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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
29 mai 2017

Chapitre 2

 

 

Assise en tailleur au centre de mon lit, j’écoutais le titre célèbre du groupe Blink 182, I miss you. Cette chanson me rappelait étrangement la fille. Where are you and I’m so sorry,  I cannot sleep, I cannot dream tonight, I need somebody and always, this sick strange darkness comes creeping on so haunting every time. Je posai ma tête sur mon oreiller et fermai les yeux. Un sentiment de culpabilité m’envahit. Je ne pensais plus qu’à comprendre ce qui m’était arrivé. Qui était la fille ? Qui était son assassin ? Était-ce une illusion ?  Je ne voulais pas y croire. You’re already the voice inside my head, disait le chanteur. Je soupirai. En dépit de la disparition du corps et de la tournure des événements, je ne pouvais m’y résoudre. Les souvenirs du meurtre persistaient trop dans les synapses de mon cerveau. Je ne trouverais jamais la paix si je demeurais sans réponse. Prenant l’objet ancien que j’avais trouvé sur les lieux du crime dans mes mains, je le fis tourner et contemplai ses dessins compliqués. Cela signifiait-il quelque chose ? Je n’en savais rien. 

 

*

*

 

 Laisse tomber, ma mère me lâchera pas tant que je ne serai pas rentrée, dis-je à Molo. 

– Ouais, je comprends. Alors on s’appelle ce soir ? 

 

Je souris à Molo qui s’apprêtait à entrer en cours. 

 

– Ok !

 

Je regardai Molo me sourire en retour et pénétrer dans la salle de cours. Je savais qu’en évoquant ma mère, mon ami ne chercherait ni à me retenir ni à me suivre ; la nature excessive de celle-ci me fournissait souvent un excellent alibi. Je sortis du lycée sans grande difficulté et me mis en route, le pendentif niché au creux de ma poitrine. Le vieil antiquaire vers lequel je me dirigeais, un certain Bernard Loiseau, possédait quelques ouvrages sur des reliques anciennes. Assise dans la rame du métro, je tressaillis en chassant une fois de plus l’image du corps lacéré de la jeune fille de mon esprit. Il était temps d’avancer. La vieille boutique était facile à trouver. Située près de Montmartre, elle s’édifiait en effet dans l’une des ruelles étroites de la ville, selon ce que j’en avais lu sur internet. Je descendis à l’arrêt de métro que j’avais repéré un peu plus tôt dans la journée. Après une marche rapide, j’arrivai à l’entrée de la ruelle. J’y pénétrai le cœur battant, balayant du regard les plaques en métal fixées sur le mur des habitations et qui en indiquaient le numéro. 

Au vu de la peinture craquelée et du bois noirci de la devanture, j’étais arrivée devant la bonne boutique. Ce devait être l’une des plus anciennes du quartier. Mais surtout la plus glauque, en fait. Des tas de corbeaux noirs étaient peints maladroitement sur l’enseigne, figés par la peinture dans une expression cruelle. Après plusieurs minutes d’hésitation, je me décidai à franchir le seuil de la porte. Les cloches accrochées en haut de l’entrée se mirent à tinter. Ce bruit me parut terrifiant. Je regrettai déjà d’être venue. 

 

 –  Bonjour, lançai-je timidement en cherchant le propriétaire des yeux.

 

Je scrutai le vide de la boutique. Une bonne couche de poussière recouvrait les bibelots de la boutique, l’air en devenant difficilement respirable. J’identifiai rapidement Bernard Loiseau qui s’afférait parmi les objets poussiéreux. 

 

–   Bonjour, répondit l’homme avec une voix grave. 

 

Il n’avait même pas relevé la tête pour me regarder. 

 

–  J’aurais besoin d’un renseignement, déclarai-je pour attirer son attention.

–  J’arrive, répondit-il avec un ton froid.

 

Pour la première fois alors, Bernard Loiseau daigna effectivement m’accorder son attention. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, je pus y lire quelque chose qui glaça mon sang. Ses yeux globuleux s’étaient littéralement emplis de haine. 

 

–  Ah… Je savais que tu viendrais, dit Bernard Loiseau.  

–  Quoi ? 

 

Le vieil homme au crâne dégarni s’approcha brusquement de moi, et prit mon visage entre ses doigts ridés.  

 

– Oui c’est bien toi, je te reconnais.

 

Il se mit à ricaner. 

 

–  Et on m’a même dit de tuer. 

–  Non ! Lâchez moi !

 

Je giflai Bernard Loiseau qui recula. Il me tourna le dos tandis que je restai figée sur place par la peur. Il se retourna soudainement et braqua un fusil sur moi. Mon cœur loupa plusieurs battements. Loiseau tira dans l’une des hautes étagères recouverte de livres à quelques centimètres de moi. Je sortis de ma torpeur, et me mis à courir. Lorsque j’ouvris la porte de la boutique, l’horrible sonnette du magasin retentit pour la deuxième fois ainsi que le son du fusil. La balle me frôla l’épaule, et je hurlai en sortant précipitamment de la lugubre boutique. Je courus en sanglotant, mon sang coulant le long de mon bras. Je cherchai des yeux un endroit où me cacher. Mais les pas de l’antiquaire résonnèrent bien trop tôt sur les pavés de la ruelle. Je n’avais plus le temps. Lorsque les bruits de pas cessèrent, le canon de son fusil se colla contre ma nuque. L’homme me tenait en joue. 

 

–  Azitane tu vas périr, cracha l’antiquaire.

–  S’il vous plait, je vous en supplie… dis-je dans un sanglot. 

–  Genoux à terre ! 

 

Il me frappa d’un coup dans le crâne. Je m’écroulai sur le sol, recouvert d’eau de pluie. Il chargea son fusil. Je vis ma vie défiler en quelques secondes devant mes yeux. Le divorce de mes parents, la disparition de Lucas, le meurtre de la fille ; et dire que tout cela n’aurait bientôt même plus d’importance. 

 

–  Ne serait-il pas dommage de tuer une si belle jeune fille ? dit une voix masculine étrangement familière.

–  Qui va là, cria l’antiquaire visiblement furieux.

 

J’entendis que l’antiquaire pousser un cri puis quelque chose tomber lourdement sur le sol. Je n’osai pas me retourner. Je me contentai de remarquer le reflet d’une chose métallique dans la flaque d’eau qui stagnait à la surface de la ruelle juste au dessous de moi. Un silence pesant envahit l’atmosphère. Je tournai finalement la tête ; plus aucune trace de l’antiquaire dans la ruelle.  A sa place se tenait l’inconnu de la bibliothèque qui arborait un sourire plutôt satisfait. L’antiquaire s’était comme volatilisé. 

 

   Tu vas bien ? me demanda l’inconnu. 

 

Pour toute réponse je me levai d’un bond, et me remis à courir.  J’avais couru sur plusieurs mètres avant l’inconnu ne réussisse à me rattraper. Il serra sa main sur mon bras blessé.  

 

– Lâche moi ! dis-je en couinant. 

 Je ne te veux aucun mal ! répondit-il, même pas essoufflé par la course.

 

Il planta mon corps devant le sien, et plongea ses yeux noisettes dans les miens. 

 

–  Mais qui es-tu à la fin ? demandai-je en refoulant de grosses larmes.

–  La personne qui vient de te sauver la vie apparemment. 

–  Où est l’antiquaire ? fis-je en désignant la ruelle du menton.

– Peu importe, répondit l’inconnu. 

–  Moi ça m’importe !

 

Il maintint ses mains sur mes épaules. Il baissa un moment les yeux, avant de reprendre la parole d’un air plus grave. 

 

   Le démon a disparu dans un autre plan. Le sien, en fait.

   Un démon ?

 

L’inconnu me sourit. 

 

– Oui. 

– Ça n’existe pas, les démons… fis-je, en perdant patience.

– Il y a beaucoup de choses que tu ignores, c’est vrai, murmura-t-il. 

 

L’inconnu me tenait toujours. Il me plaqua avec une facilité plutôt déconcertante contre le mur de la ruelle, tout en me regardant droit dans les yeux. Il rapprochait dangereusement son visage du mien, en m’enserrant la taille un peu plus fort… Lorsque nous quittâmes définitivement la ruelle de Montmartre.

 

*

*

 

Espace blanc. Où suis-je ? Qui suis-je ?

Tu es Leen, dit la fille assassinée. Son visage n’est plus lacéré. Je ne veux pas être Leen, lui dis-je. Je ne veux pas me souvenir. Elle me regarde, et me sourit chaleureusement. Elle ressemble un peu à Elia. A la vie, à la mort, elle dit. Mort, a-t-elle dit… Je sens qu’elle m’aime. Je lui dis. Elle me dit que c’est normal. Je lui dis que l’on ne se connaît pas. Et qu’elle est morte à cause de moi. Son visage devient plus doux, et la pureté de ses traits me font mal. Elle prend ma main. Elle me dit que tout ira bien et que je la retrouverais. Je lui ai dit qu’elle est morte, et que c’est impossible. Son visage me sourit mais je sais qu’elle est triste. Elle me répond que c’est pour cela que je la retrouverais.

Je ne comprends toujours pas, lorsque son image se brouille. Non, ne pars pas !

 

 

–  Allez assez dormi, dit une voix en me tirant de mes rêves.

–  Laissez moi…

–  Réveille toi, Leen. 

– Quoi ? dis-je à demi-voix en prenant conscience que je n’étais plus dans un rêve.

–  Allez, gronda la voix.

 

J’ouvris les yeux et réalisai que c’était l’inconnu de la bibliothèque qui avait parlé. Je tentai alors de me redresser sur ce qui ressemblait à une couchette. Aïe. Je portai mon regard sur mon bras, et constatai qu’il avait été bandé. Tout me revint alors en mémoire : le vieil antiquaire avait tenté de me tuer. Mon mal de crâne reprit subitement, même il s’était lui aussi un peu atténué. Je me massai la nuque en me rappelant que ce malade m’avait aussi frappée. D’une façon ou d’une autre, je devais être redevable au garçon qui se tenait dans la tente juste devant moi. 

 

–  Tiens enfile ça, m’ordonna l’inconnu au même moment. Il  me jeta des vêtements. Tu seras plus à l’aise.

 

Je restai hébétée sur ma couchette. Je regardai autour de moi, en constatant que j’étais bel et bien dans une tente. L’inconnu de la bibliothèque était à genoux en face de moi et me scrutait attentivement. Il attendait probablement que j’enfile les guenilles qu’il venait de me jeter dessus. 

 

– Où est-ce qu’on est ? demandai-je. Et ça, c’est pour aller où ? dis-je en désignant les vêtements visiblement un peu usés. 

–   Ne t’en fais pas, tu n’as rien à craindre. 

–  Super. 

 

Je croisai aussitôt mes bras sur ma poitrine avec un air septique. Mon sauveur s’était aussitôt empressé de devenir mon kidnappeur. Le garçon ne devait pas être si mal intentionné puisqu’il m’avait sauvée la vie. Mais son manque d’agressivité envers moi et l’absence de discours délirant ne m’empêchaient pas d’en douter quand même. Une personne qui tuait des démons ne pouvait pas être un saint. L’inconnu de la bibliothèque s’avança vers moi et prit délicatement mon menton entre ses doigts. 

 

–  Tu es en sécurité avec moi, dit-il d’un ton doux. Tu peux me faire confiance. 

 

Ses yeux noisettes se perdirent dans les miens, et mon cœur battit un peu trop fort à mon goût. Je baissai les yeux tandis qu’il relâchait mon menton. 

 

–  Ok, concédai-je finalement. Mais où veux-tu aller ?

– Fais moi confiance, répéta-t-il, tu verras.

 

Je voulais savoir tout de suite. Je faisais rarement confiance aux gens du premier coup. 

 

– Dans un camp, dit-il, qui n’est pas facilement accessible. D’où les vêtements. 

 

J’avais l’impression que l’inconnu venait carrément de lire dans ma tête. 

 

– Pour quoi faire ? 

– Te présenter quelqu’un, fit l’inconnu. 

– Qui ?

–  Le Président. 

–  Quoi, il est ici ? demandai-je, stupéfaite que le Président en personne se déplace pour me voir. 

– Il s’agit d’un autre genre président, m’informa le garçon en souriant. 

–  Et pour quelle raison voudrait-il me voir ? dis-je sans comprendre. 

–  Pour la même raison que d’autres essayent de te tuer…

–  Ce n’est arrivé qu’une seule fois, objectai-je. 

 

Je remarquai aussitôt un sentiment d’inquiétude déferler dans les yeux noisettes de l’inconnu. 

 

– Pour l’instant. 

 

Ses mots firent sonner mon alarme intérieure. J’avais du mal à comprendre que l’on m’en veuille au point de me tuer. Et en même temps, les événements de ces derniers jours avaient pris une tournure carrément digne d’un film de science fiction. 

 

– Qui suis-je alors ? 

– Une personne extraordinaire, me révéla l’inconnu. 

 

Je rougis. Le désir dans les yeux du garçon semblait vif et intense. 

 

– Je disais ça parce que tu as de grands pouvoirs, précisa l’inconnu, un peu gêné. 

– Des pouvoirs ? Attends, les démons existent et maintenant j’ai des pouvoirs ? 

– Pour résumer, oui. 

– Quel genre de pouvoirs ? demandai-je avec perplexité. 

– Je ne sais pas exactement. Mais si tu enfilais ça, fit l’inconnu en désignant les vêtements froissés, on pourrait le demander au Président. 

– D’accord. 

 

J’avais du mal à assimiler les révélations du garçon. Mais force était de constater que je ne m’étais jamais sentie normale. J’allais me dévêtir quand je sentis le regard noisette de l’inconnu s’attarder sur moi. 

 

–  … Je peux avoir un peu d’intimité maintenant ? demandai-je en le fixant. 

–  Oui, oui, bien sûr. Je sors, déclara le garçon.

 

Il baissa les yeux et je sentis son malaise. Puis il se leva et sortit de la tente. Mais mon cœur battait toujours aussi fort. 

 

*

*

 

Je sentais l’amulette pendre entre mes seins. Je la pris entre mes doigts pour la contempler. La chaleur émanant de l’objet me picota les doigts et me redonna du courage pour affronter le reste de la journée. Le garçon et moi empruntions un effet un chemin serpentant entre les conifères d’une imposante montagne depuis le début de la matinée. L’inconnu m’avait dit vouloir rejoindre un camp et me présenter au Président. Un Président différent du… Président. Je soupirai. Je ne réalisai pas ce qui se passait réellement. Je m’étais d’abord éveillée au beau milieu d’une clairière bordée par une forêt dense. J’avais dormi dans une tente avec un parfait inconnu juste après qu’un démon ait bien sûr essayé de me tuer dans les rues de Montmartre, tandis que j’essayais de récolter des informations sur une amulette. Une amulette trouvée en outre dans un endroit où une fille avait été assassinée sous mes yeux dans la plus grande indifférence générale. J’avais l’impression de subir ma vie plus que de la contrôler. Et ce, même au point de ne pas savoir si je vivrais demain. Je contemplai les feuilles des arbres qui étaient de couleur rose. Je n’étais pas perdue, non. J’étais complètement perdue en fait.

 

–  Nous ne sommes pas sur Terre, réalisai-je enfin à voix haute. 

 

L’inconnu s’arrêta et se retourna. Je ne le vis pas, et lui rentrait dedans. Je constatai sans le vouloir qu’il était plutôt musclé. Cela ne me rassura pas vraiment sur les activités du garçon. Il devait certainement pratiquer un sport intense. Ou des crimes intenses.

 

–  Pas vraiment non, avoua t-il. 

 

Je levai les yeux sur son visage, toujours collée contre son torse. Je remarquai son nez court et fin et son regard joueur. Sa barbe de trois jours lui donnait un air encore plus sexy. Il ne chercha même pas à me repousser.

 

–  Où alors ? demandai-je en rougissant, mal à l’aise par notre proximité. 

 

Ses merveilleux yeux noisettes me transpercèrent. 

 

– Mercury, une contrée de Solarium. 

– Solarium ?

– Le nom de cette planète, expliqua brièvement l’inconnu. Est-ce que tu as faim ? 

– Oui. 

 

Victor regarda dans son sac en cuir marron qu’il portait en bandoulière. Il en sortit un bout de tissu qu’il me tendit. 

 

– Tiens, c’est de la viande séchée. J’ai de l’eau si tu as soif, dit-il en désignant sa gourde. 

 

Je pris le morceau de tissu et vis l’inconnu s’asseoir sur un rocher recouvert de mousse rose avec un autre bout de tissu. Je l’imitai, en commençant à manger. 

 

– Au fait, je m’appelle Victor, fit l’inconnu au bout de quelques instants.

– D’accord. 

 

Une fois le repas terminé Victor comptait se remettre en route lorsque je perçus les sons familiers d’une chute d’eau. Ne m’étant pas lavé de la journée, je n’étais pas contre un bon bain. 

 

– Il y a des cascades près d’ici ? demandai-je à Victor. 

– Oui. Tu veux t’y baigner ? 

 

Encore une fois, j’eus l’impression que Victor lisait en moi. Il me sourit. Je chassai cette idée de mon esprit, sachant que je devais déjà digérer l’existence des démons, des amulettes et des cadavres invisibles. 

 

– Oui. 

– Allons y alors, fit Victor. 

 

Lorsque nous arrivâmes près des cascades, je fus fascinée par le spectacle merveilleux que donnait la nature. De la végétation rose et touffue à perte de vue venait parfaire ce splendide tableau naturel. 

 

– Je crois que moi aussi je vais aller me baigner, fit Victor. 

 

Je le regardai se déshabiller aussitôt, et se tenir en boxer en face de moi. Je lorgnai sur son torse musclé retenant péniblement l’envie de m’y blottir. Le garçon me fixait de ses yeux noisettes. Je me raclai la gorge. 

 

– Ne me regarde pas comme ça, dis-je un peu gênée. 

– Désolé, répondit Victor en détournant les yeux. 

 

Je me déshabillai à mon tour, en me débarrassant avec grand plaisir des vêtements immondes dont m’avait affublée le garçon dans la matinée. Je pris machinalement soin de cacher l’amulette et mon portable dans cet amas de chiffons. Je ne voulais pas que Victor remarque l’objet ancien. Celui-ci me regardait justement du coin de l’œil. Je crus qu’il avait vu l’amulette. Mais en scrutant son regard, je n’y perçus qu’une intense lueur de désir.

 

– L’eau n’est pas très profonde, articula-t-il péniblement. 

– Comment tu le sais ? lui demandai-je en souriant.

– Je venais souvent ici avant, quand j’avais le temps. 

– Pourquoi ne l’as-tu plus ?

 

Pour toute réponse, Victor me fit un clin d’œil. Puis il sauta dans l’eau. Je vis sa tête émergée hors du lac quelques secondes plus tard. 

 

– Viens, elle est bonne !

 

Je m’élançai à mon tour dans l’eau. Elle était fraîche mais la température était plus chaude sur Solarium, ce qui me fit un bien fou. J’avais du mal à croire que j’étais en train de me baigner sur une planète que je ne connaissais même pas, sans perdre complètement les pédales. 

 

– Beau plongeon ! me félicita Victor en nageant jusqu’à moi. 

– Et encore, tu ne connais pas toutes mes autres qualités, fis-je en riant. 

 

Lorsque Victor fut en face de moi, il se mit à rire à son tour. Nous nous éclaboussâmes en rigolant. Ce moment d’insouciance m’allait bien. 

 

– Arrête de faire ça ! lançai-je à Victor qui n’arrêtait pas de me projeter de l’eau. 

 

Je riais encore, lorsque je m’aperçus que Victor avait disparu. 

 

– Victor ? fis-je paniquée. Victor, où es-tu ?

 

Je commençai à chercher sous l’eau frénétiquement en criant son prénom. Mon cœur battit la chamade. J’étais seule, le garçon avait disparu. 

 

– Juste derrière toi, Leen. 

 

Je me retournai pour constater que Victor était bel et bien vivant. Il arborait un sourire étincelant. 

 

– Tu m’as fait peur ! Tu l’as fait exprès ?

– Non, promis, dit Victor en riant. Tu t’es inquiétée c’est ça ?

– Bof, lui répondis-je en souriant. 

 

Je me pinçai les lèvres. Oui, c’était exactement ce que j’avais fait. Je regardai Victor, mouillé par l’eau du lac. Il était atrocement beau, et atrocement dénudé. Il me regarda droit dans les yeux. Je cessai de respirer. Il m’attira alors contre lui, et m’embrassa passionnément. Je lui rendis son baiser avec profondeur en me serrant davantage contre lui. Lorsque nos lèvres se séparèrent, Victor colla son front contre le mien et dit simplement :

 

– Il faut qu’on se remette en route. 

 

*

*

 

 La nuit tombait tandis que nous arrivions à ce qui devait être le camp. Un camp vaste, entouré de hautes palissades au sommet desquelles s’entremêlaient des fils barbelés. Je regardai Victor. Après toutes ces heures de marche, il ne semblait même pas épuisé.

 

–  Par là, me dit-il en désignant l’entrée du campement. 

 

Il s’avança vers un garde posté à l’entrée et lui dit quelque chose que je ne compris pas. Il me prit ensuite doucement par le bras et m’attira contre lui. Victor fit un signe de tête au garde qui cria à son tour quelque chose. L’immense porte séparant le camp du reste de la forêt s’ouvrit. Tandis que la porte s’ouvrait dans un pénible bruit de grincement, le vent se leva. J’eus la chair de poule, et regardai Victor. La brise faisait danser ses boucles brunes sur son visage parfait. Il dégageait une beauté surnaturelle. Il me regarda juste au moment où cette pensée traversait mon esprit. Puis il me sourit en posant ses beaux yeux noisettes sur moi. 

La porte ouverte, Victor et moi pénétrâmes dans l’enceinte du campement. J’agrippai instinctivement mon amulette. Elle émettait des ondes de chaleur dans ma main. C’était bon de la sentir ainsi, même si je comprenais pas ce que cela signifiait. Mes recherches sur l’objet ancien n’avaient pas été vraiment couronnées de succès. Je passai en revue ce qui se dressait devant moi. Tout était tellement high tech. Toutes les battisses du campement semblaient faites de métal sur lequel se reflétait le rose des montagnes. Tout était tellement épuré, y compris les tenues des personnes vivant au sein du camp. Tous les hommes portaient des vêtements simples qui moulaient leurs corps d’athlètes à la perfection. Ils déambulaient avec une démarche assurée aux côtés des femmes dont les robes fluides reflétaient toute leur grâce. Plusieurs personnes se retournèrent sur notre passage. Je serrai mon amulette un peu plus fort à me faire une entorse au poignet. 

Au bout d’un certain moment, Victor s’arrêta. Il m’avait conduite devant une haute battisse, encore plus imposante que toutes les autres.

 

–  Nous y voilà, dit-il.

– C’est quoi ? 

– La demeure présidentielle. 

– On dirait plutôt un château hyper hich-tech. 

–  Je vais te présenter le Président, dit Victor en souriant. 

 

Je m’engouffrai avec lui à l’intérieur de la demeure présidentielle. Je constatai qu’elle était faite de baies vitrées et remarquai deux grands escaliers en colimaçon au centre de ce qui ressemblait à un hall d’accueil. Victor me guida vers une sorte de bureau. Il était isolé du reste du hall par une gigantesque porte blanche. Le garçon frappa à la porte. Une voix grave l’invita à entrer. 

 

–  Président Douglas, Leen Kimberlake, dit Victor pour m’annoncer. 

–  Leen ! Quel bonheur de te rencontrer enfin ! s’exclama le Président Douglas assied derrière son immense bureau.

 

Il avait l’air d’être un homme sympathique. Cheveux gris, la cinquantaine. Si on faisait bien sûr abstraction de la grande balafre qui barrait son visage, et des nombreuses armes en métal attachées au mur juste derrière lui. 

 

–  Pareillement. 

–  Et tu es une jeune femme vraiment resplendissante en plus ! s’enthousiasma le Président. Vous ne trouvez pas capitaine ?

–  Oui elle l’est, répondit Victor avec un air détaché. 

 

Je dévisageai Victor et me sentis gênée pour lui. Alors comme ça, le capitaine en personne m’avait bécotée dans les cascades. 

 

– Bien, bien, comment vas-tu Leen ? 

– Bien, merci. 

– Et si tu t’asseyais un moment ? me proposa le Président en souriant.

– Euh… Oui, d’accord. 

 

Je m’assieds sur l’un des deux fauteuils blancs qui faisaient face au bureau du Président. Celui-ci fit une seconde fois le tour de son bureau et s’assied sur son fauteuil. 

 

– Sais-tu qui tu es, Leen ? demanda le Président avec un air sérieux. 

– Que voulez-vous dire par là exactement ? 

– As-tu déjà entendu parlé d’êtres dotés de dons particuliers par exemple ?

 Vous voulez dire comme les… démons ? dis-je en repensant à Bernard Loiseau. 

– Oui, fit le Président visiblement un peu surpris par ma réponse. Comment connais-tu leur existence ?

 

Victor prit la parole après s’être raclé la gorge. 

 

– Un démon a essayé de la tuer sur Terria. Je l’ai neutralisé. 

– Seigneur, fit le Président, le temps presse. 

– Qu’est ce qui se passe exactement ? demandai-je. 

– Tu n’es plus en sécurité sur Terre. Un groupe… de terroristes te recherche dans l’espoir de te tuer. 

–  Mais je n’ai rien fait à personne !

– Le problème Leen, est que tu as des dons incroyables dont tu ignores encore tout, et que tu es destinée à accomplir de très grandes choses. 

– Quels dons ? Me connaissant, je ne vois pas vraiment lesquels. 

– Les oracles s’accordent à parler d’une très puissante élue, issue de Vénusia, qui aurait la faculté de lire les cœurs, et plus encore.  

– Lire les cœurs ? 

– Tu peux deviner les sentiments des autres, les manipuler et probablement user de magie comme les… tiens qui sait, dit le Président avec ce qui avait ressemblé à du dégoût. 

– Vous n’en êtes pas sûr ? C’est ce que vous voulez dire ? le pressai-je. 

– Les oracles ont été tellement vagues que je n’ai pas davantage de réponses. Le mieux étant que tu restes vivre avec nous sur Mercury, conclut le Président. 

– Non, c’est hors de question, hurlai-je. 

 

Le Président regarda en direction de Victor qui se tenait derrière moi. Une expression grave se peignit sur son visage. 

 

  Tu n’as vraiment rien à craindre, insista le Président avec un regard presque suppliant. 

 

J’avais bien envie de lui dire que si, j’avais à craindre. Ne serait-ce parce qu’un démon avait tenté de me tuer, et que j’apercevais des êtres maléfiques tuer des jeunes filles trop fréquemment à mon goût en ce moment. Mais je me retins. 

 

– Je veux rentrer chez moi. 

– Leen comprends bien que ta vie est en danger hors de ces murs, dit le Président, beaucoup de personnes seraient prêtes à te tuer pour que la prophétie ne se réalise jamais. 

– Alors je suis prisonnière c’est ça ? 

 

Le Président Douglas regarda à nouveau dans la direction de Victor. Je jetai moi aussi un œil vers le garçon pour déchiffrer son expression. Je m’aperçus que l’échange visuel entre les deux hommes semblait tendu. 

 

– Non, tu n’es pas prisonnière évidemment. Tu es sûre de ne pas vouloir rester ? 

– Pour l’instant, oui, fis-je. 

– Très bien qu’il en soit ainsi, le capitaine va te ramener chez toi. 

 

Je sentis alors Victor me toucher l’épaule. Ma vision du Président se brouilla, et quelques secondes plus tard, j’étais de retour dans ma chambre. Avec Victor. Et sa main toujours posée sur mon épaule. Il se tenait derrière moi.

 

– Alors toi c’est ça ton super-pouvoir, dis-je. 

– Je me téléporte, oui, fit Victor. 

 

Je fis volte face. Nous nous regardâmes. Soudain mon téléphone sonna dans la poche de mon… affreux pantalon, réalisai-je en constatant que je le portais toujours. 

 

– Je comprends mieux alors. 

– Quoi dont ? fit Victor en souriant. 

– Comment nous sommes partis de Montmartre, hier, dis-je. 

– Une heure seulement s’est écoulée ici, m’apprit Victor, il doit être à peine 20 heures.

– Le temps ne passe pas de la même façon ? lui demandai-je un peu surprise. 

– Non, la terre n’est qu’une imitation imparfaite de Solarium. 

– Comment ça ? 

– Je t’expliquerai plus tard, me dit Victor en souriant. 

– Tu t’en vas ? lui demandai-je. 

 

Mon téléphone sonna dans ma poche au même instant. Je lus le nom affiché sur l’écran. Molo.

 

– Excuse moi, c’est un ami… Victor ? 

 

 ​Je regardai partout dans ma chambre. Victor avait disparu. 

Après avoir raconté un mensonge bien ficelé à Molo, je m’endormis en repensant à la journée folle que je venais de vivre. Et beaucoup à Victor.  

 

*

*

 

– Leenie ! Cours, il est là ! cria la fille recouverte de sang.

 J’avais peur, et mon cœur battait à cent à l’heure. Je savais qu’il était de retour. Ce visage maléfique. Aux traits si purs. Ce poignard. Trop tard. Je sentis ses mains glaciales sur mes épaules. Et il me projeta à terre. La voix dans ma tête avait cessé de hurler, c’était moi qui hurlais maintenant.

 Je le distinguais mal. Mes yeux, trop emplis de larmes.

 Atroce, douleur.

 La peur.

 La mort.

 Je hurlai en me réveillant dans ma chambre.

 

*

*

 

–  Bien dormi ? demanda ma mère en me voyant entrer dans la cuisine, le matin suivant. 

–  Ouais, mentis-je.

–  Tu rangeras la table avant de partir au lycée. Et ne mets pas de miettes partout quand tu manges s’il te plait, dit-elle en désignant les toasts grillés du menton. A ce soir !

 

Elle m’embrassa sur la joue en y laissant une grosse trace de rouge à lèvre. J’entendis la porte d’entrée claquer. J’étais d’humeur maussade, et laissant glisser mon regard sur la fenêtre, la météo n’allait pas faire réapparaître mon sourire d’aussi tôt. Je pris une longue douche brûlante. En frottant ma joue frénétiquement. Il me fallait au moins ça pour effacer à la fois le rouge à lèvre de ma mère et mes mauvais rêves. Je sortis de la douche, et m’habillai. Legging en simili cuir, tunique en tracite à motif tête de mort, et bottines en cuir. Je mis un bonnet noir sur mes cheveux roux pour parfaire ma tenue. Je me regardai dans le miroir de ma chambre. Le trait d’eye liner noir faisait ressortir le vert de mes yeux. Je pris mes écouteurs, et consultai rapidement mes textos. J’en avais un de Jenny qui disait qu’elle avait changé de couleur de cheveux. Je souris. Certaines choses étaient restées visiblement les mêmes. 

La journée de cours passa plutôt vite. J’avais juste eu du mal à me concentrer. Le sens de la réalité m’échappait, mon esprit s’étant égaré quelque part entre Solarium et la planète Victor. J’avais l’habitude de me sentir seule, mais pas de cette façon. Si Lucas avait été là pour me serrer dans ses bras comme il le faisait si bien, j’aurais pu résister à l’envie d’en apprendre davantage au sujet de Solarium. Mon ami m’aurait fait rire. Son visage si chaleureux et son sourire si apaisant m’auraient fait chaud au cœur. La douleur de sa disparition brisa un peu plus mon âme. Il me manquait. Je me pinçai les lèvres pour ne pas pleurer en pensant à mon ami décédé. Je repris mes esprits. Personne ici, ne devait savoir. Et je me fichais de ce que tous ces professionnels de l’esprit prétendaient « voyez-vous mademoiselle Kimberlake, si vous ne faîtes jamais confiance à personne, que vous ne vous confiez pas et que vous restez constamment dans votre bulle, comment voulez-vous aller de l’avant ! ». Je plaquai un sourire sur mes lèvres. 

La cloche sonna, fin des cours. Molo me rejoignit dans l’un des couloirs du lycée, tout sourire.

 

–  Elle est conquise, c’est officiel !

–  Qui ça ? demandai-je, visiblement à côté de la plaque.

–  Mais mademoiselle Tri-ni-ty ! dit-il avec admiration.

– C’est vrai que sa gaine rouge battait fort la chamade à un moment…

–  Rabat-joie ! dit-il en riant. Elle a proposé de me donner des cours de soutien.

–  Et ?

–  Elle me désire enfin, c’est évident ! s’exclama-t-il avec un air émerveillé. 

–  Ou alors, elle te trouve à la ramasse…

–  Ecoute on en reparle tout à l’heure, au ciné ? J’dois filer faire une course. 

 

Je riais devant la bonne humeur de mon ami, en lui lançant un malicieux « à toute mon petit sucre ! ». J’adorais ce type, son énergie tellement revitalisante.

 Il ne me restait plus qu’à rentrer chez moi, histoire de me préparer. Je tressaillis. L’idée d’emprunter le chemin du retour me donnait encore la chair de poule. Cette fille… « Mais ce n’était qu’un cauchemar ! » s’exclama mon subconscient qui était épuisé par moi même. Des frissons me parcoururent. Je décidai de mettre mes peurs de côté. Je partis. Tout en enfonçant mes écouteurs dans mes oreilles pour faire taire mon mauvais pressentiment.

 Enfin arrivée chez moi, je relâchai la pression. J’étais tellement persuadée qu’un meurtrier psychopathe en voulait à ma peau… Tout en pensant à ma déficience mentale, je pris un coca zéro dans le frigo de la cuisine. Pschiiiit. Le bruit familier de la canette fraîchement ouverte me fit du bien. J’avalai le soda tout en savourant le pétillement de celui-ci dans ma gorge. Puis je consultai mes sms. Rien de neuf. Alors je montai dans ma chambre, canette à la main, écouteurs dans mes oreilles. Et je chantonnai gaiement. Avec beaucoup de fausses notes, un titre de Katy Perry, Hot n Cold. « Youuuuu changed your mind like a giiiiirl… ». On fait tous des erreurs, hein…

 Je franchis le seuil de ma porte, et me heurtai à quelque chose de dur. Je levai les yeux. Et hurlai.

 

–  Moi aussi, je suis ravi de te revoir, dit Victor dans un sourire radieux.

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Solarium, les contrées originelles par Frensheska Kandinsky
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