entre les conifères d’une imposante montagne depuis le début de la matinée. L’inconnu m’avait dit vouloir rejoindre un camp et me présenter au Président. Un Président différent du… Président. Je soupirai. Je ne réalisai pas ce qui se passait réellement. Je m’étais d’abord éveillée au beau milieu d’une clairière bordée par une forêt dense. J’avais dormi dans une tente avec un parfait inconnu juste après qu’un démon ait bien sûr essayé de me tuer dans les rues de Montmartre, tandis que j’essayais de récolter des informations sur une amulette. Une amulette trouvée en outre dans un endroit où une fille avait été assassinée sous mes yeux dans la plus grande indifférence générale. J’avais l’impression de subir ma vie plus que de la contrôler. Et ce, même au point de ne pas savoir si je vivrais demain. Je contemplai les feuilles des arbres qui étaient de couleur rose. Je n’étais pas perdue, non. J’étais complètement perdue en fait.

 

–  Nous ne sommes pas sur Terre, réalisai-je enfin à voix haute. 

 

L’inconnu s’arrêta et se retourna. Je ne le vis pas, et lui rentrait dedans. Je constatai sans le vouloir qu’il était plutôt musclé. Cela ne me rassura pas vraiment sur les activités du garçon. Il devait certainement pratiquer un sport intense. Ou des crimes intenses.

 

–  Pas vraiment non, avoua t-il. 

 

Je levai les yeux sur son visage, toujours collée contre son torse. Je remarquai son nez court et fin et son regard joueur. Sa barbe de trois jours lui donnait un air encore plus sexy. Il ne chercha même pas à me repousser.

 

–  Où alors ? demandai-je en rougissant, mal à l’aise par notre proximité. 

 

Ses merveilleux yeux noisettes me transpercèrent. 

 

– Mercury, une contrée de Solarium. 

– Solarium ?

– Le nom de cette planète, expliqua brièvement l’inconnu. Est-ce que tu as faim ? 

– Oui. 

 

Victor regarda dans son sac en cuir marron qu’il portait en bandoulière. Il en sortit un bout de tissu qu’il me tendit. 

 

– Tiens, c’est de la viande séchée. J’ai de l’eau si tu as soif, dit-il en désignant sa gourde. 

 

Je pris le morceau de tissu et vis l’inconnu s’asseoir sur un rocher recouvert de mousse rose avec un autre bout de tissu. Je l’imitai, en commençant à manger. 

 

– Au fait, je m’appelle Victor, fit l’inconnu au bout de quelques instants.

– D’accord. 

 

Une fois le repas terminé Victor comptait se remettre en route lorsque je perçus les sons familiers d’une chute d’eau. Ne m’étant pas lavé de la journée, je n’étais pas contre un bon bain. 

 

– Il y a des cascades près d’ici ? demandai-je à Victor. 

– Oui. Tu veux t’y baigner ? 

 

Encore une fois, j’eus l’impression que Victor lisait en moi. Il me sourit. Je chassai cette idée de mon esprit, sachant que je devais déjà digérer l’existence des démons, des amulettes et des cadavres invisibles. 

 

– Oui. 

– Allons y alors, fit Victor. 

 

Lorsque nous arrivâmes près des cascades, je fus fascinée par le spectacle merveilleux que donnait la nature. De la végétation rose et touffue à perte de vue venait parfaire ce splendide tableau naturel. 

 

– Je crois que moi aussi je vais aller me baigner, fit Victor. 

 

Je le regardai se déshabiller aussitôt, et se tenir en boxer en face de moi. Je lorgnai sur son torse musclé retenant péniblement l’envie de m’y blottir. Le garçon me fixait de ses yeux noisettes. Je me raclai la gorge. 

 

– Ne me regarde pas comme ça, dis-je un peu gênée. 

– Désolé, répondit Victor en détournant les yeux. 

 

Je me déshabillai à mon tour, en me débarrassant avec grand plaisir des vêtements immondes dont m’avait affublée le garçon dans la matinée. Je pris machinalement soin de cacher l’amulette et mon portable dans cet amas de chiffons. Je ne voulais pas que Victor remarque l’objet ancien. Celui-ci me regardait justement du coin de l’œil. Je crus qu’il avait vu l’amulette. Mais en scrutant son regard, je n’y perçus qu’une intense lueur de désir.

 

– L’eau n’est pas très profonde, articula-t-il péniblement. 

– Comment tu le sais ? lui demandai-je en souriant.

– Je venais souvent ici avant, quand j’avais le temps. 

– Pourquoi ne l’as-tu plus ?

 

Pour toute réponse, Victor me fit un clin d’œil. Puis il sauta dans l’eau. Je vis sa tête émergée hors du lac quelques secondes plus tard. 

 

– Viens, elle est bonne !

 

Je m’élançai à mon tour dans l’eau. Elle était fraîche mais la température était plus chaude sur Solarium, ce qui me fit un bien fou. J’avais du mal à croire que j’étais en train de me baigner sur une planète que je ne connaissais même pas, sans perdre complètement les pédales. 

 

– Beau plongeon ! me félicita Victor en nageant jusqu’à moi. 

– Et encore, tu ne connais pas toutes mes autres qualités, fis-je en riant. 

 

Lorsque Victor fut en face de moi, il se mit à rire à son tour. Nous nous éclaboussâmes en rigolant. Ce moment d’insouciance m’allait bien. 

 

– Arrête de faire ça ! lançai-je à Victor qui n’arrêtait pas de me projeter de l’eau. 

 

Je riais encore, lorsque je m’aperçus que Victor avait disparu. 

 

– Victor ? fis-je paniquée. Victor, où es-tu ?

 

Je commençai à chercher sous l’eau frénétiquement en criant son prénom. Mon cœur battit la chamade. J’étais seule, le garçon avait disparu. 

 

– Juste derrière toi, Leen. 

 

Je me retournai pour constater que Victor était bel et bien vivant. Il arborait un sourire étincelant. 

 

– Tu m’as fait peur ! Tu l’as fait exprès ?

– Non, promis, dit Victor en riant. Tu t’es inquiétée c’est ça ?

– Bof, lui répondis-je en souriant. 

 

Je me pinçai les lèvres. Oui, c’était exactement ce que j’avais fait. Je regardai Victor, mouillé par l’eau du lac. Il était atrocement beau, et atrocement dénudé. Il me regarda droit dans les yeux. Je cessai de respirer. Il m’attira alors contre lui, et m’embrassa passionnément. Je lui rendis son baiser avec profondeur en me serrant davantage contre lui. Lorsque nos lèvres se séparèrent, Victor colla son front contre le mien et dit simplement :

 

– Il faut qu’on se remette en route. 

 

*

*

 

 La nuit tombait tandis que nous arrivions à ce qui devait être le camp. Un camp vaste, entouré de hautes palissades au sommet desquelles s’entremêlaient des fils barbelés. Je regardai Victor. Après toutes ces heures de marche, il ne semblait même pas épuisé.

 

–  Par là, me dit-il en désignant l’entrée du campement. 

 

Il s’avança vers un garde posté à l’entrée et lui dit quelque chose que je ne compris pas. Il me prit ensuite doucement par le bras et m’attira contre lui. Victor fit un signe de tête au garde qui cria à son tour quelque chose. L’immense porte séparant le camp du reste de la forêt s’ouvrit. Tandis que la porte s’ouvrait dans un pénible bruit de grincement, le vent se leva. J’eus la chair de poule, et regardai Victor. La brise faisait danser ses boucles brunes sur son visage parfait. Il dégageait une beauté surnaturelle. Il me regarda juste au moment où cette pensée traversait mon esprit. Puis il me sourit en posant ses beaux yeux noisettes sur moi. 

La porte ouverte, Victor et moi pénétrâmes dans l’enceinte du campement. J’agrippai instinctivement mon amulette. Elle émettait des ondes de chaleur dans ma main. C’était bon de la sentir ainsi, même si je comprenais pas ce que cela signifiait. Mes recherches sur l’objet ancien n’avaient pas été vraiment couronnées de succès. Je passai en revue ce qui se dressait devant moi. Tout était tellement high tech. Toutes les battisses du campement semblaient faites de métal sur lequel se reflétait le rose des montagnes. Tout était tellement épuré, y compris les tenues des personnes vivant au sein du camp. Tous les hommes portaient des vêtements simples qui moulaient leurs corps d’athlètes à la perfection. Ils déambulaient avec une démarche assurée aux côtés des femmes dont les robes fluides reflétaient toute leur grâce. Plusieurs personnes se retournèrent sur notre passage. Je serrai mon amulette un peu plus fort à me faire une entorse au poignet. 

Au bout d’un certain moment, Victor s’arrêta. Il m’avait conduite devant une haute battisse, encore plus imposante que toutes les autres.

 

–  Nous y voilà, dit-il.

– C’est quoi ? 

– La demeure présidentielle. 

– On dirait plutôt un château hyper hich-tech. 

–  Je vais te présenter le Président, dit Victor en souriant. 

 

Je m’engouffrai avec lui à l’intérieur de la demeure présidentielle. Je constatai qu’elle était faite de baies vitrées et remarquai deux grands escaliers en colimaçon au centre de ce qui ressemblait à un hall d’accueil. Victor me guida vers une sorte de bureau. Il était isolé du reste du hall par une gigantesque porte blanche. Le garçon frappa à la porte. Une voix grave l’invita à entrer. 

 

–  Président Douglas, Leen Kimberlake, dit Victor pour m’annoncer. 

–  Leen ! Quel bonheur de te rencontrer enfin ! s’exclama le Président Douglas assied derrière son immense bureau.

 

Il avait l’air d’être un homme sympathique. Cheveux gris, la cinquantaine. Si on faisait bien sûr abstraction de la grande balafre qui barrait son visage, et des nombreuses armes en métal attachées au mur juste derrière lui. 

 

–  Pareillement. 

–  Et tu es une jeune femme vraiment resplendissante en plus ! s’enthousiasma le Président. Vous ne trouvez pas capitaine ?

–  Oui elle l’est, répondit Victor avec un air détaché. 

 

Je dévisageai Victor et me sentis gênée pour lui. Alors comme ça, le capitaine en personne m’avait bécotée dans les cascades. 

 

– Bien, bien, comment vas-tu Leen ? 

– Bien, merci. 

– Et si tu t’asseyais un moment ? me proposa le Président en souriant.

– Euh… Oui, d’accord. 

 

Je m’assieds sur l’un des deux fauteuils blancs qui faisaient face au bureau du Président. Celui-ci fit une seconde fois le tour de son bureau et s’assied sur son fauteuil. 

 

– Sais-tu qui tu es, Leen ? demanda le Président avec un air sérieux. 

– Que voulez-vous dire par là exactement ? 

– As-tu déjà entendu parlé d’êtres dotés de dons particuliers par exemple ?

 Vous voulez dire comme les… démons ? dis-je en repensant à Bernard Loiseau. 

– Oui, fit le Président visiblement un peu surpris par ma réponse. Comment connais-tu leur existence ?

 

Victor prit la parole après s’être raclé la gorge. 

 

– Un démon a essayé de la tuer sur Terria. Je l’ai neutralisé. 

– Seigneur, fit le Président, le temps presse. 

– Qu’est ce qui se passe exactement ? demandai-je. 

– Tu n’es plus en sécurité sur Terre. Un groupe… de terroristes te recherche dans l’espoir de te tuer. 

–  Mais je n’ai rien fait à personne !

– Le problème Leen, est que tu as des dons incroyables dont tu ignores encore tout, et que tu es destinée à accomplir de très grandes choses. 

– Quels dons ? Me connaissant, je ne vois pas vraiment lesquels. 

– Les oracles s’accordent à parler d’une très puissante élue, issue de Vénusia, qui aurait la faculté de lire les cœurs, et plus encore.  

– Lire les cœurs ? 

– Tu peux deviner les sentiments des autres, les manipuler et probablement user de magie comme les… tiens qui sait, dit le Président avec ce qui avait ressemblé à du dégoût. 

– Vous n’en êtes pas sûr ? C’est ce que vous voulez dire ? le pressai-je. 

– Les oracles ont été tellement vagues que je n’ai pas davantage de réponses. Le mieux étant que tu restes vivre avec nous sur Mercury, conclut le Président. 

– Non, c’est hors de question, hurlai-je. 

 

Le Président regarda en direction de Victor qui se tenait derrière moi. Une expression grave se peignit sur son visage. 

 

  Tu n’as vraiment rien à craindre, insista le Président avec un regard presque suppliant. 

 

J’avais bien envie de lui dire que si, j’avais à craindre. Ne serait-ce parce qu’un démon avait tenté de me tuer, et que j’apercevais des êtres maléfiques tuer des jeunes filles trop fréquemment à mon goût en ce moment. Mais je me retins. 

 

– Je veux rentrer chez moi. 

– Leen comprends bien que ta vie est en danger hors de ces murs, dit le Président, beaucoup de personnes seraient prêtes à te tuer pour que la prophétie ne se réalise jamais. 

– Alors je suis prisonnière c’est ça ? 

 

Le Président Douglas regarda à nouveau dans la direction de Victor. Je jetai moi aussi un œil vers le garçon pour déchiffrer son expression. Je m’aperçus que l’échange visuel entre les deux hommes semblait tendu. 

 

– Non, tu n’es pas prisonnière évidemment. Tu es sûre de ne pas vouloir rester ? 

– Pour l’instant, oui, fis-je. 

– Très bien qu’il en soit ainsi, le capitaine va te ramener chez toi. 

 

Je sentis alors Victor me toucher l’épaule. Ma vision du Président se brouilla, et quelques secondes plus tard, j’étais de retour dans ma chambre. Avec Victor. Et sa main toujours posée sur mon épaule. Il se tenait derrière moi.

 

– Alors toi c’est ça ton super-pouvoir, dis-je. 

– Je me téléporte, oui, fit Victor. 

 

Je fis volte face. Nous nous regardâmes. Soudain mon téléphone sonna dans la poche de mon… affreux pantalon, réalisai-je en constatant que je le portais toujours. 

 

– Je comprends mieux alors. 

– Quoi dont ? fit Victor en souriant. 

– Comment nous sommes partis de Montmartre, hier, dis-je. 

– Une heure seulement s’est écoulée ici, m’apprit Victor, il doit être à peine 20 heures.

– Le temps ne passe pas de la même façon ? lui demandai-je un peu surprise. 

– Non, la terre n’est qu’une imitation imparfaite de Solarium. 

– Comment ça ? 

– Je t’expliquerai plus tard, me dit Victor en souriant. 

– Tu t’en vas ? lui demandai-je. 

 

Mon téléphone sonna dans ma poche au même instant. Je lus le nom affiché sur l’écran. Molo.

 

– Excuse moi, c’est un ami… Victor ? 

 

 ​Je regardai partout dans ma chambre. Victor avait disparu. 

Après avoir raconté un mensonge bien ficelé à Molo, je m’endormis en repensant à la journée folle que je venais de vivre. Et beaucoup à Victor.  

 

*

*

 

– Leenie ! Cours, il est là ! cria la fille recouverte de sang.

 J’avais peur, et mon cœur battait à cent à l’heure. Je savais qu’il était de retour. Ce visage maléfique. Aux traits si purs. Ce poignard. Trop tard. Je sentis ses mains glaciales sur mes épaules. Et il me projeta à terre. La voix dans ma tête avait cessé de hurler, c’était moi qui hurlais maintenant.

 Je le distinguais mal. Mes yeux, trop emplis de larmes.

 Atroce, douleur.

 La peur.

 La mort.

 Je hurlai en me réveillant dans ma chambre.

 

*

*

 

–  Bien dormi ? demanda ma mère en me voyant entrer dans la cuisine, le matin suivant. 

–  Ouais, mentis-je.

–  Tu rangeras la table avant de partir au lycée. Et ne mets pas de miettes partout quand tu manges s’il te plait, dit-elle en désignant les toasts grillés du menton. A ce soir !

 

Elle m’embrassa sur la joue en y laissant une grosse trace de rouge à lèvre. J’entendis la porte d’entrée claquer. J’étais d’humeur maussade, et laissant glisser mon regard sur la fenêtre, la météo n’allait pas faire réapparaître mon sourire d’aussi tôt. Je pris une longue douche brûlante. En frottant ma joue frénétiquement. Il me fallait au moins ça pour effacer à la fois le rouge à lèvre de ma mère et mes mauvais rêves. Je sortis de la douche, et m’habillai. Legging en simili cuir, tunique en tracite à motif tête de mort, et bottines en cuir. Je mis un bonnet noir sur mes cheveux roux pour parfaire ma tenue. Je me regardai dans le miroir de ma chambre. Le trait d’eye liner noir faisait ressortir le vert de mes yeux. Je pris mes écouteurs, et consultai rapidement mes textos. J’en avais un de Jenny qui disait qu’elle avait changé de couleur de cheveux. Je souris. Certaines choses étaient restées visiblement les mêmes. 

La journée de cours passa plutôt vite. J’avais juste eu du mal à me concentrer. Le sens de la réalité m’échappait, mon esprit s’étant égaré quelque part entre Solarium et la planète Victor. J’avais l’habitude de me sentir seule, mais pas de cette façon. Si Lucas avait été là pour me serrer dans ses bras comme il le faisait si bien, j’aurais pu résister à l’envie d’en apprendre davantage au sujet de Solarium. Mon ami m’aurait fait rire. Son visage si chaleureux et son sourire si apaisant m’auraient fait chaud au cœur. La douleur de sa disparition brisa un peu plus mon âme. Il me manquait. Je me pinçai les lèvres pour ne pas pleurer en pensant à mon ami décédé. Je repris mes esprits. Personne ici, ne devait savoir. Et je me fichais de ce que tous ces professionnels de l’esprit prétendaient « voyez-vous mademoiselle Kimberlake, si vous ne faîtes jamais confiance à personne, que vous ne vous confiez pas et que vous restez constamment dans votre bulle, comment voulez-vous aller de l’avant ! ». Je plaquai un sourire sur mes lèvres. 

La cloche sonna, fin des cours. Molo me rejoignit dans l’un des couloirs du lycée, tout sourire.

 

–  Elle est conquise, c’est officiel !

–  Qui ça ? demandai-je, visiblement à côté de la plaque.

–  Mais mademoiselle Tri-ni-ty ! dit-il avec admiration.

– C’est vrai que sa gaine rouge battait fort la chamade à un moment…

–  Rabat-joie ! dit-il en riant. Elle a proposé de me donner des cours de soutien.

–  Et ?

–  Elle me désire enfin, c’est évident ! s’exclama-t-il avec un air émerveillé. 

–  Ou alors, elle te trouve à la ramasse…

–  Ecoute on en reparle tout à l’heure, au ciné ? J’dois filer faire une course. 

 

Je riais devant la bonne humeur de mon ami, en lui lançant un malicieux « à toute mon petit sucre ! ». J’adorais ce type, son énergie tellement revitalisante.

 Il ne me restait plus qu’à rentrer chez moi, histoire de me préparer. Je tressaillis. L’idée d’emprunter le chemin du retour me donnait encore la chair de poule. Cette fille… « Mais ce n’était qu’un cauchemar ! » s’exclama mon subconscient qui était épuisé par moi même. Des frissons me parcoururent. Je décidai de mettre mes peurs de côté. Je partis. Tout en enfonçant mes écouteurs dans mes oreilles pour faire taire mon mauvais pressentiment.

 Enfin arrivée chez moi, je relâchai la pression. J’étais tellement persuadée qu’un meurtrier psychopathe en voulait à ma peau… Tout en pensant à ma déficience mentale, je pris un coca zéro dans le frigo de la cuisine. Pschiiiit. Le bruit familier de la canette fraîchement ouverte me fit du bien. J’avalai le soda tout en savourant le pétillement de celui-ci dans ma gorge. Puis je consultai mes sms. Rien de neuf. Alors je montai dans ma chambre, canette à la main, écouteurs dans mes oreilles. Et je chantonnai gaiement. Avec beaucoup de fausses notes, un titre de Katy Perry, Hot n Cold. « Youuuuu changed your mind like a giiiiirl… ». On fait tous des erreurs, hein…

 Je franchis le seuil de ma porte, et me heurtai à quelque chose de dur. Je levai les yeux. Et hurlai.

 

–  Moi aussi, je suis ravi de te revoir, dit Victor dans un sourire radieux.

29 mai 2017

Chapitre 1

 

Cela faisait un an que mon meilleur ami était porté disparu.

La police avait interrogé ses parents, ma mère et bien sûr moi, la dernière personne selon leurs recherches à l’avoir aperçu vivant. Mise à part les suspicions de la police à mon égard, la vie aurait pu être supportable si des rumeurs obscènes n’avaient pas commencé à faire de moi une meurtrière. « Leen est une tueuse en série ! » et même carrément « Qu’a-t-elle fait du corps ? », voilà entre autre, ce qui s’était dit de moi pendant des mois dans mon ancien lycée. Cette histoire de disparition avait pris des proportions tellement énormes que tous mes « amis » avaient soudain cessé de l’être. J’étais devenue une solitaire endurcie, et ce n’est que lorsque ma mère tomba au chômage que nous prîmes la décision irrévocable de quitter Toulouse. J’avais passé l’été dernier à faire des cartons et nous étions parties sans un au revoir des gens que nous avions pourtant, toujours connus.

J’avais stupidement espéré qu’entre temps, on retrouvait Lucas sain et sauf. Mais bien sûr, rien ne s’était jamais produit. Tout le monde savait qu’il était mort, certains se disant même que je l’avais assassiné. Il n’y avait que moi pour espérer son retour. Et parfois, en le revoyant partir après notre dernier rendez-vous un sourire étincelant au visage, je me rendais compte d’avoir laissé passer la dernière chance de lui dire combien je l’aimais. 

Je me massai le front et me levai péniblement. J’empruntai l’escalier situé à côté de ma nouvelle chambre pour rejoindre rapidement la cuisine. Après avoir dévalé les marches, la bonne odeur des toasts grillés enveloppa immédiatement mes narines. Je pénétrai dans la cuisine et mon estomac gronda au même instant. Je me dirigeai vers la petite table carrée où attendait une assiette remplie de toasts grillés et beurrés. J’en pris un à pleine bouche, sans avoir pris la peine de m’asseoir, ce qui me valut bien sûr, un regard noir de ma mère déjà assise à table.

 

– Tu vas mettre des miettes partout dans ma cuisine, s’exclama-t-elle.

– C’est bon, c’est rien… dis-je un poil excédée.

 

Ma mère, Louise Kimberlake. S’il y avait bien une chose à savoir à propos de maman, c’était que nous n’étions jamais d’accord sur rien. Ou plutôt, qu’elle s’obstinait toujours à dénigrer mes projets présents ou futurs, à lancer des boulets de canon sur mes rêves ou à me rappeler combien mes nouvelles fréquentations étaient méprisables. Notre relation n’en avait pas toujours été ainsi. Elle l’était seulement depuis la disparition de Lucas. 

De retour dans ma chambre, je venais de perdre instantanément l’appétit, et avalai péniblement la dernière bouchée du toast que je tenais dans ma main. Je rassemblai mes vêtements et me dirigeai vers la salle de bain en me disant que ma vie à peine commencée, était déjà un fiasco monumental. Et lorsque l’eau se mit à couler sur ma peau, une autre pensée noire me vint. Le pire était que j’étais là. « Coincée là » rectifiai-je, pour mieux situer le contexte, dans cette ville immense et froide qu’était Paris. 

 

*

*

 

La cloche sonna, annonçant ainsi le début de la récré. Comme je sortais du cours de français, je rejoignis l’un de mes nouveaux amis, Molo. De son nom complet, Molo Tao. Un nom d’origine vietnamienne apparemment, mais un sale nom quand même. Mon ami en avait pleinement conscience ; à 18 ans, notre âge, les autres laissaient peu de place à la différence et ne se privaient d’ailleurs pas pour le faire savoir. Ils ne s’en étaient pas privés pour Molo en tout cas. Celui-ci, qui était plutôt sensible aux regards des autres, avait beaucoup souffert par rapport à ces moqueries. Il compensait désormais le handicap social que représentait son nom par la recherche quasi maladive de popularité. C’est ce besoin d’être aimé entre autre, qui l’avait conduit à fréquenter son groupe d’amies actuel…

Ce jour-là, nous marchions côte à côte dans l’un des couloirs du lycée, Molo me balança avec un air rêveur qui le caractérisait bien :

 

– Elle était vraiment belle aujourd’hui ! 

Qui ?

– Mais mademoiselle TRI-NI-TY, enfin ! parut s’offusquer Molo, qui pensait son allusion manifestement évidente.

 

Lorsque je compris de qui il s’agissait, je fis semblant de m’étrangler de mes propres mains. Molo avait un goût tellement particulier pour les femmes, à vrai dire. Notre nouvelle prof de français était tellement.. tellement « spéciale en son genre  », « dans son monde » , que j’avais juste une irrépressible envie de rire devant ce nouveau béguin. J’avais l’impression que mon ami vivait parfois sur une planète située à des années lumières de la Terre. Soyons réalistes, notre prof était un cas social. Rien que physiquement déjà ; cette femme d’une cinquantaine d’années portait systématiquement des sous-vêtements rouges vifs qui dépassaient toujours d’un jean ou trop serré ou trop court et parfois même les deux ; psychologiquement disjonctée, elle philosophait beaucoup et surtout beaucoup trop, et partait dans des réflexions qu’elle était la seule à comprendre voire même à avoir. Souvent même, elle nous parlait simplement de son divorce en maudissant tous les hommes de l’univers.

 

–  Parfois, j’aimerais que tu sois gay… fis-je.

 

Molo fit mine de bouder en entendant ma réflexion. Mais il finit par rire tout en m’entraînant vers son groupe d’amies supputai-je, qui à cette heure-ci, devaient être réunies sous le préau de la cour. J’eus la confirmation de notre destination lorsque je perçus leurs cris stridents en sortant du bâtiment scolaire. Et après quelques pas, Molo et moi arrivâmes finalement vers le groupe, composé exclusivement de filles ultra-populaires.

 

–  Salut, ça va les girls ! dit Molo.

 

Il s’avança vers elles.

 

–  Salut Molo, ça va et toi ?

    
 Elles lui posèrent pratiquement la question en chœur. 

 

–  Su-per, bi-en ! dit  Molo.  

 

Quant à moi, je me contentai de rester en retrait en adressant un rapide sourire aux filles présentes dont je croisais le regard sournois ; Sophie, Jenny et quelques autres dont je ne me souvenais pas très bien du prénom. Je vis soudain Sophie agripper les mains de Molo qui était à côté de moi, et lui dire précipitamment :

 

– Tu ne devineras jamais ! Jenny s’est fait plaquée par Christian tout à l’heure ! lâcha Sophie.

 

La jeune fille n’en pouvait manifestement plus de porter le poids d’un si lourd secret.

 

– Non mais quel con-na-rd !

– T’es sérieuse là ? fit immédiatement Molo.

 

Molo semblait très choqué par la nouvelleA côté de lui, je fis machinalement craquer les phalanges de mes doigts. Christian ? Aussi loin que mes souvenirs remontaient, je crois que je détestais de toute façon déjà ce mec. Il avait tout pour ce que ce soit le cas ; il était grand, footballeur et avait une coupe de surfeur. Et je détestais tout ce qui était grand, footballeur et avait une coupe de surfeur. Aux premiers abords, il aurait pu être mignon. Mais tout son charme s’évanouissait généralement à partir du moment où il tentait vainement de donner un sens philosophique à ses remarques machistes.

 

–  Sophie, on avait dit que c’était moi qui le dirais ! s’énerva Jenny aux côtés de Sophie.

–  Oh merde, désolée ma puce, mais je suis genre trop émue pour toi, déclara Sophie.

 

Sophie passa ses bras autour de son amie. Jenny lança quand même un regard mauvais à Sophie qui lui avait volé le plaisir d’annoncer sa rupture avant d’accepter le câlin. Puis la trahison fut vite oubliée, et Jenny après un jeté de chevelure travaillé à la perfection, prit une profonde inspiration avant de commencer son histoire. Tandis que moi, trépignant à côté d’un Molo captivé, j’aurais juste voulu partir loin d’ici.

 

*

 

A la fin de la matinée, j’étais affamée. Je me dirigeai déjà vers la cafétéria lorsque j’entendis crier mon prénom :

 

– Leen, attends nous ! cria Molo.

 

Je me retournai pour constater que Molo et sa bande me rejoignaient déjà. Ça ne me plaisait pas particulièrement de constater leur arrivée, j’aimais plutôt être seule. En les observant s’avancer vers moi, je remarquai pour la première fois de la journée que Jenny avait mis de très hauts talons et tentait vainement d’adopter une démarche élégante. Je pouffai. Jenny ressemblait à un canard blessé par un chasseur. 

Une fois tout le monde réuni, Molo, moi, et le canard blessé, nous empruntions un chemin qui menait à une ancienne battisse grise : la cafétéria. La plupart des baies vitrées qui l’entourait avait été vandalisées, ce qui était étonnant puisque mon lycée n’était exclusivement fréquenté que par des bobo dont les parents dépensaient sans compter. Lorsque j’aperçus l’immense file d’attente devant les portes d’entrée, je maudis secrètement l’administration pour ce manque d’organisation récurant. Ce ne fut qu’une demi-heure plus tard que nous arrivâmes devant l’éventail des plats proposés.

J’avais déjà plus ou moins repéré ceux que je jugeais mangeables. Et il fallait au moins une minutieuse expertise des plats pour survivre aux expériences culinaires de notre cuisinière… Une irlandaise un peu joufflue dont je n’avais pas très bien compris le parcours professionnel. Elle avait soit disant raté de peu son entrée au guide Michelin. « Après avoir failli assassiner l’ensemble des membres du jury », commentai-je à voix basse en examinant l’une des assiettes de rollmops déposée devant moi. Je levai les yeux pour observer les autres qui s’avançaient devant le self service, en faisant glisser leurs plateaux sur le comptoir prévu à cet effet. Ils avaient tous des expressions dubitatives et des moues dégoûtées. Finalement, je pris une espèce de steak haché industriel accompagné de frites surgelées.

Molo me glissa alors à l’oreille :

 

–    Ça a l’air encore plus dégueulasse qu’hier…

–  Dis toi que c’est potentiellement moins dégueulasse que demain du coup, lui répondis-je sans grand enthousiasme.

 

Il rit. Je regardai alors Jenny et Sophie, qui venaient de choisir une salade composée. Je souris. Elles tenaient absolument à garder la ligne ;  « il me faut un cul d’enfer pour les Caraïbes » aurait dit Sophie avec un jeté de chevelure ultra perfectionné ; son père était en effet PDG d’une très grande enseigne de fast food et offrait chaque année des vacances de rêve à sa famille.

Nous nous installâmes ensuite à la plus grande table du self située en plein milieu de la cafétéria. Quelques instants après, le repas s’engagea sur les derniers potins dont Jenny était principalement la vedette. D’après ce que ce qui se disait déjà, elle était apparemment tombée follement amoureuse d’un garçon prénommé Samuel. Contrairement aux autres, je n’étais pas très convaincue par la profondeur de cet amour. Mais je gardai le silence tout en piochant dans mes frites. Mais la voix de Jenny continuait de déverser un flot de conneries, qui donnait une saveur âpre à ma nourriture.

 

–  Il m’a envoyé un cœur par texto, c’était tellement mignon… dit cette dernière.

 

Elle faisait des grands gestes de ses mains manucurées, pour donner plus d’impact à son récit. Gloussements à la table. Je fis moi aussi semblant de glousser en entendant Jenny déblatérer ses conneries comme si c’était la chose la plus intéressante au monde. Je parodiai même les gestes de ses copines ; mes deux mains étaient exagérément plaquées sur mes joues tandis que mes lèvres formaient lentement les mots « OH-MY-GOD ». Quant à Sophie, elle prit son air le plus attendri, et roucoula un très niais :

 

–   Christian va genre trop le regretter ma chérie !

 

Je levai les yeux au ciel en mimant un gun imaginaire pointé sur mon crâne. Molo qui était assis à côté de moi, me donna alors un grand coup de coude quand il s’aperçut de mon cinéma. Il me fit même ses gros yeux spécial histoire passionnante de Jenny, qui signifiait que je devais rester tranquille. Puis il me sourit en me lançant un clin d’œil entendu. Il se laissa ensuite de nouveau complètement absorber par les histoires des filles. Il était vraiment pire qu’elles…

Pour cette raison, les mondanités m’exaspéraient et me faisaient sentir seule depuis toujours. Je me sentais tellement différente parfois. Seulement quelques personnes me comprenaient sur Terre et comptaient vraiment pour moi. Molo en premier lieu, et ma meilleure amie Elia en deuxième, que je connaissais depuis l’enfance. Cependant depuis mon déménagement, nous n’étions plus aussi proches et je sentais que le temps et la distance finiraient par complètement nous éloigner. Je soupirai. Mon ancienne vie me manquait, et cette nouvelle solitude me pesait. 

J’entrepris donc d’observer les alentours tandis qu’un ennui mortel commençait à me guetter. Des cris me firent sortir de mes pensées.

 

–  Non arrête, c’est toi la plus belle ! cria une voix de fille par dessus le brouhaha du self.

 

Mon attention se focalisa alors à l’endroit d’où venait le cri. D’autres agaçantes « BCBG » comme Jenny, venaient de se faire remarquer. « On est vraiment les meilleures amies du monde, ma sœur » s’écriaient-elles aussi avec un sourire idiot et des larmes de crocodile. Je roulai des yeux, puis décidai de reporter mon attention ailleurs. Je ne trouvai rien de mieux que focaliser mon attention ailleurs, sur Jenny et Sophie qui étaient littéralement en extase au beau milieu de leur harem. Harem, qu’avaient rejoint les agaçants « BCBG », du genre de Christian… Qu’est-ce qu’il venait d’ailleurs faire à notre table ? Je constatai aussitôt que Jenny lui lançait ses regards les plus assassins tandis que cet abruti faisait gonfler ses biceps pour impressionner ces dames. Je soupirai.

 

–  Non mais c’est quoi ce mec… dis-je à l’oreille de Molo.

 

Je désignai Christian.

 

–  Il fait de la gonflette, si tu veux mon avis… fit celui-ci, qui avait déjà remarqué le jeu de Christian.

 

Ce dernier, content que je l’ais moi aussi remarqué, me sourit depuis l’autre bout de la table en me lançant un clin d’œil.

 

–  T’as une poussière dans l’œil, gros débile ? lui lançai-je.

–  Arrête, t’es sous mon charme, fit Christian. 

 

Il bomba le torse. Le silence tomba subitement sur la tablée. Le temps pour moi de réaliser que je venais carrément d’être draguée par l’intouchable ex de Jenny. Celle-ci s’en prenait d’ailleurs maintenant visuellement à moi, et Sophie l’épaulait. 

 

–  Ouais, ça doit être ça, fis-je ironique.

 

Christian partit d’un rire gras et satisfait, puis se reconcentra sur ses biceps. Je sentis alors tous les yeux me scruter et compris qu’il ne s’agissait en fait que la bande de Jenny avait pris ma conversation avec Christian au premier degré. N’ayant rien à foutre de ce qu’elles pouvaient toutes penser, je leur fis un sourire faux qu’elles me rendirent avec haine. Je reportai aussitôt mon attention sur Molo pour vérifier qu’il n’avait rien vu. Raté, son regard posé sur moi signifiait très clairement qu’il m’en voulait pour cette attitude. Je lui dis à voix basse :

 

–  Tu sais très bien que je n’étais pas sérieuse, arrête…

–  Ne fais pas comme si tu te foutais de tout ! dit Molo.

–  Mais tu traînes avec des connes !

 

Molo bouda instantanément et ne me regarda plus. Je savais en mon for intérieur que mon ami avait besoin de ces filles. Il avait dû se battre pour entrer dans leur cercle social, et même si tout ce système me répugnait au fond, je compatissais pour Molo. Je me radoucis, et déposai un baiser sur la joue de mon ami. Je lui dis que j’étais désolée à l’oreille. Molo me serra alors la main et je sentis que sa colère était un peu passée. Pas comme celle de Jenny et Sophie qui me haïraient au moins une semaine. Cette ambiance glaciale à table était devenue beaucoup trop lourde pour moi soudain. Je me levai et pris mon plateau après un rapide « au revoir » au groupe, et de multiples regards assassins venant de Jenny et de Sophie. Je le déposai à la plonge de la cantine, puis sortis du self. Je me sentis immédiatement libre, loin du groupe et de la pression sociale, même si elle ne s’exerçait pas vraiment sur moi. Passant en trombe par la cour qui était bondée de groupes de discussion desquels me parvenaient confusément rires gras et gloussements agaçants, je longeai un long couloir sombre avant de pousser l’immense porte en bois qui constituait l’entrée de la bibliothèque. Je repérai ensuite une table située au fond de la salle, protégée par une multitude d’étagères. En réalité c’était toujours là que je m’asseyais, pour que personne ne vienne me déranger. Je sortis de mon sac en bandoulière mes affaires de cours, dont faisaient partie stylos et feuilles. Puis je me mis à travailler. 

Une heure venait déjà de s’écouler lorsque je me concentrai sur l’analyse du poème de Victor Hugo, « Demain dès l’aube ». Mais mon attention fut immédiatement captée par l’arrivée d’une personne dans mon périmètre. Je levai les yeux pour identifier l’inconnu et je me figeai. Une bombe ultra sexy descendue des dieux se dirigeait tout droit vers moi. Sans pouvoir me contenir, je dévisageai le garçon qui s’avançait, en m’attendant presque à ce qu’il change de trajectoire pour rejoindre quelqu’un d’autre. Je regardai aux alentours, et je constatai qu’il n’y avait bien sûr personne à part moi. Fixant à nouveau mes yeux sur le garçon, je remarquai que sa peau était légèrement dorée… faite pour capter les rayons du soleil. Il n’était pas encore très proche de moi, mais son parfum emplissait littéralement mes narines. Ce n’est que lorsque mon regard s’attarda sur ses yeux noisettes malicieux que je fondis complètement. Je dus me taper mentalement les joues pour rester consciente. Finalement l’inconnu s’arrêta net devant ma table. Dans un sourire et un jeu d’épaule, il dit :

 

–  Je peux m’asseoir ? 

–  Euh.. oui, balbutiai-je en admirant sa musculature. 

 

Je me sentais comme Sophie et Jenny à cet instant. Prête à glousser, en me dandinant fiévreusement. Alors que je me criais à moi-même à quel point j’étais pathétique, je tentai de me ressaisir.  C’est à ce moment que le garçon s’installa à côté de moi. Sur la chaise la plus proche de moi, physiquement. Son parfum embauma complètement l’atmosphère. 

 

 – Je te vois souvent ici, dit finalement l’inconnu pour briser la glace. 

 – Parmi toute cette foule, tu veux dire ?

 

Je lui souris maladroitement. J’avais l’impression que mon cerveau se liquéfiait. Mais le garçon rit quand même en ne cessant de poser ses yeux sur moi. Et rire aussi, cela le rendait particulièrement magnifique.

 

–  Tu bosses sur quoi ? dit l’inconnu. 

–  Mon cours de français..

– Oh, fit-il.

 

Il pencha sa tête sur mes cours pour les examiner.

 

– Tu as une jolie écriture, conclut-il.

– …Merci.

 

Il y eût un moment de silence gênant. J’avais plongé mes yeux dans les siens. Et il avait plongé ses yeux dans les miens. Il sentait tellement bonpaniquai-je intérieurement. Il me sourit, comme pour répondre à mon commentaire mental. Puis dans un sursaut de lucidité, je parvins à réaliser que son attitude était peut être complètement étudiée. Il me faisait sûrement un numéro de charmeur, conscient de son potentiel. Je me refroidis, et baissai les yeux sur mes cours.

 

–  J’espère que le fait de travailler aux côtés d’un parfait inconnu ne te dérange pas.. dit l’inconnu. 

 

Je rougis, malgré moi.

 

–  Parce que toi non ? lui demandai-je. 

– Moi je te connais Leen Kimberlake, répondit l’inconnu.

–  Quoi ? fis-je surprise.

 

Il rit de bon cœur devant mon air étonné. Et mes hormones reprirent le contrôle de mon esprit l’espace d’un instant. Il était beau, drôle, souriant, aimable… beau. Et en même temps, les dernières neurones en fonctionnement se demandaient encore ce qu’il faisait là, comment il me connaissait et pourquoi je ne l’avais jamais vu dans ce lycée.

Cela faisait au bout de temps qu’il était à côté de moi. Un bout de temps que l’on travaillait dans une ambiance de plus en plus pesante. L’air en était devenu quasiment irrespirable. J’avais eu du mal à me concentrer sur mon cours. J’étais trop obsédée par l’odeur, la voix et les gestes du garçon. Je sentais ses yeux se poser sur moi fréquemment, ce qui me rendait d’autant plus nerveuse. 

 

–  Je te propose un café ? me demanda soudainement le garçon.

 

Il s’était levé et commençait à rassembler ses affaires. 

 

–  Pour quoi faire ?

–  Décompresser, entre autre… Tu trouves ça si choquant ? demanda l’inconnu en riant.

–  Non…

–  Tu es libre maintenant ?

–  Je dois finir mes devoirs…

–  Dommage Leen, une prochaine fois, fit inconnu dans un sourire.

 

Il passa l’une des bretelles de son Eastpak derrière son épaule puis partit. Alors qu’il venait de s’en aller, je me rendis compte qu’il avait oublié son stylo… Je me levai de table, et courus après l’inconnu, m’attendant à le rattraper avant qu’il ne sorte de la bibliothèque. Mais je me retrouvai rapidement devant l’entrée de celle-ci sans l’avoir même aperçu. En poussant l’énorme porte en bois, je scrutai attentivement le couloir sombre que j’avais emprunté en venant pour voir s’il n’y était pas. 

L’inconnu s’était volatilisé. 

 

*

*

 

Quelques heures plus tard, j’avais enfin décidé de quitter la bibliothèque. J’étais restée très tard pour rattraper le retard que j’avais pris dans l’après-midi… et mon esprit glissa vers le souvenir troublant de l’inconnu. Avant de partir, je pris le temps d’envoyer un texto à Elia. Elle me manquait. Lorsque je sortis de mon nouveau lycée, l’air s’était légèrement rafraîchi et la nuit était presque totalement tombée. J’enfonçai mes écouteurs dans mes oreilles, et dépassai rapidement les gigantesques grilles séparant mon lycée de la rue. J’empruntai ensuite le chemin menant à mon arrêt de bus ; par chance, il était en avance. Je montai à l’intérieur, après avoir validé mon ticket. Il n’y avait pas trop de passagers, alors je m’assis sur l’un des sièges disponibles. Le bus allait bon train, et me porta sur plusieurs arrêts.

Soudain je les vis tous les deux, courir le long de l’allée dans laquelle venait de s’engager le bus. Je fus immédiatement fascinée par la scène. Alors que le bus venait de s’arrêter, je regardai fixement ces gens qui semblaient se pourchasser. Les gens avaient vraiment de passe-temps étranges à Paris.

Lorsque je les vis plus distinctement, mon sang se glaça. Le temps d’arrêt me permit de contempler l’horreur figée sur le visage d’une femme pourchassée par un homme à capuche. Je réalisai ensuite péniblement, que l’homme tenait fermement un immense poignard dans sa main gantée. 

Je voulus descendre du bus à ce moment-là, mais le conducteur ferma les portes et démarra le véhicule.

Je me tournai vers lui. 

 

–  S’il vous plait, je dois descendre !

– Il va falloir attendre le prochain arrêt, répondit le conducteur d’un ton las.

 

Je ne pouvais pas attendre. Mon nez se colla à la vitre du bus, et je frappai celle-ci de toutes mes forces, en hurlant à la jeune femme de courir plus vite. Elle devait courir plus vite. L’homme vêtu d’un sweat-shirt sombre se rapprochait dangereusement d’elle.

 

–  Plus vite ! hurlai-je.

 

Pas de réaction. Ni d’elle, ni de lui. Cette fille n’avait même pas détourné le regard dans ma direction. Je pris alors conscience que le bus me séparait d’elle, et m’emprisonnait loin d’elle. Elle ne pouvait pas m’entendre. En revanche, le conducteur et les passagers m’entendaient très bien. 

 

– Mademoiselle calmez-vous, me dit l’un d’eux, vous êtes dans un lieu public !

– Mais enfin regardez dehors ! m’affolai-je en scrutant au travers de la vitre. Cette femme va mourir !

 

Le passager s’avança pour faire de même. Il prit un air perplexe. 

 

–   Je ne vois rien…

 –  Mais là, regardez, vous ne les voyez pas ! dis-je à voix haute en pointant mon doigt en direction de l’être sombre.

–  Il n’y a personne, trancha le passager. 

 

Mes yeux se fixèrent à nouveau sur la scène. Je n’étais pas folle. Ils couraient toujours.

Puis le bus s’arrêta soudain. Lorsque les portent s’ouvrirent, je bondis hors du bus, dévalant l’allée à toute vitesse. J’avais vu la fille poursuivie par l’homme, tourner dans une rue perpendiculaire. En quelques instants, j’étais à l’entrée de la ruelle où ils s’étaient engouffrés. Et je les vis à bout de souffle, tout au bout de ce qui était en fait… une impasse ! La jeune femme était piégée. 

 

– Laissez moi ! s’étrangla-t-elle au même moment.

 

Mais l’homme ricana.

 

– Tu sais bien que c’est parfaitement impossible, dit-il. 

 

J’allais prendre mon courage à deux mains et m’interposer avant qu’il ne soit trop tard, lorsque l’ombre plongea sur la fille. Il y eut une explosion, et je me retrouvai projetée en arrière de quelques mètres. Je repris mes esprits quelques secondes plus tard, sans bien comprendre ce qui s’était passé. En relevant la tête, je me rendis compte qu’il y avait plus qu’un corps allongé dans l’impasse. Je me relevai péniblement, mais aussi vite que je le pouvais.

 En arrivant près du corps, je faillis rendre tout mon déjeuner. Le corps de la fille avait été… littéralement lacéré. Quant à son visage… Impossible de reconnaître un faciès, dans cet amas de chair et de sang… Une seule chose ne m’échappa pas. Mon nom, Leen Kimberlake, gravé sur la peau de la fille maintenant morte assassinée.

 

*

*

 

« Je vais bien, et toi ? ». Je venais de recevoir le texto d’Elia, et je sentis un sourire ironique se dessiner sur mes lèvres. Je fixai le plafond de ma chambre. Je venais de passer une semaine complète à épier tous les médias, tous les médias sans exception. A chaque JT, j’avais été en proie à une crise cardiaque de peur de lire mon nom, une nouvelle fois associé à une disparition. Que dirait-on de moi ? Je voyais d’ici mes anciens amis se prêter à cœur joie à des tonnes d’interview sur le fait que j’étais une véritable tueuse en série. J’avais lu la rubrique des faits divers tous les jours qui suivirent, en retenant mon souffle. Et pourtant rien. La mort de la fille était tombée dans l’indifférence générale en dépit… de son atrocité. Ou était-il possible que les enquêteurs aient préféré garder le secret sur cette affaire ? Qu’adviendrait-il si quelqu’un faisait le lien entre cette fille et mon nom… ? Je ne pris même pas la peine de répondre à Elia, sentant qu’il me serait impossible de donner une réponse sincère à sa question. Je me redressai dans mon lit.  Bien que j’avais été bouleversée par le meurtre, je n’avais selon moi rien laisser paraître. Molo m’avait simplement confié que le groupe me trouvait de plus en plus bizarre. Et moi, c’était ma vie que je trouvais de plus en plus bizarre. 

Quand je ne surveillais pas l’actualité, je passais toutes mes journées à la bibliothèque. Cloîtrée dans la bibliothèque, à rechercher des informations en matière de criminologie. Et je me planquais aussi un peu dans cet endroit que je considérais depuis mon arrivée comme un sanctuaire. Toutes les analyses psychiatriques rejaillissaient constamment dans mon esprit, et j’étais persuadée d’avoir finalement… bel et bien un problème. J’étais dérangée, il fallait le dire. Avais-je rêvé ce meurtre ? Avais-je participé à la disparition de Lucas un an auparavant ? Qui étais-je ? Leen Kimberlake, c’était marqué sur la peau ensanglantée de la fille. Je pris mon téléphone et fis la dernière chose la plus insensée que j’avais à faire. Je réglai mon réveil pour 4h du matin. J’allais me rendre à nouveau sur les lieux du meurtre et tâcher de comprendre ce qui m’arrivait. 

Ce matin-là, l’air était frais et le soleil ne s’était pas encore levé. Je ne ressentais plus la malfaisance qui avait imprégné l’air le soir du meurtre. Il n’y avait pas d’ombre, pas de poignard et pas de fille pourchassée à mort non plus. Cependant, je mis un temps fou à trouver le courage de ne pas m’enfuir à toute jambe. Et dire que j’étais de nouveau à l’endroit où quelqu’un était mort assassiné. Je scrutai la ruelle sombre, revivant la scène atroce dans ma tête. Mes yeux restèrent un long moment sur le sol où j’avais vu la dépouille de la fille. Je dus battre plusieurs fois des paupières pour être sûre que je n’hallucinai pas ; tout avait disparu. Je m’avançai maintenant sans hésitation au cœur de l’impasse, en scrutant chaque recoin. Le corps de la fille n’était plus dans la ruelle, il n’y avait même pas une seule trace de sang sur le bitume. Qu’est ce que cela signifiait ? Des frissons me parcoururent le dos. Il n’y avait plus rien. Autant repartir.

Mon pieds buta sur une sorte de caillou. Je regardai par terre. Comment n’avais-je pas pu remarquer ça ? C’était quoi ce vieux bijou qui brillait sur le sol ? On aurait dit une espèce d’amulette, comme dans Harry Potter. Il y avait des espèces de dessins dessus. De grands cercles entremêlés, dans des formes compliquées. La chaîne était en argent et le collier brillait d’une lueur rosée… Quand je pris l’objet dans les mains, je sentis une chaleur m’envahir. Je la mis autour de mon cou. Bon sang, qu’est-ce que cela signifiait ?

29 mai 2017

Solarium, les contrées originelles : prologue

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*

TOME 1 : Mercure - Connaissance  

      Leen Kimberlake et sa mère vivent désormais à Paris. Leen s'adapte difficilement à cette nouvelle vie qu'elle n'a pas choisie, et mène une existence un peu à part. Jusqu'à sa rencontre avec Victor. Le beau, et mystérieux Victor O'connor. Sa vie bascule alors du jour au lendemain. Des questions nouvelles se bousculent dans son esprit. Et si... elle n'était pas de ce monde ?

29 mai 2017

Bio

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Auteure en herbe d'une vingtaine d'années, cela fait maintenant trois ans que je tente de créer un monde fantastique dans un livre, dont je révèle petit à petit les chapitres.

Ceux-ci sont en effet publiés régulièrement sur plusieurs plateformes de partage en ligne, facilement accessibles.

A ce sujet, la littérature fantastique me passionne depuis toujours, et c'est essentiellement pour cette raison que j'ai décidé de plonger dans cet univers à corps perdu.

 

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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
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